Moyen-Orient : la paix ou la guerre totale

par Renaud Delaporte
lundi 5 mars 2007

Atermoiements ? Principaux objectifs atteints ? Coup de vent d’est sur la bourse ? Les premiers signes d’une pause dans une offensive irakienne sont apparus avec la déclaration de Condoleeza Rice, qui venait en contrepoint de l’affluence annoncée de porte-avions et de navires-supports de débarquement dans le golfe Persique. De son côté, le Mossad annonçait ne pas envisager un conflit ouvert avec la Syrie tout en déplorant la présence des troupes de Damas le long de la frontière. L’acceptation par Washington d’une conférence à Bagdad accorde un répit à la montée des tensions. En pleine mobilisation de l’opinion publique, il faut voir dans cette pause un réel besoin de souffler au sein de l’administration Bush.

Gérer une montée de crise dans l’opinion publique requiert de respecter avec rigueur un processus bien déterminé. Il convient de présenter des menaces successives qui, prises individuellement, génèrent des craintes. Ensuite, d’en rapprocher le contenu afin que ces craintes se mêlent et dégénèrent en peur. Dans un troisième temps, d’apporter l’élément déterminant qui emportera l’adhésion à l’action proposée afin d’écarter tout danger. On l’a vu avec la Yougoslavie, l’Irak, la Corée du Nord ; on relit ce même scénario dans le problème iranien. En soi, une bombe iranienne génère des craintes. Ahmedinejab est incontrôlable, donc la bombe plus le président iranien c’est l’apocalypse assurée. La preuve, c’est qu’il attaque des Américains en Irak. Une riposte à une provocation devrait servir d’étincelle. Tous ces éléments en place, pourquoi s’arrêter et négocier ?

La réponse ne provient pas d’une faille du scénario si bien rodé. Il faut chercher ailleurs. Le contexte de sa mise en œuvre a notablement évolué ces dernières semaines. Plusieurs pistes sont envisageables.

Une crise mondiale.
La première, et sans doute la plus sûre, conduit à la pression internationale. Les crises précédentes étaient circonscrites, soit de bonne foi, soit avec une hypocrisie très diplomatique, à des crises régionales. La crise iranienne menace directement les intérêts russes et chinois au Moyen-Orient et dégénère depuis un moment en crise mondiale (au plus grand profit des mollahs, qui ont tout fait pour cela  !). Les consultations internationales de haut niveau s’accélèrent. La difficulté avec laquelle le Conseil de sécurité de l’ONU s’accorde sur des sanctions contre l’Iran démontre combien Russes et Chinois renâclent à mettre en difficulté l’économie iranienne, prélude, du point de vue américain, à un renversement du régime. Russes et Chinois pèsent de tout leur poids contre toute agression envers l’Iran. La rencontre entre les ministres des Affaires étrangères de ces deux puissances avec leur homologue indien à New Delhi le 14 février, qui s’est terminée par une condamnation sans équivoque de toute solution militaire, a donné une nouvelle impulsion à la conférence de Shanghai. Créée pour devenir à terme une OTAN eurasienne, la conférence rassemble la Russie, la Chine, le Kazakhstan, la Kirghizie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Les dirigeants de l’Inde, de Mongolie, d’Iran, du Pakistan et de l’Afghanistan étaient invités lors de sa dernière réunion à Douchanbe en octobre 2006. L’OSC peut devenir, en quelques années, un bloc apte à soutenir une résistance des pays non-alignés à l’expansion américaine pourvu que ses dirigeants s’accordent à manifester cette ambition d’une même voix et ne laissent pas Poutine monter seul au créneau. En accordant à l’Inde plus de liberté dans ses recherches nucléaires que n’en réclame l’Iran, Bush a essayé de casser cette dynamique. Les conclusions de la rencontre de New Delhi ne sont rien de moins qu’un pied de nez.

La technique de désinformation butte sur ces lignes de résistances qui commencent à dessiner un front solide. La menace contre l’Occident ne suffit plus à légitimer une action militaire contre l’Iran. Il faut prendre le temps de construire une menace sur le monde. Nous revenons ici à un scénario Bzrezinski évoqué le mois dernier dans ces colonnes.

Menaces d’extension de la guerre asymétrique.
La deuxième piste mène à un changement radical dans la nature du conflit. On ne dira jamais assez qu’en n’autorisant pas le COS français à " stopper " Ben Laden, l’administration Bush a prouvé le rôle essentiel qu’al-Qaida occupe dans sa stratégie de domination. Les spin-doctors de Washington chargés de maintenir la peur sur la planète n’ont pas chômé  : al-Qaida est au boulot pour jouer le méchant menaçant le monde entier. En vrai. Les premiers signaux sont venus du journal en ligne Asia Times Online, repris par Questions Critiques. Il est question d’une résurgence économique et opérationnelle d’al-Qaida ainsi que de fusées de construction amateur, les fusées Abeer, capables de porter à 120 kilomètres une charge de 20 kilos pouvant contenir des armes chimiques, biologiques et nucléaires. Il serait intéressant de connaître à ce sujet l’avis d’un praticien des propulseurs à poudre sur la faisabilité de l’engin par des non-professionnels. Les ingrédients ne doivent pas être en vente dans la droguerie du coin de la rue. La réalisation de l’engin nécessite l’intervention de professionnels qualifiés et d’un équipement adéquat. Nous sommes loin de la bombe artisanale assemblée à la hâte dans un coin de cuisine.

Autre remarque qui vaut son Oscar en moutarde : à qui profiterait de fournir à al-Qaida une bombe nucléaire de 20 kilos ? Les nominés sont : la Russie, la Chine, la France, l’Angleterre, les Etats-Unis et Israël. Chacun de ces Etats possède des armes nucléaires miniaturisées. L’Inde et le Pakistan ? Leur capacité de prétendre à cette participation reste à prouver. L’Iran et la Corée du Nord n’en ont aucun moyen. Quelques unes sont sorties d’Ukraine lors de la débandade de l’Union soviétique, mais dans quelles mains ? Les services secrets des principales puissances, après toutes ces années, l’ignoreraient encore  ? La question reste entière. La peur, elle, parcourra son chemin. Les cibles ? Le monde entier mais plus sûrement l’Eurasie afin de bien faire sentir à ses populations inconscientes du danger la nécessité de représailles que seule l’Amérique peut mener à bien. Un nouveau 11-Septembre sur le territoire américain pourrait se révéler funeste à une administration qui, cette fois, payerait comptant son incapacité à faire face à la menace.

La poursuite du programme de domination de l’administration Bush changerait alors de nature et s’orienterait vers une guerre asymétrique, cette fois-ci-ci menée par les Etats-Unis, dont al-Qaida serait l’exécuteur.

Représailles boursières.
Une troisième piste, enfin, mène à une menace économique. Pour la Chine, le problème se pose dans des termes simples et clairs. L’empire du Milieu ne peut poursuivre son programme économique et satisfaire le développement de sa population que dans un contexte pacifique. Le PNB par habitant n’est que de 3 dollars et, chaque semaine, des manifestations de mécontentement sont réprimées. Le régime ne tient que par sa capacité à tenir la promesse du chinese way of live : le développement de sa classe moyenne. Elle ne dispose pas des moyens économiques suffisants pour obtenir une parité militaire avec les Etats-Unis. Elle n’a aucun moyen non plus de participer directement sur le terrain à la lutte contre al-Qaida. Elle dispose cependant d’une arme de destruction massive propre à rafraîchir les ardeurs les plus belliqueuses : le dollar.

La Chine a provoqué le petit séisme qui a animé la planète boursière cette semaine en annonçant qu’elle allait prendre des mesures contre la spéculation. La bourse de Shanghai a plongé aussitôt, entraînant les autres bourses mondiales dans le trou d’air. Les Chinois sont tout sauf naïfs et connaissent tout des arcannes de la spéculation internationale depuis l’ouverture de la route de la soie, il y a deux mille cinq cents ans. L’annonce concomitante de ce coup de semonce et de la conférence de Bagdad, qui, selon Iran-Resist, aurait été réunie à l’instigation des mollahs eux-mêmes, ressemble bien à un fait exprès. Il signale à l’administration Bush que la prospérité chinoise repose sur la paix et qu’en cas de conflit l’empire du Milieu ne saurait renoncer à cette prospérité qu’en liquidant le dollar. Dans le cas d’une refonte du système financier international, ne nous faisons aucune illusion : la Chine disposerait dans ces circonstances de plusieurs longueurs d’avance. Elle fait sa fortune sur la réponse aux besoins d’équipement des plus pauvres, et non sur la satisfaction des envies des nantis. Ses marchés seraient moins gravement perturbés par une grave crise économique que les marchés des puissances occidentales. Les ventes de vêtements à bas coût et d’accessoires de cuisine en plastique baisseraient beaucoup, mais celles des avions, des voitures de luxe et des ordinateurs s’effondreraient complètement. Si les économistes écartaient jusqu’à présent l’utilisation de cette arme ultime qu’est la destruction massive du dollar, il se pourrait que l’avertissement marque jusqu’où il ne faut pas aller trop loin.

Nous rentrerions alors dans une nouvelle phase du conflit du Moyen-Orient : la paix ou la ruine. De quoi faire réfléchir les actionnaires du complexe militaro-pétrolier.

Servis. Nouvelle donne ?
Ces actionnaires ont obtenu, en échange de l’organisation de cette conférence, que soit promulguée en Irak la loi du pétrole qui leur accorde un droit de pillage irrévocable pendant soixante ans sur les hydrocarbures irakiens. La corrélation de l’ensemble des événements de cette semaine permet de penser que les menaces de guerre au Moyen-Orient viennent de changer de nature. L’administration Bush sait qu’elle doit maintenant soit s’engager dans un conflit total, diplomatique militaire, et financier, soit quitter la scène avec le magot encaissé et de reconnaître sa défaite.

Ce dernier point, hélas, risque de la pousser à l’irréparable. De nouvelles armes nucléaires sont en préparation aux Etats-Unis. Elles seront opérationnelles en 2008 et la construction en série de leurs vecteurs hypersoniques impossibles à intercepter a commencé. Il pourrait être temps, pour la France, et pour tous les pays de l’Eurasie qui en font partie, de quitter l’OTAN afin d’adhérer à l’OSC. Ne serait-ce que pour permettre aux troupes d’élite française de ne plus être empêchées de liquider Ben Laden puisque, semble-t-il, elles en sont seules capables.

Renaud Delaporte

Parmi les sources :

Questions Critiques

Contreinfo

Iran-Resist

...et les différents articles et liens repris sur mon blog

Photo : Al-Qaida via Questions Critique


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