Quel avenir pour les coups d’Etat en Afrique ?
par TSAKADI Komi
lundi 27 mars 2006
L’alternance démocratique, à faire pâlir d’envie bon nombre de partis d’opposition africains, survenue au Bénin ce mois-ci avec la brillante élection de Boni Yayi à la présidence de la République, contraste avec la persistance des coups d’Etat et des projets de coups d’Etat sur le continent africain, comme l’atteste l’annonce de tentatives de coup d’Etat déjouées au Tchad et en Gambie, pays gouvernés par (des anciens militaires putschistes ) Idriss Deby (Tchad) et Yahya Jammeh (Gambie) plusieurs fois « élus » à la suite d’élections contestées.
Loin de moi l’idée d’en faire l’apologie, de les défendre ou de les justifier, ces coups d’Etat ou ces projets de coups d’Etat, bien qu’ils soient qualifiés de pro-démocratiques, car ayant pour objectif de créer les conditions de l’essor de la démocratie ; je me permets de faire le constat que, malgré l’adoption en juillet 1999, lors de son 35e sommet à Alger (Algérie) par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) devenue Union africaine (UA), de la déclaration condamnant l’usage du coup d’Etat comme mode d’accession au pouvoir en Afrique, il y a, en moyenne, par an, 4 à 5 coups d’Etat et projets de coups d’Etat, sans compter les coups d’Etat antidémocratiques comme celui de l’armée togolaise de février 2005, et ceux, imaginaires, ou inventés par certains dirigeants, pour détourner l’attention de leurs citoyens sur les vrais problèmes et procéder à des purges et des exécutions sommaires et extrajudiciaires.
Il semble que ce texte n’ait pas mis fin à la pratique de putsch comme mode de conquête de pouvoir, et l’Afrique sera, sans nul doute, en proie dans les mois et les années à venir à un nombre sans cesse croissant de projets de coups d’Etat, voire à des coups d’Etat. Les signes avant-coureurs sont perceptibles dans bon nombre de pays subsahariens.
Tout porte à croire que l’Union africaine et ses partenaires internationaux, pourtant engagés dans la prévention des conflits, comme l’Union européenne, les Nations unies, l’Organisation internationale de la Francophonie... n’aient pas encore saisi l’ampleur de ce phénomène, se contentant, à l’annonce de chaque coup d’Etat ou tentative de coup d’Etat déjoué, de condamner, sans s’attaquer aux causes sous-jacentes, notamment l’opposition muselée, le refus d’alternance, les élections truquées, le tripatouillage des constitutions pour supprimer la clause de limitation des mandats à deux quinquennats ou pour léguer le pouvoir à qui on veut, le plus souvent au fils du président, comme au Togo...
Ce feuilleton de coup d’Etat et de tentative de coup d’Etat sur notre continent appelle à une réflexion urgente sur le mécanisme d’accession au pouvoir en Afrique. Pour ce faire, tout comme le bannissement des coups d’Etat, les fraudes électorales, les missions internationales d’observation électorale dévoyées, les tripatouillages des constitutions ... doivent être condamnés et sanctionnés. Il importe qu’un code de bonne conduite en matière électorale soit imposé aux pays africains pour l’organisation d’élections libres et transparentes, seul moyen pour éviter les coups d’Etat.
L’Union africaine, par la Résolution d’Alger de 1999, condamne toute rupture de l’ordre constitutionnel résultant des coups d’Etat avec des sanctions automatiques contre les putschistes. Mais aucune mesure n’est prévue contre les dirigeants qui usent de manœuvres frauduleuses, de tripatouillages des constitutions pour accéder ou se maintenir durablement au pouvoir comme au Togo, Gabon, Gambie, Tchad, Cameroun, Burkina Faso... au mépris de leurs populations.
La nomination d’un envoyé spécial pour les élections en vue de la mise en œuvre d’un tel code de bonne conduite en matière électorale est vivement souhaitable. Une telle personnalité, ayant pour fonction de prévenir les conflits internes et coups d’Etat, devra être associée à l’organisation des élections dans nos pays et contribuer éventuellement, par la médiation, à prévenir et à régler les crises électorales. Elle pourra mener des médiations électorales entre les partis politiques d’opposition et le gouvernement afin d’apaiser les tensions pré- et post-électorales et formuler des propositions relatives au bon déroulement des élections. La mise en place d’une telle institution, visant à garantir la transparence des élections en Afrique, contribuera sans nul doute à dissuader les dirigeants africains de frauder les élections pour accéder ou rester au pouvoir.
Au risque de voir se proliférer dans les prochaines années, des coups d’Etat « libérateurs » comme dernièrement en Mauritanie, pour changer de régime et favoriser l’alternance, les signes annonciateurs (bâillonnement de l’opposition, fraudes électorales, tripatouillage des constitutions...) subsistant dans bon nombre de pays (Togo, Gabon, Guinée, Cameroun, Tchad, Ouganda, Burkina Faso, Zimbabwe, Gambie, Rwanda...), il est impératif pour l’Union africaine et ses partenaires d’adopter un code de bonne conduite en matière électorale et de nommer un envoyé spécial pour les élections en vue de promouvoir l’organisation des élections libres et transparentes et l’alternance démocratique, et par voie de conséquence, prévenir les coups d‘Etat.
A défaut d’élections libres et transparentes qui pourront permettre de voir se succéder aux affaires des hommes et des femmes plus inspirés et mieux aguerris, animés par l’exigence de résultats, proposant des idées nouvelles et performantes pour sortir résolument nos populations de la misère, nous assisterons à la multiplication des coups d’Etat et des projets de coups d’Etat avec le « risque jurisprudentiel Bozizé-Guéi » contre les dirigeants africains dont la mauvaise gouvernance et le refus de l’alternance cristallisent nombre de critiques. Et vains seront les efforts de la communauté internationale pour sortir l’Afrique de la pauvreté.