Obama, Israël et les révolutions arabes
par antoine
jeudi 23 février 2012
Lors de la conférence politique de Herzliya du 6 au 9 février dernier, le patron de l’armée Israélienne, Amos Gilead, déclarait sans ambages que « dans le monde arabe, il n’y a pas de place pour la démocratie, c’est un fait : [Israël] préfère la stabilité ». Cette intervention pourrait sans caricature être assimilée à une apologie du régime autoritaire arabe. Paradoxalement, si Israël se présente comme l’unique démocratie du Moyen-Orient et utilise largement cet argument pour recevoir le soutien de l’occident et a fortiori des Etats-Unis, les dirigeants israéliens ont toujours affirmé plus ou moins explicitement qu’il leur était plus aisé d’avoir à faire à des dictatures qu’à des démocraties.
Eu égard à cette apparente contradiction, quel peut être l’impact du printemps arabe sur la relation américano-israélienne ? Israël étant le centre névralgique des intérêts américains au Moyen-Orient, comment les Etats-Unis tentent-ils de préserver leur influence dans une zone géographique qu’ils dominent depuis la seconde guerre mondiale ?
Etats-Unis et Israël, la constante proximité
La relation toute particulière qu’entretiennent les Etats-Unis et Israël depuis la naissance de ce dernier résulte de trois facteurs décisifs et indissociables : les considérations morales, le pouvoir extrêmement influent des Juifs sur la politique intérieure américaine, et les intérêts stratégiques américains au Moyen-Orient.
Ce dernier point revêt une importance considérable dans le nouvel ordre mondial post-seconde guerre mondiale. Les Américains jugent alors clé cette zone géographique pour asseoir leur hégémonie mondiale. Le secrétaire d’Etat du Président Harry Truman envisageait à ce moment-là, l’insertion du Moyen-Orient dans un croissant géopolitique allant de l’Extrême–Orient à l’Afrique du nord du Japon à l’Egypte. La vassalisation de ce « Great Crescent » aurait servi les intérêts politiques et économiques des Etats-Unis mais aussi de l’Europe en pleine reconstruction. Les ambitions américaines dans cette région à travers Israël admet 3 composantes : l’endiguement du communisme dans un contexte de guerre froide aujourd’hui supplanté par la lutte contre le terrorisme, l’assurance d’un approvisionnement en ressources énergétiques stable et avantageux, et l’empêchement de l’émergence d’une puissance régionale arabe potentiellement rivale. La survie de l’Etat d’Israël est en elle-même également un enjeu majeur. L’ensemble de ces points ont justifié une coopération stratégique extrêmement forte entre le Pentagone et Tsahal et le Mossad. Ces dernières années, ils ont ensemble élaboré le projet du Hetz, qui est l’un des tout premiers systèmes de défense de haute technologie par missile balistique. On peut citer aussi le système laser Nautilus et l’avion de combat F-35 lightning. Exercices militaires et renseignements sont souvent mis en commun. Un tel partenariat peut sembler déséquilibré mais en contrepartie les Israéliens assurent la maintenance et la logistique des forces américaines déployées dans la région. Le port de Haïfa est laissé à disposition de la VIème flotte. Financièrement, les Etats-Unis soutiennent aussi massivement Israël en lui versant 3 milliards de dollars par an sans compter les[i] emprunts réguliers qu’ils lui concèdent. Last but not least, l’Etat juif possède la garantie de pouvoir bénéficier d’un réapprovisionnement sans délai et sans conditions de ses stocks en cas de conflit. Ce dernier élément constitue une puissante arme de dissuasion pour ses ennemis.
Seulement l’aspect stratégique ne peut expliquer la proximité américano-israélienne dans sa globalité. D’ailleurs plusieurs observateurs aux Etats-Unis se demandent si ce partenariat militaire et financier sert réellement les intérêts américains[1]. Les considérations morales ne sauraient être négligées tant elles sont éclairantes. Les Américains retrouvent dans l’Histoire de l’Etat juif, une partie de la leur. Tout comme les Israéliens, c’est un peuple extrêmement religieux qui tend à considérer son action dans le monde comme une mission visant à faire fructifier les ressources que Dieu a mis à sa disposition. En 1835, Tocqueville remarquait déjà l’omniprésence des références à la bible dans le langage courant et ce quelles que soient les classes sociales. Le sionisme trouve une certaine résonnance dans le message évangéliste et mormon actuel. A titre d’exemple, le messianisme biblique est largement repris par les frères Wachowski, réalisateurs de Matrix. Le nom de Sion est même donné au refuge. Derrière l’idée de rassembler sur un territoire l’ensemble des juifs quelles que soient leurs origines, certains voient en filigrane l’édification du peuple américain par les vagues d’immigration successives depuis l’arrivée des premiers Pères fondateurs au XVIIème siècle. Ces derniers voulaient déjà bâtir sur la terre du « nouveau monde », les « nouvelles Jérusalem ». Ces « affinités de valeurs » [2] s’expriment parallèlement à l’expression de la compassion. Le souvenir de l’Holocauste marque en effet profondément les Américains comme en témoignent les 20 millions d’entrée en dix ans à l’US Holocaust Museum de Washington et les succès des films sur le sujet comme Le pianiste ou La liste de Schindler. Il est incontestable que le peuple juif joue aussi sur cette position victimaire pour s’arroger le réconfort des puissances occidentales. Enfin, la vision binaire de « choc des civilisations » de Huntington entre une civilisation occidentale judéo-chrétienne et civilisée d’un côté et un peuple de sauvages ingouvernables de l’autre est partagée à la fois par une partie importante de l’opinion américaine et israélienne. Les attaques du 11 septembre 2001 ont encore simplifié les représentations sociales, et soudé les peuples juifs et américains face au danger islamiste. En schématisant, le soutien à Israël est aussi un soutien aux valeurs universelles du Bien et de la Démocratie.
Pour terminer avec ce qui n’est pas le moins important surtout en période de préparations des élections présidentielles aux Etats-Unis, il convient d’évoquer le travail du lobby pro-israélien. « Mon expérience vécue me permet de vous dire que le soutien dont Israël jouit, au Congrès, est entièrement dû à une peur politique - la peur de perdre les élections, qui habite quiconque ne voudrait pas que la volonté d'Israël soit faite. Je peux aussi vous dire que les membres du Congrès qui en pincent sincèrement pour Israël ou pour son lobby se comptent sur les doigts d'une seule main… Ce que les parlementaires ressentent, au plus profond d'eux-mêmes, vis-à-vis d'Israël et de son lobby, c'est un insondable mépris. Mais ce mépris est étouffé par leur peur que leurs véritables sentiments ne soient percés au jour. Si vous saviez… » [3] Si ils ne représentent que 2% de la population américaine, les Juifs américains constituent une population très professionnelle et très impliquée politiquement et socialement. Il existe ainsi pléthores d’associations juives bénévoles et très actives aux Etats-Unis. L’American Public Affairs Committee ( AIPAC) communément appelé lobby pro-israélien, l’ American Jewish Committee et l’American Jewish Congress figurent parmi les plus connus. L’influence de ses organisations, résumée dans la déclaration de J.Abourezk, a transformé le Congrès en un gigantesque levier de mise en œuvre des intérêts israéliens. Elles s’assurent également que le veto américain soit apposé à toutes les résolutions onusiennes condamnant Israël. Dans leurs objectifs se trouvent aussi la sponsorisation des candidats à l’élection présidentielle, la formation et la préparation des générations futures de leader pro-israéliens, l’empêchement pour l’Iran d’obtenir la bombe nucléaire et l’isolation puis la destruction du Hamas et du Hezbollah. A noter enfin que ces lobbies sont très proches de la droite israélienne et en particulier du Likoud, actuellement au pouvoir. L’impact profond et persistant des groupes de pression conservateurs juifs n’est toutefois pas dissociable des deux autres aspects de la proximité israélo-américaine. Une influence telle ne saurait être comprise sans la lumière de ces deux-là.
La conséquence de ces trois composantes de la relation américano-israélienne admet deux niveaux d’interprétation. Le premier consiste à remarquer la non-objectivité du médiateur numéro un du conflit israélo-palestinien. Cela a des implications concrètes puisque de l’échec des négociations depuis les accords de Camp David découle le statuquo ; situation correspondant peu ou prou aux intérêts israéliens. Le second fait que l’affaiblissement d’Israël est mis sur le même plan que l’affaiblissement. En raccourcissant, cela donne : si Israël est en danger alors les Etats-Unis sont en danger.
Obama et les révolutions arabes, le bouleversement d’un paradigme immuable
A cette relation qu’on pourrait qualifier de constante tant elle a peu évolué, il convient d’ajouter deux données nouvelles : l’élection de Barack Obama et le printemps arabe bouleversent la donne géopolitique au Moyen-Orient.
En 2008, l’arrivée à la Maison Blanche du premier président noir américain a suscité de nombreux espoirs au Moyen-Orient. Dans les rêves les plus fous de plus d’un observateur, la position pro-arabe de Barack Obama – relativement à la vision traditionnelle du résident du Capitole - allait permettre de résoudre le problème israélo-palestinien ou au moins d’apaiser les tensions qui en découlent. Son discours du 4 juin 2009 à l’université du Caire et intitulé « the new beginning », laissait comme son nom l’indique présager un nouveau départ dans les relations entre l’Etat américain et les musulmans. Ce discours marque certes une profonde rupture avec les politiques de son prédécesseur mais ne présente aucune disposition concrète. La seule qu’il ait formulée au tout début de son mandat est l’annonce de l’arrêt total de la colonisation des territoires occupés comme préalable aux négociations. Celle-ci s’est avéré être un total échec puisqu’Obama a dû renoncer devant l’intransigeance de Benjamin Netanyahou, le premier ministre israélien de droite, élu . Si Obama n’a rien su ou rien pu faire pendant un an avec le soutien de ses deux chambres, on voit mal comment il pourrait en être autrement, alors qu’il doit cohabiter avec un parti républicain beaucoup plus proche idéologiquement du Likoud. Il est accusé de mener une politique pragmatique sans faire évoluer d’un iota les exigences américaines. La désillusion explique la réception extrêmement mitigée d’un second discours d’Obama le 19 mai 2011 devant le Département d’Etat à Washington. Le 44ème président américain y annonce pourtant le déblocage d’une aide importante à l’Egypte et à la Tunisie et son désir de voir exister un Etat palestinien dans les frontières d’avant 1967, c’est-à-dire Gaza, Cisjordanie te Jérusalem-Est. Si certains acteurs tels que le Fatah, se contentent de déplorer le manque de moyens mis en œuvre pour servir une politique louable, d’autres à l’instar de plusieurs éditorialistes sur les télés arabes ont affirmé que : « L’homme et la manière ont changé mais la stratégie américaine est toujours le même : un soutien indéfectible à l’allié israélien », assimilant l’intervention d’Obama à « de la poudre aux yeux ». Il est vrai qu’un président qui a utilisé 3 mois plus tôt son droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU pour empêcher la condamnation de la poursuite de la colonisation juive en Cisjordanie, en jouit plus de beaucoup de crédibilité. La veille du discours au Département d’Etat, la construction de 1500 logements supplémentaires était d’ailleurs validée par une commission gouvernementale israélienne. L’écart entre les paroles et les actions du gouvernement Obama grandit encore lorsque la Palestine est élue membre de l’Unesco sans le vote américain. En représailles, les Américains décident de mettre un terme à leurs subventions à cet organisme. Au grand dam des populations arabes, il semblerait donc que les grands objectifs ne varient guère d’une administration à l’autre. La personnalité et les convictions personnelles du président n’impactant que marginalement et exclusivement sur la forme.
En revanche, si il n’existe qu’une donnée qui ne peut n’avoir aucune influence sur la politique américaine au Moyen-Orient et donc à l’égard d’Israël, c’est bien celle des révolutions arabes. Les Etats-Unis d’Amérique avaient noué des relations étroites avec les régimes autoritaires en place. Celles-ci permettaient d’apporter des réponses claires aux trois enjeux américains au Moyen-Orient, les ressources énergétiques, la lutte contre le terrorisme et la survie d’Israël. Le premier élément d’analyse réside dans la rapidité de compréhension du processus en marche par les diplomates américains. Wikileaks révèle l’existence de nombreux câbles annonçant une soudaine déstabilisation des régimes. En 2006, le régime de Ben Ali est d’ores et déjà qualifié de « sclérosé » et « l’accroissement des risques pour la stabilité à long terme » est signalé. De même en Egypte, les représentants américains affirmaient qu’il y avait d’autre choix que celui du « régime autoritaire lent à réformer ou du pouvoir islamiste extrémiste. » Les Etats-Unis font désormais face à des intérêts contradictoires. D’un côté, il leur est vital de ne pas s’opposer aux mouvements de démocratisation s’ils ne veulent pas apparaitre comme un ennemi pour les futurs nouveaux régimes. Et de l’autre, il leur est tout aussi vital de protéger les intérêts israéliens qui ne coïncident pas à première vue avec les transformations dans les pays voisins. Quelles modifications apportent les printemps arabes ? Il est tout d’abord vraisemblable d’imaginer qu’à l’instar de l’exemple turc, une démocratisation s’effectue parallèlement à l’autonomisation du pays. Un tel processus en Egypte entraînerait une prise de distance importante de l’armée égyptienne et du pouvoir en général vis-à-vis des Américains. Les conséquences sur Israël seraient directes et nécessiterait de la part de l’Etat juif une prise de conscience des enjeux de ses traités. Avec Hosni Moubarak, la bienveillance égyptienne était acquise, sous le regard attentif de l’Oncle Sam. Il savait parfaitement que sa mansuétude à l’égard d’Israël lui réservait une auréole à Washington. Rappelons que le pays des pharaons a contribué au blocus de Gaza. En 2008, la secrétaire d’Etat Condoleeza Rice proposait dans son article Repenser l’intérêt national pour un nouveau monde dans le journal Foreign affairs, une union renforcée entre Israël et les régimes sunnites pour faire barrage à l’Iran, inquiétude numéro une de l’Etat juif, une telle union serait selon toute vraisemblance impossible à mettre en œuvre dans une ère post-printemps arabe. En effet, une démocratisation des pays arabes fait inévitablement émerger sur le devant de la scène politique des masses populaires qui sont presque par définition anti-israélienne, voir antisémites. On comprend qu’il soit plus difficile de conserver des rapports le moins houleux possible dans un tel contexte. Le point suivant concerne directement la politique israélienne. Il n’y a pas encore de recul suffisant pour juger de cela mais si les transitions démocratiques arabes réussissent bel et bien, cela mettrait considérablement à mal la rhétorique du premier ministre israélien. Selon B.Netanyahu en effet, la démocratie est incompatible avec la culture arabe. Il se montre à ce sujet extrêmement virulent et peu nuancé. L’homme fort du Likoud accuse l’Occident d’avoir laissé une « exemption de démocratie aux peuples arabes et rejette la responsabilité des échecs des négociations sur l’autoritarisme barbare arabe. S’il ne peut plus jouer sur cette corde sensible, il apparaîtra au grand jour que cet argument n’était qu’un vulgaire prétexte pour s’assurer le maintien du statuquo. Lui et l’ensemble de la classe dirigeante israélienne, a fortiori la droite, seront largement décrédibilisés. Est-ce suffisant pour faire vaciller l’alliance américano- israélienne ? Surement pas mais on peut estimer que les Américains ne soutiendront pas éternellement envers et contre tous un pays qui serait devenu un véritable boulet diplomatique sans enclencher un processus de paix équitable. Ces différents scénarios sont envisageables dans le cas d’une démocratisation bien réelle. Si celle-ci ne permet pas d’instaurer une stabilité relative, l’argumentaire de Netanyahu s’en trouverait plutôt consolidé. Et il devrait pouvoir compter sur le soutien américain.
L’ordre établi depuis 1945 sous la houlette des Etats-Unis est en pleine phase de déconstruction. L’incertitude plane quant à l’avenir mais il semble peu probable qu’il soit possible de repartir avec les mêmes données et les mêmes acteurs dans un contexte différent. Les bouleversements actuels correspondent également à une autonomisation des peuples et des régimes vis-à-vis de l’occident. Les Etats-Unis ont compris cela et se montrent désormais prudents dans la gestion de leurs actions comme en témoigne leur longue hésitation avant l’intervention militaire en Libye. Si les printemps arabes parviennent à démentir définitivement les thèses du « choc des civilisations » chers aux Israéliens, cela laisse augurer de plusieurs avancées positives vers la paix. Une certaine frange de l’élite bureaucratique dans la sécurité nationale américaine évoque de plus en plus l’idée de s’affranchir de la relation spéciale avec Israël afin d’avoir les mains plus libres pour interférer positivement sur l’issu du conflit palestinien. Cela leur permettrait d’obtenir une nouvelle légitimité dans la zone et une influence dans le nouvel ordre géopolitique.
[1] George Ball, Douglas Ball, The passionate attachment :America’s involvement with Israel, 1947 to the Present New York, Norton, 1992 , cite par Lerman Eran dans Etats-Unis-Israel : une relation vraiment très spéciale, outré terre, 2004/4.
[2] Ibid. Lerman Eran
[3] James Abourezk, ex-sénateur démocrate du Dakota du Sud, 2006