Omar Khadr, l’enfant-soldat, est-il coupable ?

par Pierre R. Chantelois
lundi 1er novembre 2010

Khadr a plaidé coupable lundi à cinq accusations pour crimes de guerre, dont le meurtre du sergent américain Chris Speer, alors âgé de 29 ans. Le jury militaire de ce simulacre de justice a, après neuf heures de délibération, rendu sa décision : 40 années de prison additionnelles qui s’ajoutent aux huit ans déjà passé à Guantanamo. Madame Tabitha Speer a poussé un cri de joie et levé le poing pour signaler sa victoire sur la justice des États-Unis d’Amérique. L’accusation, au tribunal militaire d’exception, s’était adressée en ces termes au jury : « il faut envoyer un message clair et démontrer que les États-Unis ne tolèrent pas les actes terroristes. Ne vous trompez pas, le monde vous regarde ».  Les procureurs avaient demandé aux jurés de fixer sa peine à 25 ans de prison supplémentaires. Les sept membres du jury en ont décidé autrement. La peine qui est tombée est de 40 ans. Toutefois, en vertu d’une entente à l’amiable signée entre ses avocats et ceux du gouvernement américain, Omar Khadr n’aura que huit ans supplémentaires à purger. Une année à Guantanamo et sept ans au Canada, si le gouvernement de Stephen Harper accepte volontiers de l’accueillir. Les États-Unis appuieront une demande de transfert venant de ce dernier, si tant est qu’un jour elle parvienne au Département de la Justice des États-Unis...

Après avoir clamé son innocence pendant huit ans, Omar Khadr, 24 ans, a plaidé coupable lundi à tous les chefs d’accusation qui pesaient contre lui. Avait-il le choix et justice a-t-elle été rendue ?

Abandonné par le Canada, il a passé, depuis l’âge de 15 ans, sa jeunesse dans la prison de Guantanamo. Dès l’âge de neuf ans, il a été traîné dans les camps d’entraînement d’Al Quaïda par son père. Dans une lettre lue par son avocat, le lieutenant Jon Jackson, le jeune Khadr s’est adressé au jury essentiellement composé de militaires et il raconte comment un interrogateur américain avait menacé Khadr, alors âgé de 15 ans et blessé. « C’est difficile pour moi d’évoquer cet épisode. Je sais que cela ne changera pas ce que j’ai fait, mais j’espère que les jurés y penseront lorsqu’ils décideront de ma peine ». Cette déclaration s’inscrit dans le témoignage de l’ancien sergent Joshua Claus qui avait admis avoir raconté à Khadr l’histoire d’un jeune musulman envoyé dans une prison américaine où « de gros gars noirs » lui avaient fait subir un viol, possiblement mortel. Ce même Claus avait par la suite été reconnu coupable d’avoir battu à mort un autre détenu. Le colonel Patrick Parrish, qui préside le tribunal militaire d’exception devant qui comparaît Omar Khadr, avait décrété qu’il n’y avait aucune preuve crédible que Khadr avait été torturé.

Il existera toujours un doute sur le simulacre de procès qui a mené Omar Khadr à se déclarer coupable du meurtre du soldat Chris Speer. Il existera toujours un doute sur la culpabilité forcée ou volontaire d’Omar Khadr qui à quinze ans a été enfermé à Guantanamo, ne bénéficiant d’aucun statut, d’ uucun droit, d’aucune reconnaissance d’enfant-soldat. crimen, nulla poena sine lege. Il a même été oublié par son pays, le Canada, qui s’est rangé honteusement derrière les États-Unis en participant directement aux tortures morales infligées à un jeune homme de 16 ans pour obtenir insidieusement des aveux. La sentence du tribunal militaire d’exception sera prononcée ce samedi. Sans que justice n’ait été rendue.

Il n’existera aucune certitude sur la culpabilité d’Omar Khadr devant la décision du juge militaire Patrick Parrish d’admettre en preuve des aveux extorqués de manière scandaleuse. Selon ce juge militaire, le jeune Omar Khadr n’a jamais été torturé par ses geôliers ou ses interrogateurs américains. Il faut préciser qu’à la fin du mois de mai 2008, le Pentagone avait remplacé le colonel Peter Brownback qui refusait que le procès d’Omar Khadr ait lieu, tant que ses avocats n’auraient pas reçu les éléments de preuve amassés contre le jeune homme durant ses années de détention. Par sa décision, le nouveau juge militaire Parrish, plus conforme aux directives du Pentagone, a bafoué les conventions internationales qui accordent une protection spéciale aux enfants impliqués dans des conflits armés et que les tribunaux internationaux refusent de les poursuivre. Il a nié les droits d’Omar Khadr à une défense pleine et entière pour des motifs militaires, ignorant les règles élémentaires de droit et de justice. Ce déni des droits humains a été reconnu par la Cour suprême du Canada.

Le juge Parrish n’a pas pris en compte le témoignage d’un soldat qui a admis que des tortures ont été pratiquées sur le jeune Khadr. Le réseau anglais de Radio-Canada avait, dès 2008, retrouvé Damien Corcetti, le premier soldat américain qui a interrogé le jeune homme, en Afghanistan. « Avec le recul, je peux maintenant dire que c’était vraiment de la torture », admet M. Corcetti, qui a quitté l’armée américaine depuis. Jane Mayer, correspondante à la revue New Yorker, a expliqué en 2008, à Radio-Canada, avoir épluché les documents du département américain de la Justice. « Pour qu’il y ait torture, il faut causer une douleur qui entraîne soit la défaillance d’un organe ou une mort appréhendée. Tout le reste n’était pas de la torture », expliquait la journaliste. Cela explique sans doute pourquoi les États-Unis n’ont jamais voulu adhérer au Statut de Rome qui dicte les règles du Tribunal pénal international.

Pendant tout ce temps, le gouvernement du Canada, en refusant d’intervenir pour protéger les droits d’Omar Khadr, citoyen canadien, emprisonné à Guantanamo, s’est fait complice du mauvais trraitement qui lui a été infligé. M. Harper a toujours refusé de s’impliquer dans cette affaire, stipulant que Khadr faisait face à de sérieuses accusations et que les procédures légales aux États-Unis devaient suivre leur cours. Le gouvernement du Canada, comme il a été démontré depuis, savait pertinemment qu’Omar Khadr était soumis aux méthodes d’interrogation surnommées « stress et contrainte ». Les trois agents canadiens du SCRS ont même procédé à un interrogatoire d’Omar Khadr, digne des méthodes de Guantanamo, qui venait de subir des privations de sommeil abusives en violation de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants et des Conventions de Genève de 1949. Au terme de ce pénible et éprouvant interrogatoire qui a duré, en février 2003, quatre jours, l’agent canadien du SCRS reproche à Omar de ne pas dire la vérité. Omar Khadr réplique tout simplement : « vous n’aimez pas la vérité ».

Dans son témoignage devant ce tribunal d’exception de Guantanamo, Omar Khadr a révélé que les interrogateurs américains l’avaient menacé en 2002 d’un viol collectif dans une prison américaine, aux mains de quatre « gros noirs » détenus patriotiques. Que valent ces paroles d’un enfant de quinze ans qui, huit ans plus tard, intervient auprès d’un jury composé exclusivement de militaires : « Je vous demande de considérer cette lettre sur ce qui m’est arrivé à Bagram en 2002. Il est difficile pour moi d’en parler. Je sais que cela ne change rien à ce que j’ai fait, mais j’espère que vous y penserez lorsque vous me punirez. Cette histoire m’a fait très peur et j’ai beaucoup pleuré ». Pour le juge Patrick Parrish, ce ne sont pas là des tortures, telles que définies par les règles internes des États-Unis.

Aujourd’hui Omar Khadr s’est accusé d’avoir lancé la grenade qui a coûté la vie à un soldat américain lors de combats en Afghanistan en 2002. Témoignant lui-même, dans son procès, le jeune détenu s’est adressé jeudi à la veuve du soldat Chris Speer. Après avoir présenté ses excuses, il a répondu, à une question de son avocat : « J’aurais souhaité pouvoir faire quelque chose pour effacer cette douleur  ». Omar Khadr a expliqué qu’il a compris en prison la « beauté de la vie » et qu’il souhaite devenir médecin afin de « soulager les autres de la douleur ».

Tabitha Speer, veuve du soldat tué en Afghanistan par Omar Khadr, s’est adressée directement à l’accusé : « Omar Khadr avait un choix à faire le 27 juillet 2002. Il pouvait class=GramE>se rendre (...), mais il a choisi de rester et de se battre. Tout le monde parle de lui comme d’une victime, d’un enfant. Les victimes, les enfants, ce sont mes enfants, et pas vous ». Sans minimiser la peine de madame Speer, elle n’a manifesté aucune pensée pour les 600 soldats étrangers tués depuis le début 2010 en Afghanistan, pour les 2.170 soldats de la coalition internationale tués en Afghanistan depuis le début de l’intervention militaire menée par les États-Unis qui a chassé les talibans du pouvoir à la fin 2001, pour les 1.348 soldats américains qui composent plus des deux tiers des quelque 150.000 hommes de la coalition, pour les 109.032 morts en Irak, dont plus de 60% de civils, soit 66.081 personnes. Parmi toutes ces personnes, se peut-il qu’il y ait eu des enfants et des pères et des mères innocentes des politiques interventionnistes des États-Unis et de leurs milliers de mensonges pour justifier ces guerres ? Et c’est sur un enfant-soldat que les États-Unis et le Canada font porter toute la lâcheté de ces guerres, fondées sur des mensonges éhontées, et menées à des fins autres que celles annoncées. Les enfants de madame Speer ont raison de déplorer la perte de leur père, parti en guerre en Afghanistan, vraisemblablement le cimetière de l’OTAN, comme l’écrivait William Pfaff le 22 mai 2007, dans l’International Herald Tribune. Ce père a probablement cru en une cause qui n’a plus de nom tant le déshonneur et la désorganisation en sont les principales caractéristiques.

Qui, devant ce tribunal militaire d’exception, se montrera soucieux du fait que, comme l’indique la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Navanethem Pillay, les informations, dévoilées tout récemment par Wikileaks, renforcent les « inquiétudes » sur ces graves violations de la législation internationale qui ont eu lieu en Irak, dont des exécutions sommaires de plusieurs civils ? Qui s’est montré préoccupé, devant le tribunal militaire d’exception, par le fait que les États-Unis ont continué à transférer des milliers de détenus aux autorités irakiennes, même si elles savaient qu’ils étaient torturés. Devant quels tribunaux seront traduits, si tant est qu’ils sont identifiés et accusés, ces « responsables d’homicides illégaux, d’exécutions sommaires, de torture et d’autres graves atteintes aux droits de l’homme » ?

Stephen Harper, Premier ministre du Canada a fermé les yeux puis nié ces transferts de prisonniers, en Afghanistan par son pays, qui étaient menés tout droit à la torture. Cela explique pourquoi il peut se permettre d’ignorer le cas d’Omar Khadr et de le juger indigne d’un rapatriement.

Comme le rappelle Me Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières Canada, « ce n’est pas une grande journée pour la justice. Qu’il soit coupable ou non, il y a eu un nombre extraordinaire de principes de l’État de droit qui ont été violés. C’est un dossier qui va demeurer un scandale en matière de droits humains ». Anne Sainte-Marie, d’Amnistie internationale Canada, partage la même vision : « C’est une triste journée pour la justice. Le message que les États-Unis et le Canada envoient à la face du monde, c’est que oui ils ont signé des conventions et des traités, mais que finalement la notion d’habeas corpus ne compte pas pour eux, la notion d’enfants soldats et l’indépendance des tribunaux ne comptent pas non plus ».

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