Marulanda mort, Alfonso Cano prend la tête des Farc

par Shyankar
jeudi 5 juin 2008

Tirofijo (« tir dans le mille », surnom de Marulanda) « est mort le 26 mars dernier à la suite d’une crise cardiaque, dans les bras de sa compagne et entouré de sa garde personnelle, et de toutes les unités qui assuraient sa sécurité  ». Alfonso Cano a été élu à l’unanimité à sa succession. Qui est cet homme et quel avenir est à prévoir pour la « plus vieille guérilla du monde » ?

Manuel Marulanda Vélez, le leader historique des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), serait mort. Serait, car ce n’est que la 17e fois que son décès est annoncé. Pourtant, cette fois-ci, l’information a été confirmée par les Farc eux-mêmes. L’homme a succombé à une attaque cardiaque à l’âge de 80 ans. Pour Alfredo Molano d’El Espectator de Bogotá, « Pour un guérillero, mourir à 80 ans est en soi un triomphe militaire. Marulanda est mort selon sa loi, c’est-à-dire de mort naturelle, ce qui représente une véritable victoire sur l’ennemi, qui n’a réussi ni à l’attraper ni à l’obliger à se rendre. »

Si l’on ajoute à cette mort celle de Raul Reyes, vu comme le « ministre des Affaires étrangères » de la guérilla marxiste, tué lors d’une incursion militaire colombienne en Équateur (le 01/03/08), on voit clairement que de lourds changements sont à prévoir.

Ainsi, c’est Alfonso Cano qui prend désormais la tête du mouvement. Pour nombre d’observateurs, il a toujours été considéré comme « le futur patron ». Mais même si l’homme fait partie de l’état-major des Farc depuis près de vingt ans, il n’en reste pas moins qu’il représente à lui seul l’irruption d’une nouvelle génération d’origine urbaine.

Le nouveau leader, politique et idéologue ?

Alfonso Cano, de son vrai nom Guillermo León Sáenz Vargas, est né le 22 juillet 1952 à Bogotá. Quatrième enfant d’un père ingénieur agronome et d’un mère enseignante, Guillermo León s’engage dans des études d’anthropologie à l’Université nationale, tout en se consacrant à son autre passion qu’est le football. Pendant ses études, il devient membre des Jeunesses communistes colombiennes (Juco), se met à écouter de la musique cubaine, et se nourrit de littérature révolutionnaire. Arrêté lors de manifestations étudiantes, il passe environ deux ans en prison, et n’en sortira que lors de l’amnistie décrétée par le président Belisario Betancur en 1982. Son choix est déjà fait : il prendra les armes. Il change alors son nom en Alfonso Cano. Il se rapproche rapidement de Marulanda, mais décide de partir quelque temps étudier en Russie. A son retour, il intègre directement le secrétariat des Farc, l’organe dirigeant. Son rôle devient de plus en plus important au sein de la guérilla, plus au niveau politique que militaire, et beaucoup de médias colombiens le voit déjà comme «  l’idéologue  » du mouvement.

Âgé de 56 ans, l’homme est plus particulièrement connu pour avoir pris part aux négociations de Caracas et de Tlaxcala en 1991 et 1992 afin de négocier la paix avec le gouvernement colombien. Les négociations échouent, mais Alfonso Cano ne met pas pour autant de côté son action politique : il participera activement à la création du Mouvement bolivarien pour la nouvelle Colombie (MB, bras politique dont « le but annoncé est la conquête du pouvoir politique par une présence tangible, bien que clandestine, dans les zones urbaines » [1]), de même qu’à la création du Parti communiste clandestin (PCC ou PC3).

Quel avenir pour les Farc ?

La mort de Reyes, numéro 2 du mouvement, suivie de celle du leader historique qu’est Marulanda, fait penser aux observateurs et spécialistes que de grands changements vont prendre place ces prochaines semaines.

Dans un éditorial, El Espectator analyse la chose de telle manière : « Il est certes encore tôt pour annoncer le début de la fin des Farc, qui engrangent encore des millions grâce au trafic de drogue et comptent sur des soutiens d’importance à l’étranger ; mais tous ces événements augurent incontestablement d’un profond remaniement interne, nécessaire pour que la guérilla sorte de sa logique guerrière », ajoutant que « cela peut paraître naïf, mais ces désignations sont source d’optimisme  ».

Pour Daniel Pécaut, spécialiste de la guérilla, « affaiblis militairement, les Farc ont besoin d’une sortie politique » [2]. Pour le journal El Colombiano, la désignation d’Alfonso Cano est clairement une « option de paix », comme le pense aussi le ministre de la Défense colombien, Juan Manuel Santos, qui déclarait il y a peu que Marulanda était « un obstacle pour négocier la paix ».

Quoi qu’il en soit, la communauté internationale semble prévoir de nombreux changements, en particulier sur le sujet épineux du sort des otages. Mais, malgré la mort de Manuel Marulanda, les Farc ont toujours comme objectif premier que leur soit reconnue la position de belligérant afin de pouvoir créer leur parti politique en toute légalité. Ce fut le cas avec l’Union patriotique, parti accepté par le gouvernement colombien, qui en profita quelques mois plus tard pour assassiner à peu après 4 000 de leurs membres...

 

Notes :

[1] : « La guérilla se dote d’une branche politique », 10/05/00, par Geneviève Maurer, (correspondante particulière de L’Humanité en Colombie).

[2] « Après la mort de Manuel Marulanda, quelle suite pour les Farc ? », 26/05/08, par Valérie Zoydo (pour 20 minutes)

Crédit photo : "Bandiera de Colombia" par Germán Cabrejo, especial para equinoXio


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