« Nif » et Manif !

par GHEDIA Aziz
mardi 11 janvier 2011

Il y a un peu plus de vingt ans, nous avions vécu les évènements dramatiques du 5 octobre 88. A l’époque, les manifestations (qui avaient commencé à Bab El Oued) étaient l’œuvre d’enfants et d’adolescents ; ce qui avait fait dire à certains responsables politiques du parti unique (le FLN) qu’il ne s’agissait que « d’un chahut de gamins » ; or, ce chahut de gamins avait, malgré tout, abouti à la naissance du multipartisme en Algérie et d’un début de démocratisation des mœurs politiques. Il avait engendré aussi une multiplication des titres de la presse écrite à tel point que le monde arabe nous enviait pour cette expérience unique et surtout pour le ton très libre de certains journaux qui n’hésitaient pas à dénoncer certaines pratiques mafieuses de certains Généraux qui s’adonnaient à l’import-import, par exemple. Et, le quotidien qui avait exhumé le plus d’affaires scabreuses était sans conteste le « Matin » de Mohamed Benchicou qui a eu, par la suite, des démêlés avec la justice jusqu’à sa disparition pure et simple de la scène médiatique. 

Rappelons-nous aussi des débats politiques télévisés, contradictoires et houleux en même temps, que nous avions eu maintes fois l’occasion de suivre sur notre « Unique ». Le face à face de Saïd Sadi du RCD, un laïc avéré et de Abbes Madani du FIS qui croyait fermement en « l’Islam est la solution », pour ne citer que cet exemple, a été un moment de pur plaisir pour ceux et celles qui suivaient ces débats politiques et qui espéraient du fond du cœur que l’Algérie s’engage résolument dans la voie de la démocratie. 

L’avènement du FIS, dans le sillage de cette démocratisation, a grandement contribué à fausser la donne politique puisque, ce parti à caractère religieux, en s’estimant être lésé et privé de sa victoire électorale aux législatives de 1991, s’est carrément engagé dans une voie qui a mené l’Algérie vers la ruine : la lutte armée. 

L’ex Président Chadli Bendjedid, une fois écarté du pouvoir par la « grande muette », s’était muré dans un silence quasi absolu. Ce n’est qu’il y a à peine quelques mois que sa langue s’est quelque peu délié et qu’il a commencé à évoquer ces évènements dramatiques et à donner sa version des faits. Pour lui donc, il ne fait pas l’ombre d’un doute que ces évènements n’avaient rien de spontané ; ils étaient bel et bien commandités par une frange de ce qu’on appelait communément les « caciques » du FLN, ceux qui voyaient d’un mauvais œil la démocratie qu’il essayait d’appliquer en Algérie. Et ce pour une raison simple : ils avaient peur de perdre les privilèges que leur octroyait le parti unique. Ces révélations ont été faites lors d’une interview qu’il a donnée récemment à deux journalistes japonais. Toujours est-il qu’au vu de ce qui vient de se passer ces jours-ci, Chadli Bendjedid devrait se réjouir du fait que l’Histoire ne retiendra pas que seul son règne ait été entaché de drames, de larmes et de sang pour les algériens . Car, effectivement, lors de la décennie 90 l’Algérie a frôlé la guerre civile. On a tendance à occulter ce fait mais c’est une réalité que nous devons admettre aujourd’hui. Il a fallu aux services de sécurité (tous corps confondus) des années de lutte et d’acharnement pour en arriver à bout. Bien sûr qu’il reste encore quelques groupuscules de gens irréductibles dans les maquis mais leur capacité de nuisance s’est nettement amoindrie.  

« Les mêmes causes engendrent les mêmes effets », a-t-on l’habitude de dire.

Et à ce propos, je suis tenté de reprendre, ici, cette boutade du héros de Dien Bien phu, le Général Giap, qualifiant l’impérialisme (américain) de « mauvais élève car il n’apprend pas ses leçons » mais en la retournant contre le gouvernement algérien qui, lui aussi, a oublié la leçon du 5 octobre 1988 ! N’est-ce pas que les revendications exprimées par des jeunes en colère sont directement liées à la cherté de la vie et aux dernières augmentations des prix des produits de première nécessité ? Un gouvernement qui se targue d’avoir engrangé 155 milliards de Dollars  

Aujourd’hui, force est d’admettre que l’Histoire se répète. Nous assistons pratiquement aux mêmes évènements (que ceux de 88) qui secouent l’Algérie d’Est en Ouest. Sauf que cette fois-ci ce ne sont pas des enfants et des adolescents qui incendient les édifices publics MAIS ce sont des adultes ou en tous cas des jeunes ayant largement dépassé la vingtaine qui pillent et saccagent. Il a fallu que Bab El Oued éternue pour que toute l’Algérie s’enrhume et … s’embrase ! Pourquoi ? Est- ce parce que la misère est partagée et s’étale à tout bout de champ dans un pays qui est paradoxalement riche ? Il est vrai qu’en Algérie, le chômage est important et les salaires de ceux qui ont la chance d’occuper un poste de travail sont généralement bas et ne permettent pas de joindre les deux bouts. Mais, il n’y a pas que ça qui explique cet embrasement généralisé. Le ras-le-bol est général et ce pour un tas de raisons. Cela pourrait aussi s’expliquer, du point de vue sociologique, par cette « açabia », cet esprit tribal largement commenté par Ibn Khaldoun dans ses Prolégomènes qui nous caractérise nous autres Nord-Africains. Je n’ai pas dit « Algériens ». Car cet esprit tribal concerne aussi nos voisins Tunisiens. Revoyez le film de ce qui s’est passé chez eux. Pendant plusieurs jours, leurs manifestations étaient pacifiques et bien encadrées, sans casse ni heurts. Puis par un phénomène de mimétisme, ils sont passés à un stade supérieur et se sont mis, eux aussi, à saccager et à piller. Tout comme en Algérie où les villes et régions rivalisaient dans la destruction des biens tant étatiques que privés. C’est une question de « nif » en quelque sorte. 

On essaie d’établir un parallèle entre le 5 octobre 88 et le 5 janvier 2011 mais en réalité la situation actuelle est très différente de celle d’il y a 22 ans. 

En octobre 88, les éléments majeurs qui avaient mis le feu aux poudres étaient de deux ordres :

  L’un, politique à savoir un système politique qualifié à l’époque par ses détracteurs de « socialisme de la mamelle » mais qui, en réalité, se caractérisait par des inégalités sociales criardes.

 L’autre, économique dû principalement à le chute du prix du baril du pétrole qui a fait que l’Algérie s’était vite trouvé pratiquement en cessation de paiement ; Je ne prétends pas pouvoir en rendre compte comme le ferait un économiste, mais il est de notoriété publique que, jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, l’économie de l’Algérie est une économie de rente. Elle est basée principalement sur l’exploitation et l’exportation de ses richesses naturelles à savoir le pétrole et le gaz. A elles seules, ces deux matières premières constituaient pratiquement 98 pour cent de nos recettes en devises. Plus de vingt ans après, rien n’a changé. On continue à « manger » notre pétrole. Les Algériens n’ont d’yeux que pour les places boursières internationales où se décide la valeur du baril du pétrole. On comprend ainsi mieux pourquoi le dernier scandale de corruption qui a éclaboussé notre mère nourricière, la SONATRACH, ait laissé des traces indélébiles dans le subconscient des jeunes et moins jeunes qui manifestent de façon extrêmement bruyante aujourd’hui. 

 L’intervention du FMI et de la Banque Mondiale pour « conseiller » l’Algérie, car sollicités pour des emprunts en liquidité, avait encore aggravé la situation par les conditionnalités que ces deux institutions avaient imposé au gouvernement algérien. Or, on le savait, ces conditions étaient très difficiles à supporter par une population qui manquait cruellement déjà du strict minimum. Ce qui devait arriver arriva donc. Passer sous les fourches caudines du FMI n’est pas une simple affaire. Les Grecs, dont le pays n’a du son salut qu’à l’intervention rapide et énergique de l’Union Européenne, en savent peut-être quelque chose !

A suivre


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