Poutine accuse : « Les Etats-Unis ont provoqué la guerre en Géorgie »
par William Castel
vendredi 29 août 2008
L’accusation est d’une gravité extrême. L’ancien président russe Vladimir Poutine soupçonne les Etats-Unis d’avoir incité la Géorgie à déclencher les hostilités en Ossétie du Sud, d’avoir délibérément provoqué la crise géorgienne. L’un des dirigeants politiques les plus puissants du monde dénonce donc publiquement ce qu’il considère être un complot américain. Un complot ourdi, selon l’ancien agent du KGB, dans le but de faire gagner l’un des candidats à la Maison-Blanche. Devinez lequel...
Vladimir Poutine passe à l’offensive. Après les sorties déjà musclées de son président, Dimitri Medvedev, qui a notamment déclaré ne pas craindre une nouvelle guerre froide, le Premier ministre russe a lancé, jeudi 28 août, un monumental pavé dans la mare. Il a, ni plus ni moins, accusé Washington d’avoir provoqué la guerre en Ossétie du Sud. Et devinez pourquoi : pour favoriser l’un des candidats à la Maison-Blanche !
"Le camp américain a en fait armé et entraîné l’armée géorgienne", a déclaré l’ancien chef du Kremlin lors d’un entretien à CNN. "Pourquoi tenir de longues années de difficiles discussions et chercher des solutions de compromis complexes dans les conflits interethniques ? Il est plus simple d’armer un camp et de le pousser au meurtre de l’autre camp, et c’est terminé".
Un langage direct, sans langue de bois, bien loin des précautions diplomatiques d’usage. Il faut dire que Poutine nous a habitué aux sorties verbales plutôt crues ; ainsi, au lendemain de la déclaration d’indépendance du Kosovo, il déclarait : cela crée "un précédent horrible qui va revenir dans la gueule des Occidentaux".
Cela dit, il n’avait pas tort... Mais revenons à nos moutons, et à la très grave accusation lancée par l’ancien "tsar" de Russie. D’après lui, les Etats-Unis ont donné des "ordres" à des citoyens américains présents en Géorgie pour envenimer la situation, et ainsi détourner l’attention des électeurs américains des conflits en Irak et en Afghanistan, et aussi de la mauvaise santé de l’économie américaine.
"Nous avons de sérieuses raisons de penser que des citoyens américains se trouvaient dans la zone de conflit pendant les hostilités. Si mes supputations sont confirmées, on peut alors soupçonner que quelqu’un aux Etats-Unis ait consciemment créé ce conflit dans le but d’aggraver la situation et de créer un avantage pour l’un des candidats dans la bataille pour le poste de président des Etats-Unis".
Sommé de donner ses preuves, Poutine a répété que "s’il était confirmé que des citoyens américains se trouvaient dans les zones de combats, il devrait être admis qu’ils étaient là après avoir reçu des ordres de leurs supérieurs. Par conséquent, a-t-il poursuivi, ils ont agi en exécutant ces ordres. Et le seul qui peut donner de tels ordres, c’est leur dirigeant."
"Je pense que ces allégations, avant et par-dessus tout, sont manifestement fausses", a répliqué Dana Perino, la porte-parole de la Maison-Blanche. "Suggérer que les Etats-Unis ont orchestré cela pour le compte d’un candidat politique ne semble tout simplement pas rationnel", a-t-elle ajouté.
Dana Perino a estimé que la Russie s’expose à une image internationale ternie, ainsi qu’à "d’autres" conséquences, qu’elle a refusé de préciser.
Concernant le candidat au profit duquel toute cette machination aurait été mise en œuvre, Vladimir Poutine n’a pas cité de nom. Mais on devine aisément qu’entre John McCain et Barack Obama, celui qui serait favorisé par une grave crise internationale serait le très expérimenté sénateur républicain.
On se souvient d’ailleurs que, le 23 juin dernier, son principal stratège, un certain Charlie Black, avait confié au magazine Fortune qu’une nouvelle attaque terroriste aux Etats-Unis, du type 11-Septembre, constituerait "un gros avantage" pour le candidat républicain à la Maison-Blanche.
Alors, l’accusation de Poutine est-elle crédible ? Ou relève-t-elle de la guerre médiatique que se livrent Moscou et Washington ? Bref, info ou intox ?
Pour Dominique Moïsi, directeur de l’IFRI (Institut français de relations internationales), interrogé hier soir sur France Info, "les Etats-Unis ont peut-être inconsidérément encouragé le président géorgien à se comporter de manière irresponsable". Tiens, tiens... N’est-ce pas là suggérer, avec un peu plus de délicatesse et de forme, ce que le bulldozer Poutine a balancé, brut de décoffrage, sur CNN ?
A ceux qui se demandaient encore s’il n’était pas exagéré de parler d’un retour de la "guerre froide", Poutine a apporté une réponse cristalline.