Pourquoi l’amende de BNP Paribas est un scandale

par Laurent Herblay
jeudi 10 juillet 2014

Mon papier sur le jugement de la Cour Suprême étasunienne en faveur d’un fond vautour contre l’Argentine a déclenché une avalanche de commentaires sur l’affaire BNP Paribas auxquels il était difficile de répondre rapidement.J’ai donc préféré reprendre le dossier après m’être renseigné davantage. Il est bien évident que je ne défends pas ici les banquiers, dont j’ai souvent dénoncé les excès ici.

Toujours un problème de mesure et d’arbitraire
 
Bien sûr, un commentateur anonyme a pu s’appuyer sur le jugement d’un rédacteur en chef d’Alternatives Economiques, Christian Chavagneux, qui, sur son blog, relativise et justifie l’amende infligée à la banque française en affirmant qu’après tout, cela ne fait que 30 cents par dollar de transaction litigieuse, que cela ne représente qu’environ une année de profits et ne remet pas en cause la banque. La provenance donne du crédit au jugement, mais l’indigence de l’argumentation incite à la prudence. L’hostilité à l’égard de la finance explique peut être un jugement si lapidaire. Certes, 30 milliards de transactions sont dans le collimateur, mais ne peut-on pas penser que 30% d’amende est un chiffre énorme, pour ne pas dire extravagant ? D’ailleurs, même certains médias étasuniens soulignent que les banques étrangères sont bien plus sanctionnées que les banques étasuniennes, comme le rapporte le Figaro. Il n’a jamais été démontré qu’un tel montant était justifié de manière factuelle, rationnelle et argumentée.
 
En effet, pourquoi 30% ? Si, par hypothèse, les marges sur de telles transactions sont de 1%, alors la somme est totalement extravagante, représentant 30 fois les profits alors réalisés. Il faut rappeler ici que le bilan de BNP Paribas approche 2000 milliards d’euros, donc ces transactions ne représentent qu’un peu plus d’1% de son bilan et, à supposer que les transactions traitées annuellement par la banque dépasse son bilan, alors, comment ne pas trouver totalement excessif de saisir l’intégralité des profits annuels de la banque pour des transactions qui ne représentent sans doute que moins de 1% des transactions annuelles qu’elle traite… Et outre le problème de mesure de cette amende, il faut noter son caractère arbitraire. Soit le droit étasunien spécifie explicitement qu’en passant de telles transactions, le contrevenant s’expose à des amendes d’une telle magnitude (ce qui ne semble pas le cas), soit il ne le fait pas, et alors, la justice de l’Oncle Sam tombe à nouveau dans un mode de fonctionnement contestable.
 
Le problème de l’extraterritorialité

L’autre problème posé par l’amende infligée à BNP Paribas est l’application du droit étasunien au-delà du territoire même des Etats-Unis. C’est un point que j’avais déjà soulevé quand la prise de participation de 7% du capital de PSA par General Motors avait contraint notre constructeur à abandonner la production de plus de 450 000 véhicules (13% de sa production d’alors), qu’il vendait en Iran. Pour quelle raison un actionnaire largement minoritaire pourrait-il imposer les règles de son pays à une entreprise d’un autre pays, qui, en plus, ne vendait pas une voiture aux Etats-Unis ? Même la presse anglo-saxonne souligne le caractère assez cavalier du droit étasunien qui se joue des frontières pour imposer sa volonté à la planète, chose d’autant plus facile en Europe que personne ne semble s’en émouvoir, au contraire de la Russie ou de l’Amérique du Sud, qui ont appris à remettre les cow boys à leur place.

Ici encore, cette amende semble reposer sur une curieuse conception du droit, où les règles étasuniennes semblent pouvoir s’imposer à la planète. En effet, la filiale suisse de BNP Paribas semble particulièrement visée, mais elle n’est pas du ressort du droit US… D’ailleurs, en Allemagne, cette amende inquiète car elle se joue des frontières qui régulent le droit, comme le rapporte les Echos, d’autant plus que nous n’en sommes qu’au début, d’autres banques étant sous le viseur US. Les Etats-Unis semblent partir du principe qu’à partir du moment où on utilise des dollars, alors, la transaction dépend du droit US. Outre le fait que cela devrait pousser à un recul de l’utilisation du dollar pour échapper aux juges étasuniens, cela ne semble pas logique étant donné que les Etats-Unis ont voulu faire de leur monnaie la monnaie de réserve et d’échange mondiale. Ils semblent vouloir le beurre et l’argent du beurre.
 
Vient malgré tout une complication, à savoir le mécanisme de compensation des transactions en dollar, expliqué par un papier du Monde, qui ne lève pas toutes les critiques que l’on peut porter à l’amende. En effet, la théorie pourrait vouloir que toute transaction en dollar doive passer par une caisse de compensation sur le territoire étasunien, ce qui imposerait donc logiquement le respect du droit étasunien. Mais d’abord, il semble instinctivement étrange (pour ne pas dire impossible), que toutes les transactions en dollar de la planète doivent passer par les Etats-Unis. Ne s’agit-il pas simplement d’une caisse qui permet de régler les soldes interbancaires qui font la différence entre les dollars reçus et les dollars émis ? Dès lors, on ne voit pas pourquoi une transaction réalisée par une banque non étasunienne sur des comptes non étasuniens ne passant pas physiquement par cette caise devrait tomber sous le coup de la loi étasunienne. Cela ne serait qu’un cas d’impérialisme de l’Oncle Sam de plus.
 
Bref, plus je travaille sur le sujet, plus je suis convaincu du caractère totalement déraisonnable et impérialiste de l’amende infligée à BNP Paribas, comme cela se dit aussi sur les Echos... Mais il serait intéressant de savoir ce que les lois étasuniennes prévoient comme sanction pour de telles transactions ainsi que la géographie précise des transactions incriminées (pays d’origine de la filiale de BNP Paribas qui l’a réalisée, pays d’origine du compte payeur et du compte destinataire). L’absence d’informations factuelles sur ce sujet devrait pousser les anonymes en colère à un peu plus de prudence.
 

Merci à D pour ces liens, qui ont nourrit ces articles


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