Pétrodictateurs et Soupirants Démocrates au Tempo du Nouvel Ordre Mondial
par Narcisse Jean Alcide Nana
mardi 8 mars 2011
Sous les télescopes de la politique internationale, le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et les pays du Golfe se dessinent sous les traits saillants d’un désert démocratique. On s’accorde aujourd’hui à parler de « déficit démocratique » caractéristique à ces zones géographiques. Ce déficit démocratique à la peau dure reste cependant redevable d’une conjoncture historique. La doctrine du statu quo érigée comme monnaie de change pour la stabilité de l’ordre mondial. Cette amnésie historique ne saurait absoudre notre indignation convenue face au sang versé des Libyens par leur guide enragé, ni apaiser nos angoisses sur l’envolée des prix du pétrole.
Les aspirations aux vents de liberté et de reformes politiques ont toujours soufflé avec forte persistance sur les sables mouvants de ce sahara démocratique. En Egypte, le parti des Frères Musulmans et le mouvement Hizb Al-Wasat, ont, en chaque fin de saison, récolté les rouges raisins de la colère du système Mubarak. Autant en Jordanie avec le parti Jabhat-Al-Amal al-Islam (l’Action du Front Islamique), qu’au Yémen à travers Al-Islah ou encore à Bahreïn avec Al-Wefaq, les aspirations au pluralisme démocratique ont été suspectes de dérives violentes et extrémistes pour consolider le statu quo politique. Ainsi, du Caire à Bahreïn, l’entorse démocratique a accouché, par effet de légitimité populaire, de pétrodictatures se réclamant d’obédience divine et de traditions culturelles. Il n’est guère accidentel qu’on se soit longtemps accommodé d’une instrumentalisation des ressources du pétrole à des fins belliqueuses ou de déstabilisation de pays tiers. Le dictateur Kadhafi, père du « miracle Libyen », est l’incarnation quasi parfaite d’un pétroagresseur accompli. Il a exporté sur le marché politique la bière d’un populisme national aux saveurs d’arrogance et de déstabilisation comme mode de gestion de ses réserves pétrolifères.
C’est que l’ordre mondial, sur fond de sécurité internationale, s’est scellé une intimité jalouse avec le pétrole comme indispensable « aphrodisiaque géopolitique ». Par jour, la consommation mondiale de pétrole varie de l’ordre de 83-87 million de barils, soit 31 milliard de barils annuellement. Les paramètres de la stabilité géopolitique reposent d’une part, sur l’exigence de routes sécurisées pour convoyer le pétrole à bon port, et d’autre part, sur la régulation des prix du pétrole à la pompe. Washington honore la facture de $ 5.5 milliards de dollars par an, en assistance militaire, pour sécuriser le transport du pétrole à partir du monde Arabe. D’ici 2035, le Moyen- Orient et l’Afrique du Nord approvisionneront 43% de la demande mondiale en pétrole brut. Du reste, la forte demande de sécurité énergétique mondiale ne semble pas décliner. Depuis mars 2010, la Chine achète 1.1 million de nouvelles voitures par an. Autant dire que la stabilité de l’ordre mondial repose sur l’efficacité des mesures préventives pour juguler les crises énergétiques.
La fièvre des secousses socio-politiques au Maghreb, au Moyen-Orient et dans les pays du Golfe provoque par contagion des accès de toux sur les marchés boursiers et financiers. La Libye avec ses 46.4 milliard de barils de pétrole dans ses réserves, soit l’ordre de 2% des réserves mondiales, a produit ses victimes collatérales dans sa descente aux enfers. Le prix du baril de pétrole est grimpé à $ 116 dollars. Ceux qui vivent du pétrole n’ont pas perdu du temps pour sonner le clairon de la fin de l’ère du pétrole à prix abordable. Des statistiques apocalyptiques de la fin de l’âge du pétrole nous ont été généreusement aspergées en pleine figure en guise de faire part de rééchelonnement des nouveaux prix à la pompe. Une justification laconique. Les réserves mondiales de pétrole connaissent une baisse de l’ordre de 80% ; le champ de pétrole de Ghawar qui représente 70% de la production Saoudienne est en déclin drastique ; depuis 1965, le taux de nouvelles découvertes de champs pétroliers s’amenuise. Une ère d’impuissance face à la volatilité des prix énergétiques s’invite à l’horizon de nos sacrifices quotidiens.
Il y a manifestement une mutation au registre des préoccupations de la stabilité et de la sécurité mondiale. Symptôme d’une nouvelle appréciation et perception des pouvoirs socio-économiques. Les acteurs dans l’industrie énergétique sont aujourd’hui autant transnationaux que diversifiés. Ils entendent s’émanciper progressivement des griffes des pétrodictateurs. Ce qui a contribué à la marginalisation de l’OPEP et du pôle stabilisateur sans partage de la Maison de Saoud. Les crises successives nous donnent la preuve que l’OPEP n’a plus les moyens de prévenir la flambée des prix du pétrole. Et mieux, la Russie vient de supplanter l’Arabie Saoudite comme le plus grand pays producteur de pétrole au niveau mondial avec ses 60 milliards de barils en réserves. A l’horizon de 2030, plus de 60% des besoins de gaz de l’Union Européenne proviendront de la Russie. L’insécurité économique mondiale, doublée de vagues d’émeutes de la faim et d’une forte demande énergétique de l’Asie entre 2005-2007 avaient laissé l’OPEP sans repentir sur son refus d’augmenter sa production de pétrole. Le précieux liquide convoité fluctua entre $60 et $90 dollars le baril. En 2008, la visite du Président Bush au début de la récession économique n’avait pu fléchir le roi Saoudien pour injecter plus de pétrole pour la croissance économique. Aujourd’hui, devant les syndromes du chaos Libyen et des soulèvements populaires de Bahreïn, le royaume Saoudien s’offre de marchander la stabilité et la paix sociale par des promesses en espèces sonnantes. L’annonce par sa majesté d’une augmentation de sa production de pétrole de l’ordre de 12 million de baril par jour, puis la mise en chantier d’un programme de $11.7 milliard de dollars pour l’immobilier, l’éducation et le bien être social semble laisser les marchés financiers indifférents.
Le sceptre du nouvel ordre mondial a tourné le dos au pouvoir sans partage des autocrates comme gendarmes de la stabilité mondiale. Il semble élire pour enfant adoptif la liberté et le pro forma démocratique en échange de la stabilité. Ainsi, il avale la pilule amère de l’élévation morale au lieu de récolter simplement les dividendes économiques d’une stabilité immorale.