Moubarak : il n’y a pas pire sourd

par Daniel Salvatore Schiffer
vendredi 11 février 2011

Rarement discours de chef d’Etat aura-t-il été autant attendu, par un peuple tout entier, que celui prononcé, ce jeudi 10 février 2011, par Hosni Moubarak, président d’un pays, l’Egypte, en train d’accomplir, grâce à une jeunesse éperdument éprise de liberté démocratique, une révolution historique au sein du monde arabo-musulman.

Mais voilà, ce discours, après le fol espoir suscité par une invraisemblable dose d’intoxication médiatique tout autant que politique, a soudain laissé place, par la déception qu’a engendré sa consternante vacuité, à une encore plus grande colère, en tout point justifiée, auprès des protestataires de la place Tahrir, centre névralgique de ladite révolte.

Mais, surtout, que Moubarak s’accroche aussi désespérément au pouvoir, en en concédant quelques miettes à un vice-président qui n’en est que sa propre caricature, Omar Suleyman, montre à quel point il n’a pas pris la mesure, déconnecté qu’il semble désormais de toute réalité, de la gravité de la situation.

A croire que, retranché derrière un aveuglement aux allures d’autisme, il ne voit pas la foule s’agiter de plus en plus violemment à l’encontre de sa personne, dont elle ne peut même plus apparemment supporter, après trente ans d’un règne absolu et sans partage, la seule présence face à une caméra de télévision.

Certes n’y a-t-il pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, comme le dit l’adage populaire, mais la clameur de la foule de la place Tahrir était si intense et même impressionnante, ce jeudi, qu’il est à se demander ce que, en de telles conditions et par-delà toute considération d’ordre géostratégique, cherche réellement, contre tout bon sens, Moubarak, sinon, au terme de ce qui apparaît ainsi comme un irresponsable et dangereux sommet de provocation, un bain de sang, si ce n’est la guerre civile, en ce pays qu’il dit, paradoxalement, tant aimer.

Ainsi, plus qu’un réel patriote, est-ce un indigne despote, incroyablement orgueilleux et étonnamment décalé, soucieux de s’auto-édifier sa propre et seule statue au regard de la postérité, que nous avons vu aussi inutilement gesticuler, pathétique et arrogant à la fois, sur les écrans du monde entier. Et ce, comble de la mauvaise foi, en s’en prenant, contre toute logique politico diplomatique comme toute vérité factuelle, à ces mêmes puissances étrangères qui n’ont fait au contraire, souvent contre vents et marées, de le soutenir tout au long de ses trois décennies d’impitoyable dictature militaire.

Bref : Moubarak, en cette insurrection, n’a rien compris - ou feint de ne pas l’entendre - aux exigences de son peuple, dont la première, impérieuse, est qu’il s’en aille illico presto. Et qu’il parte effectivement au plus vite, sans plus attendre, car à force de vouloir sauver à tout prix sa tête, celle-ci pourrait bientôt se retrouver furieusement charriée par les sanglants caniveaux de l’Histoire !

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

* Philosophe, écrivain.


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