Mandela : « Un saint est un pécheur qui essaie de s’améliorer »

par Pale Rider
vendredi 6 décembre 2013

Il fallait qu’il meure. Qu’il meure enfin. Mais il avait, encore ces derniers mois, une telle capacité de survie que l’inévitable nous a paru incroyable, au soir du 5 décembre 2013. Voici un hommage, parmi des milliers d’autres, à Nelson Mandela, un homme qui aura changé le xxe siècle.

Cet homme fut un père, oui. Un père au sens où, comme il l’écrivait, « une avancée n’est jamais le résultat d’un effort individuel. C’est toujours un effort et un triomphe collectifs. » Mandela a été le père, l’inspirateur, le fédérateur des héros plus obscurs que lui qui ont donné leur existence pour que nous puissions voir la magnifique image que nous avons contemplée hier soir : des Sud-Africains de toutes les couleurs qui se rassemblent en paix devant sa maison. Impensable il y a seulement vingt ans…

 Peu de gens ont porté d’aussi beaux fruits, avec une constance et une intégrité hors du commun. Cet homme-là est sorti de prison au bout de 27 ans, à ses conditions. De ses ennemis, il a fait des alliés, parfois des amis. Ils l’ont jeté au bagne, ils ont cherché à le tuer : c’est lui qui les a changés, quasiment convertis. Il a fait de ces gens dont certains se réclamaient d’Hitler des êtres humains. Le forçat devenu Président de la République, avec le concours de gens aussi admirables que le chef Luthuli ou l’évêque Desmond Tutu, et quelques blancs téméraires, a changé le cours de l’histoire et, contre tous les pronostics, cela s’est fait sans violence.

La « non-violence » selon Mandela

 Pourtant, après le massacre de Sharpeville en 1960, Mandela, considérant que la lutte était décidément trop inégale, s’était éloigné de la ligne de Gandhi (dont le combat, rappelons-le, avait commencé en Afrique du Sud, alors que Nelson Mandela était encore un enfant) : il s’était résigné à la lutte armée. Quand, en 1993, on lui annonce qu’il va recevoir le Prix Nobel de la Paix (avec De Klerk ; deux Sud-Africains les avaient précédés : Albert Luthuli et Desmond Tutu), il est sidéré : « Amnesty International ne faisait pas campagne pour nous parce que nous avions utilisé la lutte armée et cette organisation ne défendait aucune personne qui avait choisi la violence. » Un an plus tard, il souligne avec cet humour dont il ne se départait jamais : « À l’ancien terroriste revenait la tâche d’unir l’Afrique du Sud. »

 Mandela disait de lui-même : « Je ne suis pas un homme violent. » En fait, ce « terroriste » n’était autre que ce qu’on avait appelé quelques milliers de kilomètres plus au nord et quelques décennies plus tôt un Résistant. D’ailleurs, si on fait le bilan de son combat, il a davantage évité la violence qu’il ne l’a suscitée… si ce n’est contre lui-même. D’ailleurs, il aurait pu être libéré huit ans plus tôt s’il avait accepté de renoncer à la lutte armée. Mais, considérant toujours que le jeu n’était pas égal, il n’avait pas accepté les conditions imposées par un pouvoir blanc hypocrite. Mandela (ancien boxeur) était très fort au bras de fer. Et le paradoxe, c’est que ce refus de la non-violence a été la condition de la non-violence dans laquelle l’apartheid a été aboli. Formidable paradoxe.

Donner sa vie

 Nelson Mandela avait tellement encaissé d’épreuves, il était tellement prêt à donner sa vie qu’il était invincible. Dans une lettre de prison non datée (mais probablement des années 1980), il écrivait cette phrase prophétique et bouleversante dans laquelle il avait investi toutes ses forces : « …je sais que je sortirai, que je marcherai d’un pied ferme sous le soleil, parce que la force de mon organisation et la détermination sans faille de notre peuple finiront par l’emporter. » Comment ne pas se souvenir de sa sortie de prison en 1990, le poing levé avec résolution mais sans agressivité, illuminé par ce sourire magnifique ?

 On a peu médiatisé le fait que Mandela était chrétien. Même s’il puisait sa sagesse aussi à d’autres sources, en réponse à ceux qui contestaient sa foi, il proclamait : « J’affirme que c’est absolument faux. Je n’ai jamais abandonné mes convictions chrétiennes. » On est en droit de penser que c’est cet esprit –l’Esprit– qui lui donnait cette capacité de pardon qui lui a été tant reprochée. Et aussi cette modestie non feinte qui ne l’a jamais quitté. Les Conversations avec moi-même se terminent sur ces mots : « L’un des problèmes qui m’inquiétait profondément en prison concernait la fausse image que j’avais sans le vouloir projetée dans le monde ; on me considérait comme un saint. Je ne l’ai jamais été, même si on se réfère à la définition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s’améliorer. »

 Si nous avons de la peine aujourd’hui, le plus bel hommage qu’on puisse rendre à Nelson Mandela, c’est de ne jamais cesser de vouloir s’améliorer. Aujourd’hui, son long chemin vers la liberté (titre de sa passionnante autobiographie) est terminé. Le vieux lutteur se repose enfin.


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