Make Iran Great Again ?
par Sylvain Rakotoarison
mercredi 25 juin 2025
« Reste une position de principe que je tiens à défendre devant vous. La France a conscience de ces manquements. Elle sait que le pouvoir iranien a exécuté par pendaison des centaines de femmes qui ne respectaient pas les codes vestimentaires en vigueur ; elle sait aussi que les femmes n’ont pas le droit d’étudier. Tout le monde le sait, la France le sait. Mais la France ne peut pas être durablement du côté des infractions au droit international. Tout en prenant la pleine mesure des manquements que vous indiquez, la France doit réaffirmer que, dans l’avenir, le droit international doit s’imposer. » (François Bayrou, le 24 juin 2025 dans l'hémicycle).
La "position de principe" de la France sur la guerre en Iran que le Premier Ministre François Bayrou a réaffirmée devant les députés ce mardi 24 juin 2025 lors de la séance des questions au gouvernement, est logique, prévisible, normale. Une nation qui fonde toute sa politique étrangère sur les principes du droit international ne peut pas défendre des violations permanentes de ce droit international... même pour la "bonne cause". La fin et les moyens...
Le Président américain Donald Trump, après quelques hésitations, a fait intervenir son pays le 22 juin 2025 avec des frappes contre des cibles nucléaires en Iran d'une qualité technique remarquable. Mais il a aussi réussi à imposer le 23 juin 2025 un cessez-le-feu plus ou moins bien respecté par Israël et l'Iran.
Le point de la vue de la France est toujours ambivalent dans ces événements au Proche- et Moyen-Orient. Le point crucial est la sécurité de l'État d'Israël et son existence qui a été menacée lors des massacres du 7 octobre 2023. Le gouvernement de Benjamin Netanyahou a réagi avec une brutalité à la mesure du choc des massacres, en voulant neutraliser tous ses ennemis : le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen et le marionnettiste de tous ces mouvements terroristes antisémites, le régime des mollahs en Iran.
Il faut rappeler que la France est une victime encore actuelle de l'Iran islamique : nous avons deux otages en Iran, Cécile Kohler et Jacques Paris, mais il faut aussi rappeler la mort de 58 soldats français le 23 octobre 1983 par des attentats commandités par le régime des mollahs. Depuis quarante-six ans, le régime chiite a voulu exporter sa haine et ses guerres dans la région et même au-delà, sur les territoires européens et américains par des attentats meurtriers. En outre, le risque d'un Iran islamique nucléarisé est grand et menace la stabilité non seulement de la région mais du monde entier. C'est pourquoi, à l'instar du Chancelier allemand Friedrich Merz, il faut admettre que le gouvernement israélien fait le « sale boulot ». C'est bien commode de protester mais c'est plus compliqué de se faire respecter.
Une fois qu'on a dit cela, on ne résout rien de la complexité du Moyen-Orient. Si on parle de droit international, il n'existe que par voie de paix, mais la guerre, a priori, c'est la loi du plus fort. Israël n'a pas respecté le droit international en attaquant l'Iran, mais les massacres du 7 octobre 2023 n'étaient pas non plus une démonstration éclatante du droit international, ni l'objectif des mollahs d'éliminer Israël de la surface de la Terre.
La voix de la France a toujours été la voix diplomatique. Elle s'honore de rappeler quelques principes essentiels.
Le premier principe, c'est qu'on ne sauve pas un peuple de ses dirigeants tortionnaires en le bombardant. C'est valable en Iran, c'est aussi valable à Gaza. Le pire, même, c'est de croire qu'on peut imposer la démocratie par des bombardements de forces étrangères. Le risque, au contraire, c'est de conforter le pouvoir des mollahs par un repli identitaire, et de renforcer la répression contre les opposants.
Donald Trump a des réflexions assez étranges, brutales ou douces, selon les humeurs du moment. Ainsi, il a expliqué le 22 juin 2025 que son but n'était pas forcément de changer le régime en Iran, sauf si celui-ci ne permettait pas le retour au Grand Iran. Fleurit alors l'acronyme MIGA, Make Iran Great Again, qui n'a pour seul objectif que de répéter et de décliner le propre slogan électoral de Donald Trump (MAGA : Make America Great Again).
Les bombardements de la prison d'Evin à Téhéran par l'armée israélienne ont aussi été d'une grande irresponsabilité : si on veut protéger les opposants politiques (ou des otages), on évite d'aller bombarder leur résidence. C'était d'ailleurs le débat sur l'absence de bombardement des camps d'extermination nazis : en les bombardant, on tuait également les déportés. La France est inquiète du sort de Cécile Kohler dont on a aucun signe de vie depuis ces bombardements.
Le slogan Make Iran Great Again n'est pas sans arrière-pensée. On entend depuis quelques jours le fils du dernier shah d'Iran, le prince Reza Pahlavi (64 ans), prétendant au trône depuis le 27 juillet 1980 (mort de son père). Réfugié à Los Angeles, il est considéré par certains comme la tête de l'opposition politique à la république islamique, faute d'autres opposants. En 2009, il déclarait ainsi : « Je suis le fils du shah, l'héritier de la couronne. C'est un capital politique dont je dispose. Mais je ne l'utilise pas seulement en faveur de l'institution monarchique. Mon objectif, c'est la démocratie. ».
Malgré ces assurances et cette vision, il n'est pas difficile de comprendre que si le peuple iranien, un grand peuple, intellectuel et cultivé, veut sortir de l'emprise des mollahs, ce n'est pas pour retomber dans la monarchie du shah qui précédait les ayatollahs. Au contraire, la démocratie en Iran devrait se définir comme une voie nouvelle et difficile qui doit être tracée par les seuls Iraniens, sans pression étrangère et encore moins si elle est militaire.
Enfin, l'expérience dans la région nous montre, hélas, que les interventions militaires étrangères sont toujours contre-productives en long terme. Certes, on peut comprendre la nécessité absolue d'Israël d'assurer à court terme sa sécurité et son existence, mais plus le peuple iranien est frappé par les bombardements, plus le démantèlement du régime des mollahs sera difficile à obtenir. Pire même : l'expérience de l'Afghanistan, de l'Irak, de la Syrie et de la Libye nous apprend que le chaos politique en Iran pourrait se révéler catastrophique, tant pour le peuple iranien lui-même que pour le monde en général. Daech est né ce chaos en Irak et a pourri plus d'une dizaine d'années les peuples du monde, en particulier le peuple français par plusieurs attentats particulièrement meurtriers à partir de 2015.
Ce ne serait peut-être pas exactement Daech, un Daech chiite, mais les conséquences d'un désordre généralisé en Iran, grande nation, je le répète, ne seraient pas calculables tant elles seraient effroyables.
Tous ces dangers doivent nous inciter à ne pas avoir une vision simpliste de la situation actuelle et à garder une extrême prudence. C'est la raison pour laquelle François Bayrou a loué, en répondant à une autre question, les nuances apportées par Emmanuel Macron : « Vous avez eu raison de rappeler que la France défend le droit international et ses principes. Vous demandez qu’elle le fasse avec plus de force, mais je ne vois pas de chef d’État qui le dise avec autant de force et de cette liberté à laquelle vous appelez, que le Président de la République. Il a manifesté son indépendance de jugement et rappelé de façon éloquente notre attachement aux principes du droit international. C’est la position de la France. Enfin, nous espérons que le respect du cessez-le-feu permettra d’entrer dans une ère nouvelle. Nous savons combien c’est difficile. Nous espérons aussi que là, comme ailleurs sur la planète, nous puissions un jour sortir de la loi de la force qui cherche à s’imposer à tous et retrouver la force de la loi. Cela ne se fera qu’en respectant le droit, notamment les droits de l’homme, et surtout ceux de la femme. ».
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 juin 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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