Panama Papers : ça sent quand même un peu l’arnaque

par Greg
jeudi 7 avril 2016

Au premier abord, j’ai constaté dans cette affaire des Panama Papers que l’on tapait essentiellement sur Vladimir Poutine. A l’ouest rien de nouveau me direz-vous, dans cette période où la propagande anti-russe dans les médias occidentaux atteint des sommets. Soit.

En se penchant un peu sur le sujet, on se rend compte que l’organisme à la base de cette fuite, et qui a coordonné l’enquête, ne fait pas partie de ces organismes (Wikileaks, etc) qui ont l’habitude de faire trembler les puissants avec leurs révélations. Les dirigeants du « monde libre », qui à l’accoutumée suent à grosses gouttes quand on évoque un « leak », applaudissent cette fois-ci1. Bizarre. Il y a quelque chose de différent dans cette affaire.

On s’aperçoit aussi que dans le cadre de la « plus grande fuite de l’histoire du journalisme »2, il n’y a au final pas énormément d’occidentaux mis en cause, pas vraiment de dirigeants de pays membres de l’OTAN ou d’hommes d’affaires de premier plan et surtout pas d’américain ! Oui, les Etats-Unis pourtant première puissance économique mondiale3 sont épargnés. C’est quand même étrange.

Le but de cet article n’est en aucun cas de tenter de défendre les personnalités qui sont actuellement mises en cause dans le cadre de l’affaire des Panama Papers. Je n’ai, en ce qui me concerne, que peu de doute sur le fait que des dirigeants comme le Roi Mohamed VI du Maroc, le milliardaire et président Ukrainien Petro Poroschenko ou encore les présidents russe et chinois puissent avoir des pratiques douteuses et vouloir échapper à l’impôt. Il est de notoriété publique que le pouvoir corrompt.

Je cherche simplement à expliquer pourquoi les médias occidentaux mainstreams, si favorables à l’establishment mondial et à l’OTAN tapent, à l’unisson et à grand renfort de publicité, sur les mêmes que d’habitude, à savoir principalement des indépendants et non-alignés avec les Etats-Unis, alors que l’évasion fiscale est un phénomène qui touche tous les pays du monde, à tous les niveaux.

Il paraît légitime de s’interroger. Ce qui m’amène à écrire mon premier article.

Qui mène l’enquête ?

Le média qui a reçu les premiers documents est le Süddeutsche Zeitung, journal de centre-gauche4 allemand parmi les trois plus grands quotidiens du pays5 (Déjà là, le lanceur d’alerte aurait pu faire mieux niveau presse indépendante, mais il débutait sûrement). Très vite le média allemand se tourne, par manque de moyens par rapport à la quantité de documents (11 millions), vers l’organisme qui va coordonner l’investigation et répartir le travail : l’ICIJ (Consortium international des journalistes d'investigation). La suite de l’opération s’est donc faite en collaboration avec plus d’une centaine de médias de 76 pays du monde.

La consultation de son site internet nous permet d’apprendre que l’ICIJ, fondée en 1997 par Charles Lewis est en faite un projet du Center For Public Integrity6, lui-même fondé par Charles Lewis, mais en 1989. Cette dernière structure, dont le CEO est aujourd’hui Peter Bale, est une ONG (organisation non gouvernemental à but non lucratif) basée à Washington, « à deux pas de la Maison Blanche »7. Pas mal.

Comme écrit sur son site internet, le but de cet organisme est de « servir la démocratie en révélant les abus de pouvoir, la corruption, l’abus de la confiance du peuple par les institutions puissantes publiques ou privées, grâce aux outils du journalisme d’investigation » 8.

Si l’on s’intéresse aux personnages clés de ces organisations on apprends que Peter Bale, le CEO du Center For Public Integrity, est un ancien de CNN International9. Charles Lewis est quant à lui un journaliste d’investigation, ancien producteur de la chaine ABC News et de l’émission 60 minutes10. Ces deux personnalités viennent donc de deux des plus grosses chaînes d’infos des Etats-Unis. ABC News étant la propriété de The Walt Disney Company et CNN celle de Time Warner. D’accord.

Les médias qui font partie du réseau ICIJ sont parmi les plus mainstream de la planète. Pour en citer quelques-uns : Le Monde en France, Le Soir en Belgique, The Guardian et la BBC en Angleterre, Süddeutsche Zeitung en Allemagne11. Autant dire qu’à l’ICIJ on fait plutôt dans le média de masse, bien pensant, détenu par de riches investisseurs12,13,14 que dans le journalisme indépendant. Le genre de journalisme, comme celui du Guardian, qui détruit les données fournies au péril de sa vie par Edward Snowden sur les pratiques de la NSA15.

Côté financement, ce qui en dit souvent beaucoup, l’organisme est financé par des particuliers et par de généreux mécènes, parmi lesquels on trouve entre autres : Ford Foundation, W.K. Kellogg Foundation, Open Society Foundation (George Soros), Rockefeller Brothers Fund, Rockefeller Family Fund16. L’indépendance avant tout on vous dit !

Comment procèdent-ils ?

La méthodologie a de quoi surprendre. Comme nous le précise Süddeutsche Zeitung dans un de ses articles sur l’affaire17, repris dans un post de Craig Murray18, un ancien diplomate britannique, et dont l’extrait suivant a été traduit par le sakerfrancophone19 :

« Les journalistes ont réuni des listes de politiciens importants, de criminels internationaux, d’athlètes professionnels bien connus, etc. Le traitement numérique a permis de rechercher ensuite si des noms de ces listes figuraient dans les fuites. Une liste « scandale des dons au parti » contenait 130 noms, et la liste des sanctions de l’ONU plus de 600. En quelques minutes, le puissant algorithme de recherche a comparé les listes avec les 11,5 millions de documents.

Pour chaque nom trouvé, un processus de recherche détaillé a été lancé au moyen des questions suivantes : quel est le rôle de cette personne dans le réseau des entreprises ? D’où vient l’argent ? Où va-t-il ? La structure est-elle légale ? »

On comprend donc que les journalistes s’appuyent principalement sur une liste de politiciens qu’ils ont sélectionné (ou que les propriétaires des médias pour lesquels ils travaillent ont choisis ?), de personnes sanctionnées par l’ONU autant dire non-alignées avec la politique de l’OTAN et encore moins membres de l’OTAN. La méthode a donc consisté à choisir quelqu’un qui ne plaît pas à au pouvoir en place aux Etats-Unis, à entrer son nom dans le moteur de recherche en espérant qu’il en sorte quelque chose. Comme le dit Craig Murray dans son article, « ne vous attendez pas à une réelle révélation sur le capitalisme de l’ouest. Les sales secrets des sociétés occidentales ne seront pas publiés. » Et de continuer « et si les recherches dans la base de données portaient sur les propriétaires des médias de masses, leurs entreprises, tous les éditeurs et les journalistes ? (…) sur les plus hauts placés à la BBC ? (…) sur chaque donateur du Center For Public Integrity ? (…) sur chaque entreprise cotée dans une bourse occidentale ? (…) sur chaque millionnaire de l’ouest qu’ils pouvaient trouver ? ». En effet, cela aurait été plus fun, mais on ne tape pas sur les copains. Ce n’est pas le but de la manœuvre.

Les américains étrangement épargnés, pas leurs ennemis

Comme je le disais en introduction, les Etats-Unis sont la première puissance économique mondiale. Ils sont aussi le pays qui compte le plus de milliardaires au monde, soit 536. Suivent la Chine et l’Allemagne avec respectivement 213 et 10320. Je ne prétends pas ici faire la démonstration d’une science exacte qui voudrait que puisqu’un pays est premier au classement du nombre de milliardaires il doit forcément avoir un plus grand nombre de contribuables impliqués dans la fraude fiscale. Mais ça serait logique. Pour qu’il n’y ait aucun américain, ni aucune société américaine cités, c’est soit que l’ensemble du peuple américain est foncièrement honnête et ne compte donc aucun fraudeur, soit que le Panama n’est pas assez paradisiaque fiscalement pour eux, soit qu’on nous prend pour des truffes.

Concernant les autres pays occidentaux, j’évoquerai uniquement la France, simplement par méconnaissance des autres pays européens et de leurs personnalités. L’affaire des Panama Papers fait ressortir les noms de quelques français comme Michel Platini, Patrick Balkany, Jérôme Cahuzac, ou Fréderic Chatillon, un proche de Marine Le Pen. Seulement ces révélations touchent des personnalités déjà inquiétées par la justice pour la plupart. Michel Platini dans une affaire de « conflit d'intérêt » et « gestion déloyale » qui lui a probablement couté la présidence de la FIFA21. Patrick Balkany, pour fraude fiscale et corruption passive22. Jérôme Cahuzac est accusé d’évasion fiscale23. Philippe Chatillon est mis en examen pour financement illégal dans le cadre de la campagne de 2012 de Marine Le Pen24. On prend les mêmes et on recommence. On n’abime pas la réputation de nouvelles personnalités, on enterre un peu plus ceux qui l’étaient déjà. Idem pour les sociétés, on nous parle de la Société Générale, qui avait déjà fait l’objet d’une enquête en 2012.

Passe aussi à la moulinette médiatique une poignée de millionnaires inconnus, ou disons de second plan, pour la forme25. On apprend rien de nouveau ou de transcendant, un non-événement en somme.

En ce qui concerne la Russie et particulièrement Vladimir Poutine (alors qu’il n’est pas cité dans les documents), ou le président Bachar Al Assad (pas cité non plus), les dirigeants chinois ou vénézuéliens, c’est un autre son de cloche. Ils font les unes de tous les médias occidentaux, surtout le président russe. Mais je ne reviendrais pas dessus vous en avez assez, et en aurez encore, dans les médias de masse.

Ca grince aussi beaucoup à la FIFA et à l’UEFA26,27 que l’on ne pardonne sûrement toujours pas de n’avoir pas attribué la Coupe du Monde 2022 aux Etats-Unis. C’est en effet après l’attribution au Quatar que l’enquête du FBI a commencé provoquant ensuite de nombreux scandales.

L’affaire aurait sans doute été différente si les données avaient été partagées et rendues publiques via une plateforme du type Wikileaks. Chacun aurait pu, comme il est de coutume, faire ses propres recherches et les résultats auraient été foncièrement différents. Gerard Ryle, le directeur de l’ICIJ, se veut rassurant pour l’establishment en disant : « nous n’avons pas dévoilé l’ensemble de la base de données et nous ne le ferons pas »28. Ouf ! Quelqu’un aurait pu trouver quelque chose d’intéressant et de vraiment compromettant.

Alors, quel est le but de cette fuite ?

Il y aurait plusieurs raisons à cette fuite d’information contrôlée. La première est apportée par Ernst Wolff, journaliste et auteur, spécialiste de la finance. Selon lui les Etats-Unis tenteraient de « vider les paradis fiscaux actuels, dans le but de se positionner comme le principal paradis fiscal »29. Certains états comme le Dakota du Sud, le Delaware ou le Nevada sont souvent appelés « nouvelle Suisse » car ils bénéficient de lois permettant une extrême opacité. « On estime que les entreprises offshores possèdent environ 30 à 40 trillions de dollars. Et les Etats-Unis souhaitent évidemment rediriger cet argent dans leur pays. (…) D’un côté, cela affecte négativement certains paradis fiscaux : les individus et les entreprises vont retirer leur argent de là et le rediriger vers le Nevada ou le Dakota du Sud. Et d’un autre côté, cela permet de jeter la pierre à Poutine. » Compte tenu du contexte économique actuel cela semble être en effet un motif crédible pour augmenter à terme les rentrées fiscales sur le territoire américain.

Un autre motif serait de prévenir « d’autres personnalités, celles qui figurent dans la base de données, mais dont les noms n’ont pas encore été révélés, que les États-Unis ou leurs partenaires médiatiques peuvent, à tout moment, exposer leur linge sale en public. C’est donc un moyen de chantage idéal 19 ».

Dans tous les cas, cela permet à coup sûr de salir les opposants à l’OTAN et à la politique impérialiste américaine tels que la Russie, la Chine et le Venezuela, sans avoir l’air d’y toucher. La classe américaine.

Greg

  1. www.rtl.fr/actu/international/panama-papers-edward-snowden-moque-le-soutien-soudain-de-francois-hollande-aux-lanceurs-d-alerte-7782691270
  2. www.courrierinternational.com/article/panama-papers-la-plus-grande-fuite-de-lhistoire-du-journalisme
  3. www.impact24.info/banque-mondiale-etats-unis-restent-premiere-puissance-economique/
  4. www.integrersciencespo.fr/index.php ?article15/orientations-politiques-de-la-presse-etrangere-et-francaise
  5. https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%BCddeutsche_Zeitung
  6. www.icij.org/about
  7. www.gqmagazine.fr/pop-culture/gq-enquete/articles/panama-papers-comment-fonctionne-licij/37164
  8. www.publicintegrity.org/about/our-people/board-of-directors
  9. www.publicintegrity.org/2014/12/02/16342/peter-bale-named-new-head-center-public-integrity
  10. http://www.american.edu/soc/faculty/charlesl.cfm
  11. https://panamapapers.icij.org/pages/reporting_partners/
  12. www.sdllemonde.fr/le-groupe-le-monde
  13. https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Soir#Actionnariat
  14. https://en.wikipedia.org/wiki/Guardian_Media_Group
  15. www.theguardian.com/uk-news/2014/jan/31/footage-released-guardian-editors-snowden-hard-drives-gchq
  16. www.publicintegrity.org/about/our-work/supporters
  17. http://panamapapers.sueddeutsche.de/articles/56febff0a1bb8d3c3495adf4/
  18. www.craigmurray.org.uk/archives/2016/04/corporate-media-gatekeepers-protect-western-1-from-panama-leak/
  19. http://lesakerfrancophone.fr/les-panama-papers-sont-un-moyen-de-chantage-ideal
  20. www.lesechos.fr/17/07/2015/lesechos.fr/021213623632_le-top-5-des-pays-ou-vivent-le-plus-de-milliardaires.htm
  21. www.lequipe.fr/Football/Actualites/Michel-platini-et-sepp-blatter-suspendus-8-ans-par-le-comite-d-ethique-de-la-fifa/618509
  22. www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/10/15/patrick-balkany-mis-en-examen-pour-fraude-fiscale_4790536_1653578.html
  23. www.lexpress.fr/actualite/politique/l-affaire-cahuzac_1207109.html
  24. www.francetvinfo.fr/politique/front-national/frederic-chatillon-proche-de-marine-le-pen-mis-en-examen-pour-financement-illegal-du-fn_872571.html
  25. www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/06/panama-papers-ces-riches-francais-qui-dissimulent-leurs-avoirs_4896660_4890278.html
  26. www.theguardian.com/news/2016/apr/05/panama-papers-pull-fifa-uefa-chief-gianni-infantino-corruption-scandal
  27. www.lexpress.fr/actualite/sport/football/panama-papers-le-siege-de-l-uefa-perquisitionne-par-la-police-suisse_1780099.html
  28. www.rt.com/news/338439-panama-papers-icij-leak-russia/
  29. http://sputniknews.com/us/20160405/1037533905/us-panama-papers.html

 


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