Panama Leaks, Mossack Fonseca & Co. ou le vrai visage de la finance internationale
par Renaud Bouchard
lundi 4 avril 2016
« Quand on parle pognon, à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute ».
M. Audiard, Le Pacha.
« La justice, c'est comme la Sainte Vierge, si on la voit pas de temps en temps, le doute s'installe ».
M. Audiard, Pile ou face.
Sans plus attendre d'un sensationnalisme qui sera, prenons-en le pari, soigneusement édulcoré en ne présentant que quelques vedettes susceptibles d'intéresser l'opinion (l'entourage de V. Poutine, des joueurs de football, un ministre Islandais M. Sigmundur Davíð Gunnlaugsso, dont tout le monde se contrefout et qui terminera en prison après avoir démissionné) en omettant de signaler quelques vrais requins de haute mer, véritables acteurs de la finance , le site Fusion donne un éclairage très précis de ce que la presse nationale va tenter de distiller dans les prochains jours en essayant de maintenir laborieusement l'attention du public en même tant que celle de ses ventes.
https://panamapapers.icij.org/
http://interactive.fusion.net/dirty-little-secrets/index.html
Nous ne sommes qu'à l'aube de l'actualité mais on trouvera déjà ci-après quelques bonnes feuilles d'un exceptionnel roman aux ramifications internationales qui, n'en doutons pas, pourrait donner lieu à d'excellentes séries. Le problème, cependant, est que nous ne sommes pas au cinéma.
https://panamapapers.icij.org/20160403-panama-papers-global-overview.html
https://panamapapers.icij.org/20160403-mossack-fonseca-offshore-secrets.html
Ce qui suit, et qui a pour source la publication des 11 millions de documents désormais accessibles et leur classification par domaines d'activité, concrétise une réalité autrement plus sérieuse qui lève le voile sur ce que l'on sait depuis longtemps : la « mystérieuse finance de l'ombre », les « paradis fiscaux », etc. avec cette imagerie sur papier glacé constitutive d'un monde pourtant bien réel qui mêle pouvoir, argent, trafics, sur fond de montages financiers et de déséquilibres économiques internationaux, bien loin de l'imagerie convenue des casinos, voitures hors de prix, horlogerie d'un goût tapageur, gueules enturbanées et putes de luxe.
https://www.documentcloud.org/public/search/
La réalité est que cette véritable gangrène détruit le monde entier, le constat étant qu'elle ne se limite pas à empêcher les gens de mal vivre mais tout simplement qu'elle les tue à plus ou moins longue échéance, selon les priorités du moment.
La réalité est que ce qui s'apparente à un véritable « trou noir » économique et financier qui aspire tout, véritable concrétisation de la mondialisation, représente la véritable économie internationale : la face noire, opaque, impitoyable de ce que chacun qualifiera d'horreur économique ou de tout ce que l'on voudra, mais qui n'en constitue pas moins l'architecture actuelle d'un système mortifère, enjeu d'intérêts majeurs.
N'est-il pas surprenant en effet que cette affaire éclate maintenant ? N'assisterions-nous pas, comme témoins invités, à une guerre de gangs à l'échelle mondiale, une redistribution des cartes sous forme de recomposition mondiale ?En attendant d'examiner plus en détail les raisons, motivations et enjeux de ce qui ressemble à la mise en cause de certains pays et de l'entourage de leurs dirigeants suivant une géopolitique qui ne relève pas du hasard et qui distingue très curieusement et très opportunément Russie et Syrie (Poutine, Assad), Chine (des proches de hauts dirigeants chinois tels que M. Xi Jingping, M. Deng Jiagui, son beau-frère.Mme Li Xiao Lin, fille de l'ancien premier ministre chinois Li Peng), Ukraine (Porochenko), Brésil (Roussef), Royaume-Uni (Cameron), LL.EE & LL.AA, Khalifa bin Zayed bin Sultan Al Nahyanet et Salman bin Abdulaziz bin Abdulrahman Al Saud, respectivement président des Émirats arabes unis et roi d'Arabie saoudite, le coup de projecteur sur la firme panaméenne Mossack Fonseca n'est qu'un aspect de la finance « offshore » contre laquelle lutte le GAFI/FATF dans son combat visant à anéantir le blanchiment international de capitaux et la lutte contre le terrorisme (LBC/FT).
De quoi s'agit-il ?
https://www.vice.com/read/evil-llc-0000524-v21n12
https://www.vice.com/read/evil-llc-0000524-v21n12
Le Groupe d’action financière (GAFI), Financial Action Task Force (FATF) , est un organisme intergouvernemental créé en 1989 par les Ministres de ses états membres. Les objectifs du GAFI consistent en l’élaboration des normes et la promotion de l’efficace application de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées pour l’intégrité du système financier international. Le Groupe d’action financière est donc un organisme d’élaboration des politiques qui s’efforce de susciter la volonté politique nécessaire pour effectuer les réformes législatives et réglementaires dans ces domaines.
Le GAFI a élaboré une série de Recommandations reconnues comme étant la norme internationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massives. Elles constituent le fondement d’une réponse coordonnée à ces menaces pour l’intégrité du système financier et contribuent à l’harmonisation des règles au niveau mondial. Publiées en 1990, les Recommandations du GAFI ont été révisées en 1996, 2001, 2003 et plus récemment en 2012 afin d’assurer qu’elles restent d’actualité et pertinentes. Elles ont vocation à être appliquées par tous les pays du monde.
Le GAFI surveille les progrès réalisés par ses membres dans la mise en œuvre des mesures requises, examine les techniques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ainsi que les mesures permettant de lutter contre ces phénomènes, et encourage l’adoption et la mise en œuvre des mesures adéquates au niveau mondial. En collaboration avec d’autres acteurs internationaux, le GAFI identifie également au niveau des pays les vulnérabilités afin de protéger le secteur financier international contre son utilisation à des fins illicites. »
http://www.fatf-gafi.org/fr/aproposdugafi/
La communauté internationale a donc fait de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement terroriste une priorité. Le FMI s’inquiète particulièrement des conséquences que le blanchiment de capitaux, le financement terroriste et les problèmes de gouvernance connexes peuvent avoir sur l’intégrité et la stabilité du secteur financier et de l’économie de manière plus générale. Ces activités peuvent saper l’intégrité et la stabilité des institutions et systèmes financiers, dissuader les investisseurs étrangers et perturber les flux de capitaux internationaux. Elles peuvent avoir des conséquences négatives pour la stabilité financière et les résultats macroéconomiques d’un pays, et partant, entraîner des pertes de bien-être, détourner les ressources d’activités économiques plus productives et même avoir des retombées déstabilisatrices sur l’économie d’autres pays. Dans un monde de plus en plus interconnecté, les répercussions négatives de ces activités ont une envergure mondiale, et leur incidence sur l’intégrité et la stabilité financières des pays est largement reconnue. Les blanchisseurs de capitaux et les financiers terroristes exploitent à la fois la complexité inhérente au système financier mondial et les différences entre les législations et dispositifs de LBC/FT de différents pays, et ils sont attirés notamment par les pays où les contrôles sont faibles ou inefficaces et où ils peuvent plus facilement déplacer leurs fonds sans être découverts. Qui plus est, les problèmes que connaît un pays peuvent rapidement se propager à ceux d’une même région ou à d’autres parties du monde.
L’existence de dispositifs solides de LBC/FT concourt à l’intégrité et la stabilité du secteur financier et, partant, facilite l’intégration des pays au système financier mondial. Elle permet également de renforcer la gouvernance et l’administration des finances publiques. L’intégrité des systèmes financiers nationaux est essentielle à la stabilité macroéconomique et financière, tant au plan national qu’au plan international.
Composé de 36 membres, le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) a été créé au sommet du G-7 qui s’est tenu à Paris en 1989. Sa responsabilité première est d’établir des normes mondiales de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Il travaille en étroite collaboration avec d’autres organisations internationales de premier plan, telles que le FMI, la Banque mondiale, l’Organisation des Nations Unies et les organismes régionaux de style GAFI.
Pour aider les autorités nationales à appliquer des dispositifs efficaces de LBC/FT, le GAFI a formulé et publié une liste de recommandations qui forment un cadre de référence, d’application universelle, de mesures couvrant le système de justice pénale, le secteur financier, certaines activités et professions non financières, la transparence des personnes morales et des dispositifs juridiques et les mécanismes de coopération internationale.
Qu'en est-il en réalité ?
Tout ceci est donc très beau mais bien loin de la réalité ainsi qu'on peut le voir avec cette surprenante déclaration en date du 19 février 2016 dont on aimerait portant connaître la motivation profonde : « Le GAFI a reconnu que l'Algérie, l'Angola et le Panama ont fait des progrès significatifs dans l'amélioration de leurs régimes de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et ne seront donc plus soumis au processus de surveillance du GAFI. Le GAFI a identifié les juridictions qui ont un déficit de LBC / FT - Lutte Contre le Blanchiment de Capitaux/ Financement du Terrorisme, stratégiques pour lesquelles ils ont mis au point un plan d'action avec le GAFI. »
Question ouverte : que doit-on comprendre par « progrès significatifs dans l'amélioration des régimes de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme » ?
Le 26 juin 2015, le GAFI a publié une déclaration et établi un plan de travail sur le phénomène du « de-risking » (terme employé pour qualifier une situation dans laquelle des institutions financières interrompent ou restreignent leurs relations d'affaires avec certaines catégories de clients).
http://www.cbsnews.com/news/hsbc-swiss-leaks-investigation-60-minutes/
Et si l'on revenait sur Terre, en France par exemple, à la réalité des choses ?
Douze chefs d'Etat et de gouvernement, 128 responsables politiques et hauts responsables du monde entier, une soixantaine de proches des dirigeants mondiaux… et parmi eux environ 1 000 ressortissants français. Dans la liste des personnes impliquées dans l'évasion fiscale via des sociétés offshore, figureraient des personnalités françaises, une banque et un parti politique hexagonaux.
"Toutes les informations qui seront livrées donneront lieu à des enquêtes des services fiscaux et à des procédures judiciaires", a déclaré M. F. Hollande, réagissant à l'actualité, remerciant les lanceurs d'alerte et se félicitant des futures rentrées fiscales consécutives aux futurs redressements qui seront effectués. Afin que les choses soient bien claires , le président a cru utile de rajouter : "Ce que je peux vous assurer, c'est qu'à mesure que les informations seront connues, toutes les enquêtes seront diligentées, toutes les procédures seront instruites et les procès éventuellement auront lieu".
Chacun aura relevé la présence discrète de l'adverbe éventuellement, lequel a bien pour synonymes, hypothétiquement, possiblement, potentiellement, dans l'ordre du possible, le cas échéant.
Identifier constitue un bon début. Juger, en écartant les innocents et en condamnant les coupables, serait préférable.
Sources et Références :
- Les Panama Papers et le Consortium International de Journalistes (ICIJ)
https://panamapapers.icij.org/
- Fusion
http://interactive.fusion.net/dirty-little-secrets/index.html
-Panama Leaks
https://www.documentcloud.org/public/search/
- Le GAFI/ FATF. The Financial Action Task Force (FATF) is the global standard setting body for anti-money laundering and combating the financing of terrorism (AML/CFT). In order to protect the international financial system from money laundering and financing of terrorism (ML/FT) risks and to encourage greater compliance with the AML/CFT standards.
http://www.fatf-gafi.org/fr/accueil/
https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/amlf.htm
France :
http://www.huffingtonpost.fr/2016/04/04/francais-panama-papers-platini-balkany-drahi_n_9607784.html?