Les révélations sur les pratiques fiscales du Luxembourg ont peut-être déclenché une prise de conscience bienvenue. Il faut dire que même l’OCDE commence à s’inquiéter de la manière dont les multinationales gèrent leur contribution à la collectivité. Mais cette prise de conscience reste bien timide.
Asymétrie autobloquante
Il y a toujours quelques personnes pour prendre la défense des parasites fiscaux (improprement appelés «
paradis ») en vantant leur dynamisme, leur richesse ou la pression qu’ils mettraient sur les autres Etats, qui seraient trop gourmands. Mais
cette interprétation des choses est aussi partielle que partiale. Bien sûr, la plupart des parasites fiscaux sont riches et en croissance, mais si leur fiscalité très légère l’explique, cela vient de l’écart avec les autres pays. Car s’il n’y avait pas d’écart, il l’intérêt des multinationales serait bien moindre. Si Washington, Tokyo, Paris et Berlin s’alignaient sur la fiscalité luxembourgeoise, la fortune des parasites fiscaux fondrait comme neige au soleil.
Le système ne tient que par son asymétrie autobloquante, à savoir que si la fortune du Luxembourg et de ses semblables repose sur leur fiscalité minimale, leur base fiscale (et donc leurs recettes) est sans rapport avec leur taille,
car les multinationales y déplacent leurs profits, sans proportion aucune avec la part de leurs affaires réellement réalisées ici. Et les grands pays ne peuvent pas suivre cette folle course au moins-disant fiscal tellement ils perdraient de recettes, d’autant plus que la désertion fiscale accentue leurs déficits et les prive donc de marges de manœuvre. Nous sommes dans un système auto-bloqué, qui ne profite qu’aux plus riches, aux multinationales et aux parasites fiscaux.
Vers une rébellion démocratique
Bien sûr, depuis la crise de 2008-2009, les dirigeants de la planète (Nicolas Sarkozy notamment) se sont plaints de cette concurrence fiscale déloyale et promettent d’agir. Mais rien n’avance, au point que c’est l’OCDE qui semble vouloir prendre l’initiative aujourd’hui. Il faut dire que la libre-circulation des capitaux et des biens, conjugués à des Etats de moins en moins forts, au point qu’ils acceptent des accords les mettant sur le même plan que les multinationales, complique sérieusement toute remise en question. L’édifice inique des parasites fiscaux ne peut pas être remis en cause sans remettre en cause de façon fondamentale la conception même de cette mondialisation anarchique.
On peut voir des motifs d’espoir dans l’évolution du continent latino-américain,
où certains pays se sont rebellés face à l’ordre établi, même s’il ne faut pas ignorer les limites de certains régimes. La prospérité des parasites fiscaux ne durera pas car, outre le fait d’être profondément injustes, en favorisant les plus riches au détriment des autres, ils contribuent plus encore à déstabiliser le système économique en appauvrissant toujours plus les Etats, qui se retrouvent contraints à couper dans les dépenses publiques. Tôt ou tard, les citoyens finiront par se révolter et finiront par appliquer les méthodes employées par le Général de Gaulle contre Monaco dans les années 1960 : la fermeture des frontières.