Putsch légal en Suisse

par Michel Santi
lundi 17 décembre 2007

L’éviction de M. Blocher la semaine dernière du Conseil fédéral s’est déroulée en totale conformité constitutionnelle car, aux termes de la Constitution helvétique, c’est les grands électeurs qui sont habilités à élire les conseillers fédéraux, l’exécutif suisse. Néanmoins, les représentants encore présents de l’UDC au sein de ce même Conseil fédéral ne sont pas pour autant représentatifs de l’électorat de ce parti qui avait réuni 30% des suffrages lors des dernières élections.

L’éviction de M. Blocher la semaine dernière du Conseil fédéral s’est déroulée en totale conformité constitutionnelle car, aux termes de la Constitution helvétique, c’est les grands électeurs qui sont habilités à élire les conseillers fédéraux, l’exécutif suisse. Néanmoins, les représentants encore présents de l’UDC au sein de ce même Conseil fédéral ne sont pas pour autant représentatifs de l’électorat de ce parti qui avait réuni 30% des suffrages lors des dernières élections. En effet, ces électeurs ayant surtout plébiscité le personnage de M. Blocher, son renvoi du Conseil peut être apparenté à un déni de démocratie dans un pays privilégiant depuis des décennies la « concordance » ! Toutefois, c’est Blocher, par son manque de respect de la collégialité et par sa dépendance constante envers son parti, qui a commencé à mettre en péril cette fameuse concordance. La collégialité étant un principe en vertu duquel les conseillers fédéraux doivent se plier aux décisions prises à la majorité, espérons que la direction consensuelle de la Suisse mise à mal ces quatre dernières années puisse prévaloir. En effet, tant le gouvernement que le Parlement ont maintes fois rappelé à l’ordre Blocher qui s’était largement illustré depuis son accession au Conseil fédéral par son refus du compromis, par une personnalisation inédite en Suisse et par ses prises de position véhiculant la xénophobie, quand ce n’était pas la haine de l’étranger...


Dans ce pays discret à grande majorité protestant - pour ne pas dire calviniste -, le comportement de « tribun » de Blocher et son populisme agaçaient une majorité de citoyens, y compris à l’intérieur de son propre parti. De fait, Blocher martelait les sempiternelles rengaines instrumentalisant les étrangers, les noirs, les immigrés albanais, sa méfiance de l’Europe et ce à l’aide d’un discours qui se voulait aussi simpliste que rassurant... Pourtant, Blocher n’a pas été écarté du pouvoir pour ces questions de fond mais bel et bien pour des problèmes de pure forme, c’est-à-dire pour le non-respect de la collégialité et de la séparation des pouvoirs. De fait, le Parlement suisse s’est fait une sorte de spécialité ces dernières années de « confisquer » le résultat des élections en désignant des conseillers fédéraux sans relief - parfois ouvertement falots - parmi les partis appelés à gouverner. En retirant sa confiance à Blocher, l’Assemblée fédérale suisse, à savoir le Parlement et le Sénat réunis, lui a ainsi envoyé un mise en garde ainsi qu’ à ceux qui seraient tentés de suivre son exemple : quand il accède au pouvoir, la mission d’un conseiller fédéral est de servir les intérêts de tous et pas seulement de son électorat ! En effet, la bonne gouvernance en Suisse veut qu’un conseiller fédéral, pour asseoir sa légitimité, sollicite des appuis également hors de son propre parti. Cette légitimation étant reconduite année après année, pour peu que la collégialité soit respectée.

Putsch légal ? Maturité politique ? Toujours est-il que la déchéance de Blocher par l’Assemblée fédérale suisse rompt avec une tradition séculaire pouvant constituer un dangereux précédent susceptible de fragiliser la Constitution, même si cette décision relève de la plus respectable éthique politique. En oubliant que c’est le Parlement, et non le peuple, qui désigne le gouvernement, Blocher a commis une erreur stratégique qui consistait à court-circuiter les chambres pour s’adresser directement à ses électeurs. La personnalisation à outrance exploitée par Blocher a occulté la véritable nature de l’UDC qui, de parti de centre-droit il y a encore quinze ans avant d’être phagocyté par Blocher, a opéré un virage à droite afin d’attirer à lui les déçus de tous bords... L’UDC meurtrie passe donc de facto dans l’opposition car elle a également renié les deux autres membres du Conseil fédéral lui étant apparentés. Néanmoins, cette exclusion peut être qualifiée d’erreur tactique car, d’une part, cela n’empêchera pas ces deux conseillers fédéraux de se maintenir pendant quatre ans au gouvernement car élus démocratiquement, et d’autre part ce parti se comportait déjà comme un parti d’opposition alors même qu’il participait au gouvernement. La prochaine législature risque néanmoins d’être mouvementée car l’UDC ne manquera pas de faire usage d’un arsenal législatif comprenant entre autres des initiatives référendaires et une opposition aux chambres pour faire obstruction. Il est probable que, jeté hors du gouvernement, la capacité de nuisance de Blocher soit à présent renforcée car il fera feu de tout bois pour empêcher les lois votées d’être appliquées dans les délais prévus. Peut-être - après tout - est-il tactiquement judicieux de faire participer au gouvernement ce type de parti d’extrême droite afin de le modérer par l’usage du pouvoir ou afin de le discréditer au contraire dès lors qu’il est confronté à la réalité du pouvoir... Un tel phénomène ne s’est-il pas produit avec le parti de Haider en Autriche ?

Toujours est-il que ce putsch démocratique ayant écarté Blocher du pouvoir, pour constitutionnel qu’il soit, ne laisse pas de poser une question fondamentale impossible à occulter. Effectivement, la collégialité étant très souvent synonyme de lenteur dans les décisions, voire d’immobilisme, la Suisse peut-elle se payer le luxe d’une concordance qui réduit dramatiquement le champ d’action et la réactivité de son gouvernement ? Les institutions helvétiques sont-elles toujours adaptées à notre monde moderne mais brutal ? Espérons que le séisme politique de la semaine dernière ouvre le débat.


Lire l'article complet, et les commentaires