Poutine Porochenko et la guerre des médias

par Alain Roumestand
vendredi 20 février 2015

Précisons que cet article s'appuie sur le travail d'observateurs de terrain qui n'ont partie liée ni avec le pouvoir ukrainien, ni avec les séparatistes ukrainiens, ni avec le pouvoir russe et qui ne cherchent qu'à informer en toute impartialité. Avec le logiciel de l'historien, la mise en perspective des différents éléments permet d'appréhender la réalité des médias (au sens large) ukrainiens et russes s'exprimant dans le conflit ukrainien.
 

Le conflit ukrainien ce sont 5600 morts enregistrés, 10000 blessés, 900000 déplacés à l'intérieur de l'Ukraine et 1000000 de personnes parties en Russie. Et depuis le début du conflit la presse écrite, la télévision, les réseaux sociaux se livrent un combat pour l'information qui les opposent.

Alors que les médias ukrainiens célèbrent la révolution de Maïdan comme une révolution solidaire, libérale, démocratique, patriotique en insistant sur l'hymne ukrainien chanté par les manifestants et non l'hymne européen, les médias russes voient le jeu des USA, de l'Europe dans un véritable complot contre l'intégrité du pays. On dénonce le coup d'état fasciste, un changement de pouvoir par la force, organisé par les USA en Ukraine, avec l'aide de milices néo-nazies. La Maison des syndicats en feu, à Kiev, laisse un goût amer aux anti-Maïdan. Les mouvements alternatifs à Odessa, opposants au nouveau pouvoir en place, sont "terrorisés, connaissent de longues gardes à vue sous prétexte d'enquêtes longues".

S'appuyant sur l'existence de l'Abkhazie, de l'Ossétie, de la Transnistrie, les medias ukrainiens voient des dangers à venir de véritables états bombes, alors que les médias russes reconnaissent ces 3 états que la communauté internationale ignore.

Alors que Vladimir Poutine a créé "Russki mir" une fondation en partenariat avec les ministères des Affaires Etrangères et de l'Education qui influence les médias russes en dispensant un message traditionnel (rôle des glorieux ancêtres) et civilisationnel hostile à l'occident, enrôlant l'orthodoxie, prenant appui sur les combats victorieux de la 2ème guerre mondiale, les médias ukrainiens très anti-Kremlin font passer un message de frustration, de fatalisme face à la corruption, quelquefois de scepticisme à l'égard de l'Union Européenne.

La photo montrant Vladimir Poutine et le président biélorusse Loukachenko suivant la chancelière Merkel, et le président Porochenko côte à côte, a eu un franc succès dans les 2 camps, emblèmatique de la situation. Les sondages d'opinion les plus professionnels ont fait apparaitre, pour la presse russe, une attitude fortement négative vis-à-vis des USA et de l'Europe, alors que du côté ukrainien l'UE est perçue largement positive et l'Otan voit sa cote devenir positive alors que ce n'était pas le cas il y a quelques mois. Il faut aussi retenir que dans la région du Donbass une part non négligeable de la population verrait d'un bon oeil l'adhésion à l'Union douanière eurasienne créée par le Kremlin.

Depuis des années pour la Russie médiatique l'Ukraine est vue comme un projet inventé par l'occident (Pologne Amérique qui veulent amoindrir la "race slave"). Dans "Novaïa Gazeta" on a pu lire que le premier ministre ex-président Medvedev parlait de néocolonialisme. Actuellement les volontaires ukrainiens sont traités de "salopards", de "foutriquets fascistes" ; les russophones qui soutiennent le gouvernement Porochenko sont des "traîtres", avec leurs "maîtres américains". On oublie que pendant la 2ème guerre mondiale 20% de la population ukrainienne a disparu ; les Ukrainiens étaient loin d'être des nazis. Les camps de réfugiés organisés par l'Ukraine avec l'aide de l'UE peuvent être présentés comme de véritables camps de concentration. Et "Russia today" chaine d'infos en continu a pour mission à l'international de lutter contre l'image négative et partiale de la Russie. L'occident décadent, dépassé est présenté comme "old-fashioned", les BRICS (Brésil Russie Inde Chine South Africa) sont le "brave new world". On peut lire dans une publication à destination de l'Europe : " les USA et leurs compères du Moyen-Orient, Arabie Saoudite et autres émirs, ont organisé la chute de 50% du prix du pétrole brut, dans un but essentiellement géopolitique. Cela leur permet de tenter de détruire l'économie de leurs ennemis essentiels dont la Russie à l'est de l'Europe, que l'OTAN essaie par ailleurs d'étouffer par un blocus".

En Ukraine où les autorités ont créé un ministère de l'information pour la contrôler, beaucoup de journalistes veulent être avant tout des patriotes. La désinformation va bon train y compris dans les réseaux sociaux considérablement développés. Des hackers sont même utilisés. Si la presse pointe du doigt les nouveaux oligarques, la corruption, personne ou presque ne parle des "déplacés" qui souffrent. Une photo permet cependant de découvrir un sanatorium qui recueille des handicapés sans aucun espoir et complètement oubliés. Les meurtres ukrainiens ne sont pas même évoqués. Et les journalistes qui informent ne vont pas dans les zones dangereuses pour éviter d'être fait prisonniers. Une chaîne de télé a été créée pour relayer des informations filtrées : "Ukraine today". Et paradoxe, dans les régions de l'est ukrainien, c'est la télévision en langue russe qui est regardée par la population qui veut s'informer. Pour démonter l'idée du complot de l'occident visant à déstabiliser la Russie, pour mettre fin à l'idée répandue de la volonté d'humilier la Russie, des intellectuels ukrainiens démontrent que l'UE se fait tirer l'oreille quant à l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine, qu'en 1992 les USA de George Bush n'avaient qu'une idée en tête : que l'Ukraine reste dans le giron de l'ex URSS. Les chaînes de télévision russes sont toujours accessibles en Ukraine ; les séries télévisées russes aussi. A la télé ukrainienne il n'est pas rare de voir un journaliste qui pose une question en ukrainien à l'interviewé qui répond en russe. Le journal russe gratuit édité avec un financement de Gazprom est très lu et s'aligne sur un euroscepticisme militant. Le cinéma russe a été interdit par le Parlement mais la loi n'est pas appliquée. Le russe est toujours parlé, même s'il n'est plus la langue officielle comme au temps de l'ancien président Ianoukovitch. L'actuel parle le plus souvent en russe. La moitié des habitants de Kiev sont russophones.

Ainsi les médias sont partie prenante dans ce conflit qui connait en ce milieu du mois de février un cessez-le-feu précaire, fragile, alors que l'économie ukrainienne perd 5000000 de dollars par jour, que l'économie russe est affectée par le conflit, alors que de part et d'autre les enfants défunts victimes de la guerre, sont montrés dans les journaux ...


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