Palestine : la démocratie en quarantaine

par Alain Laval
samedi 4 février 2006

La Palestine a voté. Elle a voté librement. Ainsi le peuple, à la faveur de l’expression individuelle, a imposé une expression collective majoritaire. Nous aurions dû nous réjouir de cette maturité au sein d’un peuple qui représente plus un bastion territorial qu’un État. Nous aurions, en effet, dû entendre une clameur de réjouissance, dont celle de monsieur Bush qui souhaite exporter la démocratie à n’importe quel prix, y compris celui de la dévastation, de la mort et de la terreur.

Rien, il n’en est rien !

Dans sa croyance en une possible souveraineté, le peuple palestinien a élu une représentation qui ne convient pas au correctement politique des puissances occidentales. En effet, les Palestiniens ont donné un crédit électoral à un ensemble de personnes qu’eux ont jugé crédible afin d’apporter des solutions à leurs problèmes. Mais le Hamas, puisqu’il s’agit de cette entité, ne convient pas, en termes de signifiant occidental, à l’esprit de véritable représentativité démocratique.

Le peuple palestinien s’est-il trompé ? A-t-il formulé une insulte au regard de la communauté internationale, ou bien, plus simplement, a-t-il plébiscité ce qu’il croit bien et juste pour son existence, plus exactement sa survie ?

On ne peut pas concéder d’une main à un peuple le droit à l’autodétermination, puis le lui reprendre de l’autre, parce que le résultat de son choix ne constitue pas le verdict attendu dans les ambassades. Pour tout observateur de l’événementiel contemporain, voilà une caractéristique qui devient monnaie courante au sein des classes dirigeantes, autant celles de l’Europe que celles des États-Unis.

N’allons-nous pas vers une précipitation excessive et pernicieuse ? Alors même que les futurs représentants du nouveau gouvernement palestinien - élu par le peuple palestinien - n’ont pas encore formulé les lignes de force de leur programme, le monde occidental se jette sur eux - donc également sur le peuple de Palestine - avec au bout de l’index la menace de la suspension de toutes les aides financières, dont chacun connaît l’extrême nécessité pour le monde palestinien.

La précipitation s’est imposée comme une procédure qui ne suppose pas que l’émanation dirigeante du peuple palestinien puisse, à raison de cette autorité politique qu’elle vient d’acquérir, attendre autre chose que ce préambule de mise à l’index. Au travers de cette attitude concertée, c’est le peuple palestinien que nous désavouons, c’est également la démocratie que l’on veut mettre au pas.

Le Hamas n’a pas pris la pouvoir par la force, il a participé à une campagne électorale que la grande majorité des observateurs ont qualifiée de normale. Le Hamas ne s’est pas plus imposé par la violence, il a essentiellement fondé sa crédibilité sur son travail social, sur sa proximité avec le peuple, et enfin sur les erreurs du Fatah dans sa gouvernance.
A peine vainqueur, le Hamas bouleverse les comportements politiques occidentaux. Mais à ce moment-là, le Hamas n’est plus seulement une organisation ; il est la représentation légitime du peuple palestinien, l’expression de la souveraineté d’un peuple. Or, quelques heures avant les résultats officiels, ce peuple se voyait reconnu ; nul en occident n’aurait pu admettre qu’il soit abandonné, rejeté et traité ainsi qu’un peuple mécréant et surtout nourri de haine, puis capable de haine et de violence. Condamner le Hamas sans condamner le peuple palestinien est devenu impossible. Agir en voulant faire croire que réprimer l’un, cela ne consiste pas à réprimer l’autre, est un enjeu également impossible.

S’ engouffrer dans les mises au pas, les recommandations sans appel, les verdicts préconçus revient maintenant à nier la démocratie pour ne lui fournir qu’une représentation formatée. Quand donc les occidentaux cesseront-ils de se prévaloir d’une distance d’avance par rapport aux différents peuples arabo-musulmans, auxquels ils délivrent leçons et modes d’emploi, mais à l’unique condition que ceux_ci se dotent des attributs de l’ Occident ? Les Palestiniens viennent de franchir le garde-fou, il sont entrés en désobéissance démocratique. A compter de cette impardonnable bavure, ce peuple, qui croyait à l’expression de la démocratie, vient de se mettre en quarantaine. L’ image de la démocratie tout autant.


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