- Môssieu, pas bon tomber malade Ukraine !
par hommelibre
samedi 29 mars 2014
L’Accord de Partenariat Transatlantique (APT, ou TIPP en anglais) pourrait rendre illégal tout moratoire sur les OGM. Les pays membres qui refuseraient d’importer des OGM pourraient être soumis à un tribunal spécial, avec des sanctions économiques (voire l’exclusion du marché ?).
L’APT faciliterait la vente de gaz de schiste américain aux européens. La crise ukrainienne n’est pas perdue pour tout le monde. Obama oblige aussi les européens à se mettre en file devant lui contre l’Ukraine, car il fallait les rappeler à l’ordre. L’affaire des écoutes avait mis à mal l’amitié américano-européenne. En effet le Parlement européen a voté le 13 mars un texte contre les atteintes à la vie privée. Par ce texte il prévient qu’il pourrait refuser de signer l’APT faute de garanties sur le respect de la vie privée. Et ce n’est pas tout.
« ... le TTIP n’est pas le seul accord remis en cause par cette décision forte puisque le « Safe Harbour », destiné à déplacer en territoire américain les données européennes lorsque cela est nécessaire, est lui aussi menacé. Il faut rappeler à ce sujet que la Section 702 de la loi FISA permet aux agences américaines de renseignement d’examiner et analyser les données étrangères si elles sont stockées sur des serveurs situés au sein des frontières du pays. (...)
En plus du TTIP et de Safe Harbour, l’accord entourant le réseau Swift, qui prévoit l’accès complet des autorités américaines aux données bancaires dans le cadre de la lutte anti-terroriste, se voit lui aussi pointé du doigt et remis en cause. »
Bon, mais l’Ukraine avait peut-être des raisons d’être fâchée contre Ianoukovitch. L’Ukraine de l’ouest, oui, puisque l’accord européen prévoyait de l’aider, elle seule, et pas l’est. Cet accord était impossible à signer : il divisait le pays en deux.
Divisait ? Oui et non. Car l’Ukraine de l’est a été dès le IXe siècle le berceau de la Russie, alors que l’Ukraine de l’ouest s’est tournée vers la Pologne. L’ouest, c’était en particulier le royaume de Galicie. Ce royaume a été indépendant, puis fut absorbé par le royaume de Pologne, puis par l’empire autrichien jusqu’en 1914. L’alliance vers l’ouest a été souhaitée dès le XIIIe siècle pour se défendre contre les invasions mongoles. Au XVIIe siècle la Galicie se défendait contre les cosaques alliés aux Tatars de Crimée.
Les autres parties de l’actuelle Ukraine ont suivi en partie la même évolution. Sauf au XVIIIe siècle quand la Grande Catherine, impératrice de Russie, a repris la partie est, qui est restée russe jusqu’en 1918. L’Ukraine en tant que pays n’existe que depuis lors. Il est resté très divisé : durant la seconde guerre mondiale la Galicie a donné à Hitler un bataillon pour combattre les russes. A cause de cette division historique le risque de guerre civile est important.
On sait que l’Europe cherche à s’expanser. Elle est allé démarcher jusqu’en Arménie, pays qui n’est pas européen. Où poser une limite à l’expansionnisme ? Poutine a répondu à cette question : en Crimée, au bord de la mer Noire. Il prive ainsi l’occident d’un accès direct au Moyen-Orient, à la Syrie, et complique un peu plus la construction d’un gazoduc qatari (cause probable de la guerre civile en Syrie). Washington, après avoir traité les européens de haut, vient les mobiliser contre la Russie. Or je ne suis pas certain que la bipolarité où Obama veut les entraîner soit une bonne chose.
L’Europe souffre de ses déséquilibres internes, conséquence d’une construction trop rapide. Elle aurait intérêt à diversifier ses partenaires plutôt que de se soumettre au seul atlantisme. Celui-ci a joué un grand rôle dans son identité et son économie, mais la continentalité fut longtemps le moteur des échanges commerciaux. Seulement voilà. Dans la perspective atlantiste, la Russie progresse et dérange :
« Le pouvoir d’achat des Russes : il a doublé. L’inflation : passée de 100 % à presque rien. La balance commerciale : largement redressée et désormais excédentaire. Le taux d’emploi : en très forte hausse. La dette publique : passée de 90 % du PIB à 10 %. La pauvreté : divisée par 2. »
Le désordre ukrainien crée opportunément une diversion et une tension. Casser la progression de la Russie permettrait à l’empire occidental de continuer son expansion. Politique-fiction ? Faut voir. Ce désordre viserait à soumettre l’Europe, à promouvoir le gaz non-russe, à diviser et casser le rapprochement russo-français initié par Chirac et continué par Sarkozy. Hollande, en valet d’Obama malgré l’humiliation de l’affaire syrienne, envoie des Rafales voler au-dessus de la frontière russo-balte. Le moindre incident et c’est la catastrophe. Hollande est non seulement dépourvu de toute grandeur et personnalité, c’est aussi un va-t-en guerre.
A propos du projet d’accord transatlantique et selon Jacques Nikonoff, fondateur d’Attac et ancien membre de la direction du parti communiste français :
« Il n’y aurait rien à redire si ces négociations entre les USA et l’UE avaient pour objectif de rapprocher les peuples des deux côtés de l’océan. Un tel partenariat, s’il avait pour ambition d’améliorer la prospérité générale, de s’attaquer radicalement aux désastres environnementaux, d’établir des normes de haut niveau en matière de protection sociale, tant du point de vue des soins de santé que de retraites ou de conditions de travail, d’éradiquer définitivement le chômage et la précarité, et donc la pauvreté, susciterait un enthousiasme universel. Il serait un exemple pour le reste du monde.
Hélas, non seulement il ne s’agit pas du tout de cela, mais de l’inverse. La décision prise en Irlande les 17 et 18 juin 2013 est monstrueuse à tous égards. Il s’agit ni plus ni moins de mettre en place un empire euro-atlantique pour restaurer le leadership mondial des États-Unis, de privatiser le droit et la justice en les remettant dans les mains des firmes multinationales, anéantissant ainsi la démocratie, de parachever le libre-dumping qui met en concurrence les travailleurs des différents pays et n’est profitable qu’aux très grandes entreprises. La grande presse évoque un accord de « libre-échange ». Bien sûr, la composante libre-échangiste est présente (parlons plutôt de « libre-dumping » pour ne pas salir les jolis mots de « libre » et d’ « échange »), mais elle est loin d’être l’essentiel. Derrière la perspective impériale des États-Unis il y a, pour la consolider, la volonté de s’attaquer principalement aux « barrières non-tarifaires » que sont les normes sociales, environnementales, alimentaires, techniques, etc. Car en matière de droits de douane il n’y a plus grand-chose à gratter.
C’est un tournant de la géopolitique mondiale qui est train de s’amorcer sous nos yeux, c’est un « OTAN économique » qui se met en place. »
En matière agricole l’APT permettra de faire entrer des produits américains pour lesquels les normes sanitaires sont moins sévères qu’en Europe. Leur coût de production étant souvent moindre, il y aura une concurrence perdante pour les producteurs de l’UE. L’APT sacrifie donc l’Europe avec l’accord de ses gouvernants.
Quant au dumping salarial, l’accord pourrait annuler des normes de protection sociale. Les millions d’ukrainiens qui gagnent actuellement environ 300€ par mois chez eux (même pour un chirurgien) seront ravis de venir bosser en France pour 500€ et de loger à 20 dans 4m2. Les hôpitaux de l’est n’auront plus de personnel. En Roumanie, selon un reportage de Temps Présent du 27 mars, 30% des médecins ont quitté le pays pour l’Europe de l’ouest. Conséquence de la disparité économique intra-européenne. Quand il n’y aura plus de personnel médical en Ukraine, François Hollande invitera les 40 millions d’Ukrainiens, guidés par Léonarda, à demander l’asile et se faire héberger, nourrir et soigner en France.
Il ne fera bientôt pas bon de tomber malade dans un pays de l’est.
Les disparités intra-européennes s’accentuent sous l’effet du marché unique. Si encore celui-ci boostait l’économie générale. Mais ce n’est pas démontré. On ne va pas inventer une industrie là où il n’y en a pas ni à l’écart des grands couloirs de population.
La soumission atlantiste n’est pas souhaitable. L’Europe doit être à la fois atlantiste et continentale. Les dirigeants européens étant inféodés à Washington, ils n’entendent pas cette nécessité. Et personne n’osera quitter l’Otan, la tension actuelle venant opportunément la relancer.
La fracture d’avec la population risque de s’agrandir. La guerre est bientôt, malheureusement, le dernier moyen des dirigeants pour imposer l’empire. La première chose est de redonner une indépendance à l’Europe. Puis d’aller parler avec Poutine, d’entériner le rattachement de la Crimée (il le sera de toutes façons, autant ne pas attendre) et de passer à une publication des délibérations sur l’APT. Et même de prévoir un référendum dans tous les pays européens à ce sujet. C’est la moindre des choses, tant l’avenir est engagé par ce projet.
Il ne faut pas se laisser enfumer par l'Ukraine.