Quel pronostic pour la crise libyenne ?
par Mohamed BOUHOUCH
samedi 3 août 2013
Je me demande si les morts avaient la possibilité de regarder, à partir de l’Au-delà, ce qui se passe dans ce bas monde, je me demande ce que le colonel Mouammar Kadhafi doit penser de la situation chaotique dans laquelle se trouve actuellement plongée la Libye, un pays qu’il a dirigé durant 42 ans.
Certes la situation reste encore confuse et incertaine dans tous les états précédemment gouvernés par les dictateurs arabes (Irak, Tunisie, Egypte, Yémen), mais le cas de la Libye est jugé par tous les observateurs beaucoup plus préoccupant et surtout plus complexe, plus ambigu, un problème où les données ne sont pas claires ni même compréhensibles. Ce ne sont en effet ni les orientations politiques ni les choix d’un programme de développement économique et social ni des questions d’ordre constitutionnel qui divisent les Libyens. La confusion et le désordre qui règnent aujourd’hui dans ce pays proviennent indubitablement de l’esprit tribal de la majorité de ses habitants, un esprit qui domine pour ne pas dire qui asservit leurs vies privée et publique.
Dans un article intitulé “ La Libye de l’Après Kadhafi ” publié sur Agora Vox le 31 mars 2011, nous avions écrit : « Le système tribal bien ancré dans la société libyenne a survécu à l’occupation ottomane et italienne. Si dans les années cinquante et soixante, Idris 1er, alors roi de Libye, avait essayé vainement d’en limiter l’influence, Kadhafi est venu quant à lui, dès 1969, pour faire de la tribu la pierre angulaire de la société et la base de l’organisation administrative et sociale. Il existe presque 140 tribus en Libye, avec chacune ses origines, son histoire et ses particularités. Nul n’ignore les rivalités souvent ancestrales et les conflits entre des tribus voisines. Mais en l’espace de quarante ans, le « guide » a su gérer tout cet ensemble hétérogène, le polariser et en faire une entité nationale sous son autorité »
Si le pays a connu quelques changements depuis la disparition du dictateur, l’esprit tribal est resté quant à lui encore bien vivant d’où les divisions et l’éclatement qui caractérisent la société libyenne actuelle. Les premières élections organisées en juillet 2012 pour élire les membres du Conseil Général National, la plus haute autorité politique et législative du pays n’ont pas dégagé une majorité suffisante susceptible de donner au pays un gouvernement stable. L’Alliance des Forces Nationales une coalition de petits partis libéraux, présidée par Mohamed Jibril n’a obtenu que 39 sièges sur les 80 réservés aux partis, suivie par le Parti de la Justice et de la Construction, qui est la branche politique des Frères Musulmans qui n’a obtenu que 19 sièges sur les 80. Les cent vingt sièges restants sont attribués aux candidats indépendants, aux allégeances et convictions diverses.
On imagine un peu la physionomie de ce conseil National, une véritable mosaïque de groupuscules, d’hommes influents appartenant aux nombreuses tribus que compte aujourd’hui la Libye, de représentants des diverses fractions de la société libyenne (les arabes, les Amazighs, les touaregs), des Islamistes opposés à des militants de gauche, des traditionalistes ennemis de tout changement moderniste.
Le gouvernement actuel qui ne dispose d’aucune armée nationale ni de police organisée pour maintenir l’ordre et assurer la sécurité est obligé de tenir compte des exigences des groupes armés actionnés, accuse-t-on, par l’AFN et le PJC des Islamistes. Au mois de mai dernier des combats qui avaient éclaté à Benghazi ont été le théâtre de fortes explosions. Des centaines de miliciens armés de canons antiaériens avaient semé la panique dans la ville et contraint le gouvernement à adopter une loi sur l’exclusion politique des anciens collaborateurs du colonel Kadhafi. Aujourd’hui encore ces mêmes forces continuent leur pression pour obtenir la démission du 1er Ministre Ali Zaydan et certains membres du gouvernement. Selon France 24 (27/7) “La colère gronde contre les partis politiques après la série d’assassinats qu’a connu le pays”
L’humanité du 30 juillet écrit que :
“ La Libye vit actuellement un regain de violence sans précédent depuis la chute de Mouammar Kadhafi. Les attentats se multiplient et les morts se comptent par dizaines, notamment dans les villes de Benghazi et de Syrte, bastions de la révolution”. La prolifération des armes, l’organisation tribale qui a toujours prévalu dans le pays et les animosités entre les différentes fractions tribales font que la Libye est profondément divisée. Les heurts et les assassinats perpétrés chaque jour dont celui de l’avocat et militant anti- islamiste Abdeslam Al Mesmari, témoignent de l’instabilité qui règne dans ce qui reste de la Jamahiriya de l’ancien régime.
La nouvelle constitution tarde toujours à venir. Partis politiques, tribus, ethnies et associations, tout un chacun émet son point de vue et exige sa prise en considération dans le futur texte constitutionnel. C’est ainsi que pour les amazighs de Libye, rien ne sera plus comme avant. Ils entendent par là recouvrer et imposer leur identité millénaire face expliquent-ils, au négationnisme arabe et islamiste (Siwel, agence kabyle d’information). Dans une de ses déclarations le haut conseil des Amazighs se dit décidé à rejeter toute nouvelle constitution ainsi que toutes les institutions qui en émaneront en cas de non reconnaissance des droits spécifiques légitimes des populations amazighes. A signaler que l’actuel président du CGN, Nouri Bu Sahmein appartient à cette communauté berbère. La question amazighe libyenne mérite, à elle seule, tout un article que nous pensons écrire prochainement.
Ainsi le problème sécuritaire reste à notre avis la question prioritaire pour les gouvernants libyens. Les deux grandes formations au pouvoir à savoir l’AFN et les Islamistes du PJC sont accusés de manipuler des milices armées qui servent leurs intérêts, empêchant la formation d’une armée et d’une police professionnelles d’où une certaine hostilité contre les partis politiques en général.
La situation en Libye diffère par conséquent beaucoup de celle qui prévaut dans les autres pays du printemps arabe. Il est donc très difficile dans les circonstances actuelles de pouvoir faire un pronostic quelconque sur un règlement de la crise libyenne, du moins dans l’immédiat.