Qui a peur de la République balistique d’Iran ?

par Charles Bwele
mercredi 11 février 2009

Au-delà des angoisses et spéculations entourant le premier lancement d’un satellite 100% iranien, survolons les différences notables entre fusées spatiales et missiles balistiques et revenons à quelques réalités stratégiques.

Envers et contre tous, l’Iran a finalement rejoint le club restreint des nations capables de satelliser une charge par leurs propres moyens (États-Unis, Russie, Chine, Europe, Japon, Inde, Israël). Loin de toute considération géostratégique, cet exploit technique force l’admiration car il démontre clairement la dextérité et l’opiniâtreté de l’ingénierie militaire et spatiale iranienne.

Au 2 février 2008 à 18H38 TU, la fusée Safir-2 embarquant le satellite Omid dans son second étage s’élança du site de Kavoshgar et atteignit une périgée de 242 km pour une apogée de 322 km d’altitude (ou 245*322 km dans le jargon astronomique). En plus de l’agence de presse officielle Islamic Republic News Agency, de nombreux astronomes amateurs confirmèrent le vol orbital du Omid (petit engin d’environ 50 cm3 dépourvu de panneaux solaires effectuant 14 révolutions quotidiennes autour de la Terre) à 245*378 km d’altitude et du deuxième étage du Safir-2 à 245*439 km d’altitude.

Peu après ce triomphe céleste de la République islamique, États-Unis et Europe firent part – à juste titre – de leurs vives préoccupations, craignant que Téhéran n’exploite son programme spatial afin de développer une véritable force de frappe balistique. En effet, la fusée Safir-2 – ensemble de deux étages propulsé au propergol liquide – est une remarquable dérivation du No-Dong nord-coréen d’une portée de 1200 km. Dès lors, si la nation perse parvient à placer un satellite en orbite, ne constitue-t-elle pas nécéssairement une menace balistique pour Israël, pour le Golfe arabe et même pour l’Europe ?

À l’heure actuelle, l’Iran n’a pas encore élaboré une vraie arme atomique. Les suspicions des renseignements occidentaux/israéliens, les déclarations d’intentions du régime iranien et les provocations verbales du président Mahmoud Ahmadinejad ne font pas une fission et encore moins un essai nucléaire. Dans ce dernier cas, nul doute que la République islamique fera ouvertement part de son premier test comme elle le fit pour ses exploits missiliers et spatiaux.

Fusée spatiale et missile balistique disposent effectivement de technologies communes duales – comme le premier et le deuxième étage aisément interchangeables de l’un à l’autre - car traversant tous deux les mêmes environnements. Cependant, un ICBM (missile balistique intercontinental) ne doit pas seulement transporter une charge nucléaire à très haute altitude, il doit aussi diriger précisément celle-ci vers sa cible grâce à des systèmes de visée et de guidage minimisant le risque d’erreur a fortiori lors de tirs à moyenne ou longue portée. Ce risque est d’autant plus élevé lorsque la structure du missile – en l’occurence le Shahab-3, pour ne citer que celui-ci – ne peut supporter les hautes vitesses et les fortes températures inhérentes aux phases de rentrée dans l’atmosphère.

En outre, développer une tête nucléaire présuppose de maîtriser puis de miniaturiser la technologie de l’arme atomique à cette fin. La masse du satellite Omid est d’environ 30 kg, celle du W54 - la plus petite tête nucléaire américaine – avoisine les 25 kg. Plus légères, les classiques têtes nucléaires américaines et russes de seconde génération ont une masse d’environ 700 kg. Malgré leur incontestable audace technique, les atomistes et les aéronauticiens perses ont encore un long chemin à parcourir avant de parvenir à ce stade critique.

De nombreux médias et analystes ont évoqué l’hypothèse selon laquelle Téhéran se contenterait d’un rustique missile-cargo nucléaire ensuite projeté vers quelque trublion occidental, hébreu ou arabe. D’autres ont carrément envisagé l’emport d’une bombe EMP (bombe à pulsations électromagnétiques désactivant les systèmes électroniques et les communications radio de l’adversaire) par un missile iranien à courte/moyenne portée monté sur un véhicule érecteur... Garé dans un parking souterrain à Washington ou à Baltimore ! Preuve est faite que de nombreux journalistes et analystes de défense se passionnent pour James Bond et Jack Bauer.

Dans Comment et pourquoi frapper l’Iranium, j’analysais les multiples facteurs géostratégiques qui ont conforté les guides islamiques et les généraux perses dans leurs desseins atomiques et de facto dans une logique de sanctuarisation territoriale. En voulant conserver et renforcer son leadership militaire au Moyen-Orient par l’arme nucléaire, Téhéran joue clairement un jeu dangereux. Néanmoins, l’aventurisme militaire et la dérive suicidaire ne sont guère prégnants dans l’esprit des ayatollahs. Leur moyenne d’âge plutôt élevée n’est-elle que le fruit du hasard ?


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