Nicolas Sarkozy reçoit Hugo Chavez pour parler otage

par Daniel Duquenal
mardi 20 novembre 2007

Le président français Nicolas Sarkozy va recevoir mardi à déjeuner le président vénézuélien Hugo Chavez. La raison principale est de demander au président vénézuélien où en sont ses démarches pour essayer d’obtenir la libération de la plus connue des dizaines d’otages de la FARC en Colombie, Ingrid Betancourt.

J’ai bien peur que le Quai d’Orsay serve mal le président français. Cela n’est pas la faute de Bernard Kouchner qui fait du bon boulot là où on a besoin de lui. Mais M. Kouchner ne peut pas tout faire : je doute beaucoup que l’Afrique et le Moyen-Orient lui laissent le temps nécessaire pour pouvoir bien comprendre l’imbroglio colombo-vénézuelien. Donc il faut supposer qu’il y a quelqu’un au Quai qui s’occupe de ces sujets.


Evidement après ses succès relatifs en Libye et au Tchad, il semble que le président français ait pris goût à ces coups d’éclats qui le maintiennent sur le devant des pages de la presse. C’est plus ou moins ce que Chavez fait, mais avec beaucoup moins d’élégance et de style que Nicolas Sarkozy. Pour le panache, la France c’est quand même la France, même encore de nos jours. Nous ne savons pas encore très bien ce que va nous coûter cette diplomatie « high flying », mais nous pouvons être sûrs qu’il y a une note derrière tout cela. Cette note pour une intromission dans le guêpier de la Farc et ses voisins d’être beaucoup plus salée que ce que le gouvernement français puisse imaginer en ce moment.

Tout d’abord, quelle est cette obsession à vouloir libérer Ingrid Betancourt ? Ici, au Venezuela, Ingrid n’est simplement qu’un otage parmi tant d’autres. Oh, on n’est pas méchant, on compatit pour elle, c’est affreux d’être pris en otage pour si longtemps pour des raisons tant politiques que mercenaires. Mais voyez-vous, au Venezuela, même nous avons au moins 47 citoyens en captivité d’après le gouvernement et plus de 150 d’après les ONG qui s’occupent des otages. Même si le gouvernement avait les chiffres exacts, il est quand même scandaleux que celui-ci admette la croissance constante du numéro d’otages vénézuéliens : deux en 2001 et en 2002, trois en 2003, cinq en 2004, six en 2005, onze en 2006 et dix-huit en 2007 au 27 août (chiffre qui a augmenté depuis). Peut-être le président Sarkozy pourra avoir la gentillesse de demander à Hugo Chavez de s’occuper des otages vénézuéliens aussi, de nous en faire libérer quelques-uns avec Ingrid, histoire de faire un prix de gros ? Et je ne vous parle même pas des dizaines et des dizaines d’otages de la Farc en Colombie, je ne fais que prêcher pour ma paroisse.


Mais il y a plus grave : le président français risque de se faire berner par Hugo Chavez. Celui-ci fait face à une campagne électorale plutôt difficile alors il cherche à changer la constitution de 1999 de façon profonde. Ces changements-là rendront pratiquement impossible toute alternance politique soit avec une opposition, soit même à l’intérieur du mouvement chaviste. Certains comme M. Ramonet du Diplomatique voudraient nous faire croire à un changement démocratique, mais la vérité est que, avec la modification de 69 articles (69 !), Chavez deviendra président à vie et l’opposition aura du mal à s’accrocher même à quelques mairies. Par exemple, l’équivalent de Neuilly dans la région de Caracas, Chacao, pourrait être ravie à l’opposition sur simple décret présidentiel pour créer une « zone spéciale de développement » de nature provisoire, le provisoire étant déterminé par l’exécutif du palais présidentiel et non pas par les habitants du lieu dit (une discussion approfondie sur certains articles de cette nouvelle constitution peut être lue ici en anglais ou en espagnol, discussion réalisée par un groupe d’internautes liés à mon blog).


En d’autres mots, Nicolas Sarkozy est en train d’aider indirectement Hugo Chavez à mettre fin d’une façon légale à la démocratie vénézuélienne en lui offrant à un moment délicat une plate-forme internationale que Chavez saura très bien exploiter. Il est d’ailleurs fort curieux de voir des doutes exprimés chez le Parti socialiste français qui a l’air plus informé que le gouvernement sur la réalité vénézuélienne. Libération et Le Monde depuis 2-3 ans ont d’ailleurs été en général plutôt très critiques envers Chavez.

D’ailleurs

Le Monde, lui, reçoit Chavez avec un éditorial des plus sévères.

Il est bon de rappeler que déjà le président Chavez a malmené les intérêts français au Venezuela. Il y a encore trois ans, Total pensait avoir de juteux contrats au Venezuela. Ils avaient tout fait pour cela, tous les ronds de jambes possibles, même, la rumeur court, en refusant d’employer des Vénézuéliens d’opposition. Et tout cela pour rien, Total s’est fait expulser comme bien d’autres compagnies.


Hugo Chavez n’a aucune parole, ne pense qu’à ses intérêts personnels et fera payer très cher toute faveur qui lui sera demandée. Il traira dès que cela lui conviendra. Il suffit de regarder les derniers événements avec Zapatero et le roi d’Espagne qui pourtant firent tout leur possible pour l’amadouer. Une fois que Chavez fut reçu par le roi, que Zapatero le fit briller à Caracas, cela devint rapidement une descente au enfers pour le pauvre Moratinos pourtant, dit-on, ami et conseillé par Ramonet qui pourtant a chanté les louanges de Chavez avec un goût douteux.

Il est quand même assez grave que, pour des intérêts qui ne sont même pas très clairs pour la France, son gouvernement veuille prendre des risques graves, aider à faire la fortune d’autocrates en puissance, tout ça pour libérer une otage qui pour plus célèbre qu’elle soit n’en est qu’une parmi tant d’autres. On pourrait souhaiter un peu plus d’insistance de la part de la France au sujet des autres otages qui eux souvent sont des victimes tout à fait innocentes. N’oublions pas qu’Ingrid s’est fait prendre dans une zone où l’armée colombienne ne lui garantissait pas la moindre protection et où elle est quand même allée pour essayer de remonter dans les sondages d’opinions qui la plaçaient très loin derrière Uribe il y a cinq ans. Il est bon de reconnaître son risque et son audace, mais cela n’est pas une raison pour risquer l’avenir des autres otages, et même du peuple vénézuélien. Les trois cents manifestants vénézuéliens qui se sont réunis à Paris ce week-end malgré les grèves ont montré leur inquiétude face aux possibles conséquences de la visite de Chavez. J’en ai tiré la photo qui illustre la conclusion de ce billet.


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