Pinochet et Rumsfeld
par Michel Monette
lundi 18 décembre 2006
Pinochet est mort le jour même où Rumsfeld franchissait pour la dernière fois les portes du Pentagone en tant que secrétaire d’État à la Défense. Le parallèle de l’histoire entre ces deux hommes ne s’arrête cependant pas là. Tout comme Pinochet et Kissinger, Rumsfeld pourrait bien passer le reste de sa vie à tenter d’échapper à la justice intérieure et internationale.
En mai 2005, William Schulz d’Amnesty international aux États-Unis reprochait au gouvernement américain d’être devenu un des leaders mondiaux de la torture, soit directement, soit en la sous-traitant à des gouvernements étrangers.
Schulz soutint alors que Rumsfeld et d’autres responsables américains devaient être traduits en justice à l’étranger pour violation de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre et de la Convention de l’ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Depuis lors, des poursuites ont été entamées en Allemagne et aux États-Unis.
Dans l’héritage du sinistre Pinochet, il y a tout de même un élément positif. La bataille menée à l’étranger pour obtenir qu’il soit jugé pour les crimes dont il est responsable aura provoqué l’apparition d’une nouvelle génération d’activistes et d’avocats des droits de l’homme, déterminés à faire traduire en justice toute personne en autorité responsable de violations des conventions internationales en matière de droits humains (Roger Burbach. The Atrocities of Augusto Pinochet and the United States, 11 décembre 2006).
Une nouvelle expression pourrait bien être associée à Pinochet : se faire pinocheter à l’étranger (being pinocheted). Car c’est bien là que l’acharnement de membres des familles des disparus, assassinés et torturés ( 3100 morts et 27 000 emprisonnés), d’activistes et d’avocats des droits de l’homme aura réussi à amener la justice extraterritoriale.
Moins de soixante-douze heures après son retour de l’Angleterre, où il avait été arrêté et détenu en vue d’être traduit devant les tribunaux, le juge Juan Guzman retirait l’immunité au général Pinochet, ouvrant les vannes judiciaires à une série de procès pour violation des droits de milliers de Chiliens, sans compter les procès pour évasion fiscale et possession illégale de centaines de comptes bancaires (Sarah Anderson, The Pinochet Precedent, 5 décembre 2006).
Saluons au passage la Justice espagnole qui avait permis d’enclencher, en 1996, le processus judiciaire contre Pinochet et d’autres responsables chiliens.
Le processus est entamé dans le cas de Rumsfeld. Onze prisonniers détenus dans la célèbre prison d’Abu Ghraib ont déposé une plainte devant un tribunal allemand, plainte fondée sur la loi de compétence universelle adoptée par l’Allemagne en 2002.
Une association d’avocats défendant des détenus de Guantanamo a aussi, le 14 novembre dernier, déposé une plainte devant un tribunal allemand, contre Rumsfeld et d’autres responsables américains, dont le secrétaire d’État à la Justice Alberto Gonzalez, au nom du principe de juridiction universelle (RTL. Les détenus de Guantanamo contre Rumsfeld).
Plusieurs avocats d’organisations de défense des libertés viennent pour leur part de demander, devant un tribunal du district de Washington, que Rumsfeld et trois hauts gradés militaires américains soient tenus responsables des tortures infligées aux détenus irakiens.
De nombreuses autres poursuites pourraient bien être intentées contre l’ancien secrétaire à la Défense dans les années à venir, y compris à l’étranger,à mesure que d’autres gouvernements vont adopter une loi de compétence universelle et accepter la compétence de la Cour pénale internationale (CPI).
Les autorités américaines devront bien finir par accepter de lever l’impunité de leurs ressortissants séjournant à l’étranger devant cette même CPI. Mais c’est une véritable course contre la montre qu’elles ont plutôt entamée pour obtenir un maximum d’accords bilatéraux garantissant qu’aucun Américain séjournant sur le territoire du pays signataire ne sera remis à la CPI (FIDH. Cour pénale internationale : les Etats-Unis passent à l’acte !).
Plusieurs pays ont tout de même résisté aux pressions américaines. Rumsfeld devra traîner avec lui la liste des États complaisants dans ses voyages à l’étranger.
Souhaitons-lui de se faire pinocheter en se trompant de pays.
P.S. À lire : le numéro de décembre 2006 de la lettre électronique du Transnational Institute.