Pourquoi l’Arabie saoudite et ses alliés veulent tuer la chaîne qatarie Al Jazeera

par Abdelkarim Chankou
jeudi 6 juillet 2017

Rien ne garantit que la fermeture de Al Jazeera fera retrouver le sourire aux visages des Arabes ; dans ce sens qu’un sevrage brutal après 20 ans d’addiction ne fera que déprimer davantage les Arabes qui jusqu’ici n’ont pas un média de substitution d’un même niveau de qualité que la chaîne de Doha.

Avant d’apporter des éléments de réponse à cette question sur toutes les lèvres depuis le 3 juin 2017, date où le royaume saoudien et trois de ses alliés que sont le Bahreïn, les Emirats et l’Egypte, ont décrété un boycott politique et économique intégral contre leur voisin le Qatar, je tiens à préciser que ce qui été écrit dans un précédent billet sur cette affaire sans précédent dans le monde arabe reste inchangé. L’adoption de la monnaie chinoise par le Qatar dans ses exportations gazières en Chine est la principale raison du durcissement de la position des quatre frères auquel se sont joints dare-dare d’autres pays satellites comme le Sénégal, la Mauritanie, le Tchad et le Gabon…avec la bénédiction des Etats-Unis, hostiles à toute idée de nature à affaiblir la suprématie du sacro-saint billet vert. Dans cet article notre propos traite exclusivement de la plus sensible des 13 demandes (car liée à la liberté d’expression) faites au Qatar par les boycotteurs, sans quoi aucune levée du boycott n’est envisageable ; d’ailleurs juste après l’expiration ce mercredi de l’ultimatum de 10 jours prorogé de 48 heures, le ministre des affaires étrangères saoudien Adel al-Jubeir a déclaré publiquement à ce sujet que le boycott durera jusqu’à ce que l’Etat du Qatar (qui a rejeté les 13 requête en les jugeant d’ « irréalistes ») change sa position en mieux. L’une de ces 13 demandes est la fermeture de la chaîne de télévision Al Jazeera. Une exigence qui n’est pas nouvelle ; puisque la chaîne qui émet depuis Doha, depuis la première moitié du milieu des de la décennie 1990, a maintes fois fait l’objet d’une levée de boucliers de la part de moult pays arabes gênés ou indisposés par la liberté du ton de celle que d’aucuns surnommaient « la CNN arabe ». L’Egypte est le premier d’entre ces pays à ne pas avoir en odeur de sainteté la chaîne satellitaire qatarie. Sous le régime actuel du maréchal al-Sissi qui a renversé le chouchou des Qataris en l’occurrence le frérot Mohamed Morsi en le jetant en prison où il croupit toujours, avec à la clé des peines de mort prononcées en série et à l’emporte pièce pour le raïss déchu et ses compagnons, la chaîne a fait l’objet de brouillages systématiques sur Nilesat avant son bannissement sur ce satellite égyptien, toujours très prisée dans le monde arabe malgré le lancement par Doha de Eshail sat, son propre satellite pour contourner l’interdiction égyptienne. Mais la phobie égyptienne de Al Jazeera remonte à l’époque de Hosni Moubarak. « Quoi ? C’est cette boîte d’allumettes qui fait tout ce bruit ? », avait a ricané le raïss (également destitué par l’armée au profit du frérot Morsi) lors de sa première visite du siège de la chaîne qatarie à la fin des années 1990. Israël ne supporte pas non plus la chaîne Al Jazeera. Une animosité qui a muté en haine sous le cabinet de Benyamin Netanyahu. Raison : le soutien de la chaîne au Hamas et au Hezbollah libanais dans leurs guerres contre Israël. Avigdor Liberman, l’actuel ministre de la défense, saute sur l’occasion du blocus contre l’émirat gazier pour régler ses comptes avec la chaîne en la mettant sur le même plan que la « propagande nazie ». Aux Etats-Unis les ténors du parti républicain (les démocrates un peu moins) ne cachent pas non plus leur hostilité à cette chaîne, à commencer par le président himself. « The Daily Mirror annonce le 22 novembre 2005 [en pleine guerre en Irak : ndlr] à la Une que le Président des États-Unis George W. Bush a voulu bombarder les locaux de la chaîne à Doha, mais le Premier ministre du Royaume-Uni Tony Blair l’en a dissuadé.

ADDICTION

Donald Trump ne fait pas exception. Avec le bonus d’être allergique aussi aux médias de son propre pays dont CNN qu’il surnomme The FNN, The Fake News Network  ! Et comme Al Jazeera se fait passer pour la CNN arabe tout en malmenant les pays arabes alliés du parti républicain dont les pays du boycott en plus du grand ami Israël, Trump ne peut que la détester surtout que la chaîne a mobilisé d’importants moyens lors des élections présidentielles du 8 novembre 2016 en prenant nettement position pour la candidate Hillary Clinton. Sans oublier la décision de Doha de signer avec l’Iran (que l’administration Trump ne porte pas dans son cœur contrairement à Obama) un accord sur l’exploitation partagée d’un immense champ gazier. Voilà grosso modo les raisons qui ont poussé le quatuor Riyad/Abou Dabi/Manama /Le Caire à resserrer l’étau autour de Doha. En plus la raison officielle du boycott, celle de soutenir les groupes terroristes ne tient pas la route ne serait-ce que parce que Riyad fait de même et peut-être mieux. La vraie cause qui se cache derrière la demande de fermer Al Jazeera est liée aux répliques continues du méga séisme des révoltes du Printemps arabe. En off, les régimes pourfendeurs de la télé y voient une caisse de résonance et un soufflet qui ne cesse de raviver tout foyer d’incendie latent ou évanescent dans un monde arabe en surchauffe tout en cultivant la culture du nihilisme et de déprime chez les jeunes populations arabes. Pour ces détracteurs de Al Jazeera, diffuser exclusivement des informations déprimantes en jet continue et en boucle : guerres meurtrières, attentas atroces, reportages bricolés sur la vie de misère dans les quartiers populaires des grandes métropoles arabes etc. n’est pas un acte innocent ni fortuit encore moins dénué d’arrière-pensées. Le but est de provoquer chez les populations arabes un sentiment de ras-le-bol, d’exaspération et de désespoir à même de les pousser à l’explosion. Le Cheikh Abdullah bin Zayed Al Nahyan y a fait allusion dans une déclaration publique à l’issue d’une réunion du quartet boycotteur mercredi, après la fin de l’ultimatum. « Pourquoi le Qatar refuse que les Arabes retrouvent le sourire ? » s’est demandé le ministre des affaires étrangères des Emirats arabes unis. Tout est dit. Ou presque. En effet rien ne garantit que la fermeture de Al Jazeera fera retrouver le sourire aux visages des Arabes ; dans ce sens qu’un sevrage brutal après 20 ans d’addiction ne fera que déprimer davantage les Arabes qui jusqu’ici n’ont pas un média de substitution d’un même niveau de qualité que la chaîne de Doha. Amen.

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