Obama : nouvelle Amérique ou bien trompe-l’œil politicien ?

par Bernard Dugué
jeudi 23 octobre 2008

Dans dix jours, c’est le méga hyper super Tuesday. Le 4 novembre, les Américains finissent de voter et, le 5, le compte sera bon, ou le décompte ne sera pas bon et il faudra attendre un mois et demi comme en 2000 pour connaître qui est ze winner. Obama semble bien placé. Et vu d’Europe, nous nous imaginons que les Etats-Unis vont changer. En est-on certain ?

Les sondages donnent une avance confortable pour Obama. Dont l’élection paraît aussi certaine que pouvait l’être celle de Sarkozy dix jours avant le second tour. Laissons de côté l’argument bancal voulant que les Américains reconduisent un président après quatre ans puis changent de parti au bout de huit ans. Plus sérieux serait de constater la situation du moment. Un G. W. Bush impopulaire comme jamais. Un McCain visiblement à côté du sujet avec une colistière qui n’a guère séduit malgré les 150 000 dollars en frais de tenue, de quoi rendre jalouse notre Rachida. Ajoutons quelques indices glanés en Floride ou dans des résidences pour vieux riches en Californie. Et puis aussi les élections à mi-mandat de 2006 qui ont chassé les républicains de leur majorité aux deux Chambres. L’affaire semble entendue. Mais, au fond, peut-on dire que cette puissance a considérablement changé ? Le fait qu’Obama soit métis n’a pas grande signification. Cela fait quarante ans que des Noirs se font élire dans les mairies des grandes villes et vingt ans qu’un Noir, Colin Powell, fut nommé chef des armées. Parler alors d’un immense changement, vu d’ici, ça fait le bon gars ébloui par le clinquant de la nouveauté, ou alors l’imbécile qui regarde le doigt quand le sage pointe la lune. Les vrais changements que soulève cette élection (s’ils existent) sont plus profonds. Et méfions-nous aussi d’une élection qui se fait au gré d’un événement contingent (pour les uns, d’autres imaginant un complot ou une ruse de la Raison). En Espagne, les attentats de Madrid mal gérés par Aznar lui ont coûté la réélection. Et cette crise financière pourrait bien signer la perte de McCain plus que la victoire d’Obama.


Quelques remarques et rappels historiques. L’Amérique que nous avons vu évoluer ces vingt-cinq dernières années ressemble à un schéma impulsé par Reagan. Elu en 1980 sur un programme conservateur, grâce aussi au second choc pétrolier et à l’affaire des otages de l’ambassade à Téhéran. Certains présidents savent se faire élire. G. W. Bush comme Reagan. L’Amérique dessinée après 1980 ne ressemble pas à celle de JFK, de la jeunesse contestataire, et de l’ascension des middle-class. Les inégalités se sont accrues dans une Amérique économiquement conquérante, mais idéologiquement divisée, avec comme majorité, une alliance de religiosité morale, de superstitions, de sectes, d’affairisme, d’audace financière, d’intérêts des classes supérieures et d’un idéal de vie basique dans les comtés de l’Amérique profonde. Bref, le fonds de commerce électoral des républicains.


Méfions-nous des trompe-l’œil. Bill Clinton a certes gouverné huit ans, mais il n’a jamais eu les coudées franches, devant faire face à l’opposition d’une, voire deux Chambres du Congrès. Quant à l’élection de Clinton en 1992, elle est bien trompeuse pour qui observe les chiffres en détail. En voix, Bush père totalisait 37 %, contre 43 % pour Clinton et 19 % pour Ross Perot qui a privé le locataire de la Maison-Blanche du second mandat qui devait lui tomber entre les mains, notamment après le succès de la guerre d’Irak en 1991 (à noter la situation symétrique en 1968 quand Nixon se fit élire avec 43 % à cause d’une scission démocrate avec un Wallace totalisant 14 % des voix et surtout, l’emportant dans cinq états du Sud). On ne peut pas dire que l’Amérique des années 1990 a été très progressive, très Clinton, très acquise aux démocrates. Ensuite, en 2000, G. W. Bush s’est fait élire de justesse. Il y eut ce fameux 11-Septembre. De quoi troubler en profondeur les Américains. Et une réélection de Bush en 2004, d’une courte tête, mais sans contestation. En termes de suffrages, ce fut du 50/50 en 2000 et 51/49 en 2004, en faveur des républicains. Un rééquilibrage s’est donc produit depuis les 60 points donnés en 1984 à Reagan. Et si on prend pour significatif le scrutin de 2006, alors on pensera à un très léger infléchissement qui nous amène à notre sujet, l’année 2008.


L’élection d’Obama correspond-elle à un changement de l’Amérique, de son horizon porté par les élites et l’inconscient populaire, de son mode de société inégalitaire et consumériste ? Ou bien est-ce un changement de capitaine, mené sur fond de crise, avec la lassitude des citoyens envers une administration qui les a mis dans un merdier. Et pourrait-on ajouter, quelques modifications d’ordre sociologique. Car, si l’Amérique profonde a pesé pour élire Bush, cette Amérique devrait logiquement peser un peu moins si on admet la poursuite de l’urbanisation. Sans oublier le rôle d’internet. Bref, des petits détails sociaux en faveur d’Obama.


Nous avons donc connu l’Amérique enchantée ou presque, de JFK, de Woodstock, dissoute ensuite dans le disco sous Jimmy Carter. Ensuite, l’Amérique de Reagan jusqu’à Bush. Et maintenant, y aura-t-il une Amérique d’Obama, différente de celle des « années conservatrices » ? Avec deux thèmes essentiels, l’un concernant la politique intérieure, impôts, réductions des inégalités, système de santé ; et l’autre qui nous concerne de près car elle touche à la géopolitique, aux intentions américaines dans le contexte actuel, question du dollar et surtout du partage des matières premières avec des économies plus qu’émergentes.


Nous verrons le résultat. Si l’Amérique est encore dans le contexte de la décennie précédente, alors la loi des « swing states » sera appliquée. En l’occurrence, trois Etats vont être surveillés de près car, au vu de leur population et de l’équilibre politique, ils déterminent le résultat final. Ce sont l’Ohio, la Pennsylvanie et la Floride qui élisent respectivement 20, 21 et 27 grands électeurs. Il se dit que deux Etats gagnés parmi les trois permettent de gagner l’élection. Eh bien en 2008, il se pourrait bien que cette loi ne soit pas vérifiée et qu’Obama l’emporte à la hussarde, comme Reagan en 1984, ou disons plutôt, comme Bush père qui ne laissa qu’une dizaine d’Etats à son adversaire démocrate en empochant 426 grands électeurs. Attention aussi à ne pas sous-estimer les très petits candidats, qui font souvent un pour cent des suffrages, mais peuvent peser parfois 5, 10 et même 17 comme Perot à lui tout seul en 1992. Prudence aussi face à une interprétation hâtive du triomphe d’Obama. Ce n’est pas forcément le signe que quelque chose change. C’est une possibilité, oui, disons une éventualité, bref, un rêve… D’ailleurs, c’est bien un rêve qui sera élu en 2008.


NB : les chiffres donnés sont extraits de cet excellent site de Frédéric Salmon.


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