Poutine en colère !
par Pierre R. Chantelois
mardi 13 février 2007
Vladimir Poutine est en colère. Il l’a fait savoir ! Il l’a manifesté bruyamment à la 43e conférence sur la sécurité - le Davos de la sécurité - qui s’est tenue à Munich. Il s’en est pris vertement aux États-Unis, leur reprochant de jouer avec le feu dans le monde : l’intervention américaine a fait plus de mal à l’Irak que Saddam Hussein ! Il s’est même réclamé d’une citation de Franklin D. Roosevelt. Est-ce une colère de pur opportunisme de la part de Poutine, qui profite de la faiblesse de son adversaire et de son impopularité pour s’imposer ou imposer son point de vue ? Est-ce la manifestation d’une volonté de vouloir reprendre le contrôle d’une certaine influence géopolitique régionale, face à la politique d’interventionnisme de plus en plus marquée de la part des États-Unis ? Poutine s’en va-t-en guerre et il le manifeste clairement. Il visite le Proche-Orient, qualifié de pré carré des Américains. Il contredit sur des questions stratégiques importantes - Iran et Syrie - ses alliés et il entend discuter au cours de périples de sujets tels que les crises internationales, le pétrole, la lutte contre le terrorisme et d’éventuelles ventes d’armes. Rien n’échappe à Vladimir qui revendique sa place parmi les grands ! Il vient de siffler la fin de la récréation.
« Les États-Unis sortent de leurs frontières nationales dans tous les domaines, et cela est très dangereux, personne ne se sent plus en sécurité parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international », a déclaré le président Poutine. Le président russe vient de prononcer un violent réquisitoire contre la volonté de domination des États-Unis. Citant le président américain, Franklin D. Roosevelt, au début de la Seconde Guerre mondiale, il a déclaré : « A chaque fois que la paix est rompue, le monde est soumis à une menace ». Pour Vladimir Poutine, « nous assistons à un usage surexcité quasiment illimité de la force dans les relations internationales [...]. Les États-Unis sont sortis de leurs frontières nationales dans tous les domaines ». Selon le président russe, « l’usage de la force n’est légitime que sur la base d’un mandat des Nations unies, pas de l’OTAN ou de l’Union européenne ». [...] « Les actions unilatérales et illégitimes n’ont pas réglé un seul problème, elles sont devenues un foyer de conflits supplémentaires ». Poutine a déploré qu’on soit désormais dans « un monde avec un seul maître, un seul souverain (...) qui n’a rien à voir avec la démocratie ». « Cela nourrit la volonté des autres pays d’avoir des armes nucléaires », a-t-il jugé . Le président russe dénonce le projet américain d’installer des sites de défense antimissiles en Europe de l’Est, probablement en Pologne et en République tchèque, anciens pays satellites de l’URSS. Il estime que si ce plan était exécuté, l’équilibre des pouvoirs serait « complètement déstabilisé ».
Pour le président Poutine : « un monde unipolaire ne signifie en pratique qu’une chose, un centre de pouvoir, un centre de force, un centre de décision agissant comme un maître unique, un souverain unique, qui s’effondrera de l’intérieur ». « Ce monde unipolaire ne peut vraiment exister et serait de toute façon inopérant en raison de la montée en puissance économique de l’Inde, de la Chine, du Brésil et de la Russie », a estimé en substance M. Poutine, tout en signalant que quatre pays dits émergents, le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie, ont, à eux quatre, un PNB supérieur à celui des 27 pays de l’Union européenne réunis. Il a insisté en ces termes : « Nous devons vraiment penser à l’architecture mondiale » estimant que « ce fossé va s’élargir et le potentiel économique de nouveaux centres dans le monde va consolider la multipolarité ».
« Une guerre froide nous a largement suffi », a ironisé le secrétaire américain à la Défense Robert Gates, en réponse à Vladimir Poutine. Monsieur Gates a poursuivi en déclarant que les propos de M. Poutine lui ont - par nostalgie - presque fait regretter la guerre froide. « Presque », a-t-il dit. M. Gates s’est présenté comme un diplômé en histoire russe et soviétique, ayant dirigé la CIA et siégé sous quatre présidents différents au Conseil national de sécurité des États-Unis. « La Russie est un partenaire dans l’action. Mais nous nous interrogeons aussi sur certaines décisions russes qui semblent aller à l’encontre de la stabilité internationale, comme les livraisons d’armes et la tentation d’utiliser ses ressources énergétiques à des fins de contrainte politique. La Russie n’a pas à craindre les démocraties fondées sur l’État de droit à ses frontières », a commenté le secrétaire Gates.
Le sénateur John McCain, aspirant républicain à la Maison-Blanche également présent à Munich, n’en est pas revenu, jugeant que cette sortie du président Poutine était « le discours le plus agressif de la part d’un dirigeant russe depuis la fin de la guerre froide ». Face à cette diatribe, le sénateur McCain a répliqué que le monde est « multipolaire » et que « les États-Unis n’avaient pas gagné tout seuls la guerre froide ». Le sénateur McCain a estimé que « Moscou doit comprendre qu’il ne peut bénéficier d’un vrai partenariat avec l’Occident tant que sa politique intérieure et étrangère est en conflit avec les valeurs fondamentales des démocraties euro-atlantiques » et que, « dans un monde multipolaire, il n’y a aucune place pour d’inutiles confrontations ». Joseph Lieberman, sénateur indépendant du Connecticut, a ainsi perçu le discours de Vladimir Poutine comme « provocateur » et « marqué par une rhétorique qui rappelle celle de la guerre froide ». Ce qu’a réfuté un porte-parole de Poutine : « Il ne s’agit pas de provocation, c’est une simple invitation à réfléchir ».
Le ton vient de monter d’un cran entre Moscou et Washington car, depuis un an, les relations entre les deux puissances sont aux déclarations vitrioliques. Le vice-président américain Dick Cheney avait manifesté son insatisfaction en accusant Moscou d’utiliser ses ressources énergétiques comme « des instruments d’intimidation ou de chantage ». Washington s’est également montré, à quelques reprises, mécontente de l’attitude de temporisation russe sur le dossier du nucléaire iranien. Certains observateurs avaient déjà noté qu’avant les critiques de M. Poutine à l’égard des États-Unis, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait qualifié de difficile l’établissement de bonnes relations entre Moscou et Washington. Les États-Unis ne sont pas un partenaire facile, probablement le partenaire le plus difficile, avait estimé le chef de la diplomatie russe cité par l’agence de presse Interfax.
Ne négligeant aucune tribune, le président russe Vladimir Poutine est revenu à la charge sur la chaîne qatarie Al Jazira, estimant que l’intervention américaine avait fait plus de mal à l’Irak que Saddam Hussein. Le président russe rappelle que le dictateur déchu a été pendu le 30 décembre pour l’exécution de 148 villageois chiites. Il a aussi souligné que « pendant les combats en Irak, plus de 3 000 Américains ont été tués et (que) les victimes civiles en Irak sont estimées à des centaines de milliers ». « Est-ce le droit international qui garantit la sécurité ou des solutions unilatérales qui peuvent être imposées sans être basées sur des conventions internationales ? », s’est interrogé M. Poutine en appelant une nouvelle fois les États-Unis à établir un délai pour le retrait des troupes.
Le président russe Vladimir Poutine entreprend une tournée régionale au Proche-Orient, qui le mènera en Arabie saoudite, au Qatar et en Jordanie. Cette tournée de trois jours est la première d’un président russe dans ces pays du Proche-Orient. En 2005, M. Poutine avait déjà été le premier dirigeant russe d’un tel rang à se rendre en Israël et dans les territoires palestiniens. Durant sa visite officielle en Arabie, la première d’un chef d’État russe dans le royaume, il évoquera avec le roi Abdallah diverses questions régionales sur lesquelles Moscou et Washington ont des points de vue divergents, en particulier la situation en Irak et le programme nucléaire iranien. Juste avant son départ, il doit rencontrer le président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas.
Questions
- Que doit-on comprendre de cette colère de Poutine ?
- Y a-t-il lieu de craindre l’émergence d’une nouvelle guerre froide ?
- Poutine souhaite-t-il isoler davantage les États-Unis affaiblis par l’impopularité de George W. Bush ?