Nouveaux syndicats du secondaire en Algérie

par Tahar Hamadache
vendredi 30 mars 2007

Il en est des choses remarquables dans la dynamique des lycées dans notre pays, depuis 2003. La plus saillante en est le passage massif des enseignants du secondaire, adhérents de la Fédération nationale des travailleurs de l’éducation (FNTE), dépendante de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), pour une bonne partie, à la multiplication de cadres d’organisations spécifiquement secondaire. Mais il y en a de meilleures.

Sur le plan sémantique, cela nous donne déjà le mot « secondaire » qui devient synonyme de « différent », de « visible », voire de « supérieur », rapport fait aux enseignants d’autres paliers et autres corps. Si cela laisse le loisir de constater que l’UGTA n’arrive plus à s’imposer dans le secteur de l’éducation, cela ne manque pas dae donner à penser que les autres syndicats, autonomes, manquent de capacité à intégrer les collègues du secondaire, intégrés dans l’éducation souvent sans passer par les Instituts de technologie de l’éducation (ITE). Une telle problématique devient d’autant plus pertinente qu’elle suppose que l’acteur éducatif en Algérie a encore beaucoup à gagner en matière de rapprochement mental, et en termes de représentations symboliques.

Il n’est pas impossible que les collègues enseignants du secondaire soient moins soumis aux traditions, tant scolaires que culturelles, et ce, qu’ils s’inscrivent dans des tendances plutôt libérales ou plutôt intégristes. Ce qui serait susceptible de constituer une disposition mentale, collective même si elle est loin d’être sociologique, à la privatisation de l’enseignement si ce n’est de l’école ; pareille hypothèse n’arrangerait- elle pas, si elle venait à se vérifier, les affaires de la mondialisation sur le terrain des opérations éducatives en Algérie ? On verra bien, lorsque la mouture finale du nouveau Statut particulier des travailleurs de l’éducation sera connue, de quel côté pencheront les conditions de recrutement, de confirmation et d’intégration du personnel enseignant.

Le passage massif de la FNTE , et d’un état de non représentation, à la multiplication des cadres d’organisation dans le cycle secondaire s’est concrétisé notamment par la naissance :

1- De la Coordination des lycées d’Alger (CLA) qui devient Coordination des lycées d’Algérie ;

2- De la Coordination nationale des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (CNAPEST) qui a, à son tour, enfanté du SNAPEST ;

3- De la dernière née, la Coordination nationale des lycées techniques et technicums.

On passe ainsi :

- De l’organisation sectorielle (éducation, telle que le SNTE ; éducation et formation, telles que SATEF et UNPEF) à l’organisation corporatiste (CNAPEST, CLA) ;

- Et de l’organisation corporatiste à l’organisation « filiériste » (CNLTT) ;

- De l’organisation par wilaya (CL Alger) à l’organisation nationale (CL Algérie) ;

- De la mobilisation autour des droits sociaux et socioprofessionnels à la mobilisation autour du fonctionnement des établissements (Emir Abdelkader d’Alger), et autour d’objectifs relevant de l’orientation et de l’organisation scolaires ainsi que du contenu pédagogique de l’enseignement (Revendications de la CNLTT ).

Cette dynamique, prise dans son ensemble, est largement spontanée. Chaque mouvement singulier la caractérisant est toutefois porté par une conscience de plus en plus collective et aigue, quoique souvent appelée à être davantage mise en valeur.

Les syndicats sous le vent des réformes

Dans sa spontanéité, elle rend hommages au ‘’petit vent’’ des réformes qui berce les institutions, dont celle de l’éducation et de la formation. Elle rend compte aussi des difficultés que ces réformes rencontrent dans leur avancée : résistances sociopolitiques ; résistances culturelles et mentales ; résistances socio-économiques. Il y a aussi la libération d’une pression accumulée lors de l’intenable statu quo des deux décennies précédentes notamment ainsi qu’un manque d’inspiration chez les meneurs des réformes qui auraient pu engranger un sentiment de délivrance au lieu de l’état actuel des choses s’ils avaient pu ou su aller à un plus de transparence et de participation.

Le SATEF ne s’y était pas trompé lors de l’élaboration de son projet éducatif à la veille de son Congrès de 2001. Conçu pour parer à toute éventualité entraînée par la Commission nationale de réforme du système éducatif (CNRSE) dont on ignore toujours le détail des travaux, le projet alternatif du SATEF, non seulement préparait le terrain des luttes ayant trait à tous les volets de la société éducative, dont pédagogiques, capitalisait l’histoire de l’éducation au sein de notre société en remontant aussi loin que l’alphabétisation assurée par les mères targuies et par les mozabites à leurs enfants et rehaussait les réalisations de la révolution de Novembre et de l’Indépendance en en relevant objectivement les manques et les manquements. C’est qu’il y avait autant besoin d’évolution, de dénouement du statu quo antérieur, que devoir de vigilance quant à la sauvegarde des acquis des luttes antérieures.

Espoirs et risques des réformes

Mais le risque véritable résidait dans l’éventualité de sombrer dans une situation où les acquis sociaux seraient remis en cause par la mondialisation et la course à la « stabilisation » de la stratification sociale avantagée par des épreuves encore récentes confinant de larges pans de la société à la passivité, voire à l’ébahissement, les reliquats mémoriaux neutralisant, pour le reste, des segments entiers mutuellement. Il n’échappe à personne que la mondialisation en Algérie menace les idéaux les plus généreux et les plus consensuels de Novembre 54, comme il n’échappe personne aussi que la tentation de substituer des éléments -qui méritent un meilleur ‘’management’’-, dits identitaires (à la différence, par exemple, du caractère démocratique et social de la République que l’on a tendance à oublier sur les frontons des institutions) , aux idéaux et acquis de la Révolution est présente et a pour objet d’amortir les ‘’conséquences’’ de la ‘’mondialisation dans chacune des nations’’, en l’occurrence la notre. Au plan stratégique, on peut ainsi suspecter les auteurs de la loi du 23 février 2005 de chercher en premier lieu à favoriser le règne de la mondialisation en faussant l’optique et les débats tout en tablant sur l’éventualité d’une génération spontanée, dépolitisée, ce que trahit le recours de plus d’un responsable français au pitoyable argument de « plus de 70 pour cent des algériens jeunes » supposés ne rien savoir de la guerre et doc n’attachant autant ‘importance aux idéaux de Novembre qu’aux historiettes de leurs grands-mères.

Le projet éducatif ne pouvant tout contenir, il y eut un projet social du SATEF, à côté du projet proprement syndical. D’autres difficultés, proprement imprévues et originales, ont fait en sorte que ces prévisions et ces projets n’ont pas été accompagnés de larges campagnes et mobilisations. Ceci ne signifie néanmoins pas que rien n’avait été fait depuis : ces idées ont fait leur chemin, y compris au sein des structures corporatistes nouvellement apparues à la scène syndicale.

L’évolution de cette dernière, et la prise de conscience grandissante de l’opinion publique à la chose éducative aidant, on peut d’ores et déjà s’attendre à ce que les derniers tabous entourant le système éducatif soient levés, y compris l’enseignement des langues maternelles et de l’histoire ainsi que la gestion de l’enseignement et de la formation religieux dans tous les aspects concernant ces derniers. Il ne serait par ailleurs pas surprenant de voir fleurir plus d’une vision alternative de l’éducation pour l’Algérie.

Ce ne pourra être que bénéfique, à long terme, quand on songe que cela assoit les fondements de la participation active des bases populaires, militantes et travailleuses à l’instauration de nouveaux équilibres nationaux et à leur mises à jour ponctuelles au gré du renouvellement périodique du contrat pour l’égalité démocratique et sociale des chances.


Lire l'article complet, et les commentaires