Mexique : Obrador, le nouveau conquistador ?

par Alexis Brunet
mercredi 11 juillet 2018

 

Mexique : Obrador, le nouveau conquistador ?

 

Andres Manuel Lopez Obrador a été élu président du Mexique au premier tour avec 53 % des suffrages exprimés. Alors qu’il vient de prendre le pouvoir avec son parti Morena (mouvement de régénération nationale), où en est son pays ? 

 

Du pain sur la planche 

 

La quinzième économie mondiale est désormais, selon l’OCDE, le pays le plus inégalitaire au monde. Ces dernières années, la sécurité physique de ses citoyens s’est encore plus dégradée : 29 000 homicides en 2017. A qui la faute ? Il semble que le principal responsable reste le PRI (« Parti Révolutionnaire Institutionnel », un sacré oxymore), ce parti qui a pratiquement toujours été au pouvoir au Mexique depuis soixante-dix ans. Ce parti que Mario Vargas Llosa, qui est pourtant loin d’être un gaucho, qualifia de « dictature parfaite ». Sous la présidence de Peña (Enrique Peña Nieto, prédécesseur d’Obrador), comme l’appellent familièrement les Mexicains, le PRI n’a jamais été capable de lutter contre la corruption et les arrangements entre politiciens véreux et caïds de cartels. Et il y a à peine quatre ans, dans l’Etat du Guerrero, 43 étudiants ont payé leur mécontentement de leur vie. 

 

L’ami des petites gens

 

Tandis que de modestes mexicains travaillent de (très) longues journées pour gagner trois sous, la délinquance explose. Et Obrador a su leur parler. C’est qu’il sait parler aux petites gens, Obrador. A ceux -nombreux au Mexique- qui travaillent pour un salaire misérable, leur permettant de manger quelques tacos ou de rembourser leurs emprunts. Au mêmes qui sont las de ne pouvoir sortir le soir sans risquer de se faire dépouiller (voire se prendre une balle perdue), ou se faire carrément séquestrer un de leurs gamins par un cartel local. A ces petites gens, il a su apparaître comme le candidat des sans dents, loin des opulences de ces ringards du PRI, qui utilisent essentiellement la politique pour s’en mettre plein les poches. Lopez Obrador, lui, il va réduire son salaire de moitié, a-t-il promis, et il va transformer le palais présidentiel en musée. Il n’ira pas y vivre, car ce palais est hanté par les fantômes de ses prédécesseurs, a-t-il estimé. 

 

Le quatrième révolutionnaire

 

Obrador a été élu haut la main. De quoi jubiler. Il a déclaré : « la 4ème révolution du Mexique est en marche ». Celui qui se présente comme l’éradicateur de la corruption a promis, comme tout candidat, de créer des emplois, mais aussi, de doubler le salaire minimum et les retraites. Obrador est un tribun. Et comme tout tribun, il ne se prend pas pour rien : il se revendique à la fois du curé Miguel Hidalgo, du président au sang indigène Benito Juarez, et du président « apôtre de la révolution » de 1910, Francisco Madero. Ils ne sont pas des moindres, ces trois-là. Ils sont ceux à qui on rend hommage en fanfare dans ce pays gourmand de commémorations : lors de défilés militaires populaires et colorés, on célèbre les révolutions et la bataille de Puebla, celle où, en 1862, le pays repoussa (temporairement) les arrogantes troupes françaises -suite à d’étranges visées coloniales de Napoléon III. Au pays où l’on festoie avec les morts, il se pourrait même que les trois révolutionnaires aient frémis du fond de leurs tombes, à entendre Obrador. 

 

...serait-il un dangereux dictateur ? 

 

Attendu comme le Messie par une bonne partie de son peuple, Lopez Obrador fait aussi peur à beaucoup d’autres : en sa personne, ne serait-ce pas un nouveau Fidel venant s’implanter au Palacio Nacional ? Il est vrai que Castro et Guevara se rencontrèrent pour la première fois dans un café de Mexico, où ils parlèrent longuement révolution. Dès le soir de son élection, le tribun a donc promis « des changements profonds […] sans une dictature ». De quoi faire fuir les craintes d’une dictature « castrochaviste » ? Rien n’est moins sûr. En mars dernier, une rumeur a été lancée sur Facebook : Obrador n’aime pas les classes aisées, et compte exproprier ceux qui possèdent plus de deux maisons. Son équipe de campagne a volé à son secours, estimant que la rumeur était « totalement fausse et absurde », mais peu importe : il reste pour certains le dangereux populiste mexicain, qui sur le modèle d’Hugo Chavez, souhaite faire du Mexique une dictature socialiste. 

 

Trump « très impatient de travailler avec lui »

 

En 2009, Andres Manuel Lopez Beltran, le fils du président, a été pris en photo avec des tennis Louis Vuitton imaginées par le rappeur Kanye West. Et outre aimer la fête à Mexico, le fiston aimait même –comme l’attesta son compte Facebook- festoyer… à New-York. L’intéressé a alors pris une sage décision : il a fermé son compte Facebook. Le penchant du Mexique pour son voisin du nord ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, le grand peintre David Alfaro Siqueiros, nostalgique de la révolution, trouva l’exil politique à Los-Angeles. Quant à Diego Riveira, l’autre peintre, dont une superbe fresque relate l’histoire du Mexique au sein du palais présidentiel, il n’a jamais caché, contrairement à sa compagne Frida, sa fascination pour le voisin du nord. C’est donc tout logiquement qu’Obrador, lorsqu’il fut maire de Mexico, sollicita en 2000, pour mater la délinquance, les conseils d’un gringo : un certain Rudy Giulani. Que pense Donald Trump de cette élection ? Il a congratulé sur Twitter le nouveau président, et ajouté être « très impatient de travailler avec lui ». Le Mexique et les Etats-Unis, une vieille histoire d’amour et de vacheries. 

 

Vers un nouveau chapitre ? 

 

Le collègue canadien de l’ALENA, en la personne de Justin Trudeau, a été plus sobre : il a exprimé son amitié au président et au Mexique. En Bolivie, l’anti-impérialiste Evo Morales voit dans cette élection « une nouvelle page dans l’histoire de la dignité et la souveraineté sud-américaine ». Et depuis le désormais mythique Venezuela, le très anti-impérialiste Nicolas Maduro souhaite que « s’ouvrent les larges allées de la souveraineté et amitié de son peuple ». Il ratisse large, AMLO (Andres Manuel Lopez Obrador). Peut-être est-ce pour cela qu’il a été si largement élu. Et surtout, parce qu’il a su cristalliser les espérances des Mexicains. Au vu des chantiers qui s’annoncent, il lui sera difficile de ne pas décevoir. Si son mandat tourne au vinaigre, cela devrait faire sourire ses adversaires. A commencer par Jorge Casteñeda, ancien chef de la diplomatie mexicaine, qui estime dans une interview à l’Obs que « Lopez Obrador ne propose que des conneries ». Pour Gustavo Petro, en revanche, candidat malheureux de la gauche colombienne, il se peut que « le Mexique soit dans une nouvelle ère de son histoire ». S’il était encore des nôtres, Carlos Fuentes aurait pu romancer mieux que quiconque les six années qui s’ouvrent. Orphelin de son écrivain, le Mexique devra écrire lui-même ce nouveau chapitre. Et surtout, le pays devra ramasser les pots cassés et construire son avenir. 

 

 

À lire : 

Carlos Fuentes : La volonté et la fortune

Carlos Fuentes : La Mort d’Artemio Cruz

Jean-Marie Gustave Le Clezio : Diego et Frida

 


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