Qui tire les ficelles en Algérie depuis 50 ans
par metamag
lundi 28 mai 2012
L'opacité du régime mise à jour dans un livre qui mouille la France
Le Département Renseignements et Sécurité (DRS) est, en Algérie, le successeur de la Sécurité Militaire (SM), équivalent français de la DGSE et de la DCRI. Mohamed Sifaoui, qui paraît extrêmement bien renseigné, veut nous démontrer qu'en fait, le pouvoir algérien est tenu par une organisation peu apparente, qui s'impose aux hommes politiques qu'elle choisit. Les informations foisonnent, parfois déjà connues par ceux que l'histoire de l'Algérie, après l'indépendance, intéresse. Elles montrent un pouvoir algérien anti-démocratique, corrompu, menteur, manipulateur. C'est une "kleptocratie", une "dictature", une "maffia", qui s'organise, dès la signature des accords d'Evian, pour aboutir aux mises à l'écart de Ferhat Abbas et de Ben Youssef Ben Khedda, avec les épisodes sanglants de l'été 1962, notamment dans l'Ouest algérien, la prise du pouvoir de l'armée des frontières, en faveur de Ben Bella, puis de Boumediene.
Depuis 50 ans, les purges, les assassinats, les "suicides", les mises à l'écart se succèdent. LA SM et le DRS se sont alliés successivement à des organisations maffieuses (gang des Lyonnais), des barbouzes (SAC), des terroristes (ETA) et se sont rapprochés d'Al Qaïda et du GIA, avec la volonté de les instrumentaliser. Ces tendances vont s'accentuer avec l'arrivée au pouvoir de Chadli Bendjedid. Ce dernier, refusant l'identité berbère, va être à l'origine du "printemps berbère" de 1980 avec des manifestations réprimées dans le sang en Kabylie.
Les islamistes manipulés avant d'échapper à leurs manipulateurs
Le président va utiliser, dès lors, les islamistes, représentés par le groupe des Frères Musulmans, pour s'opposer aux Kabyles. Ils vont être à l'origine d'assassinats et d'agressions. En 1988, les émeutes seront utilisées pour éliminer certains caciques du FLN et de l'armée. Et plus tard, en 2001 et 2002, la répression policière des mêmes contestataires fera de nombreuses victimes (plus de 120 morts et 5 000 blessés). Chaque fois, depuis 50 ans, qu'un mouvement populaire menace le pouvoir, la SM ou le DRS utilise tous les moyens pour briser la contestation, souvent désignée comme le "parti de l'étranger". "Il y a eu incontestablement une manipulation du malaise social à des fins politiques" .
C'est ainsi encore qu'au cours des années 80, la SM va utiliser les islamistes pour lutter contre les tendances démocratiques, berbéristes et progressistes. Des imams égyptiens sont appelés et rétribués ; ce qui explique l'influence grandissante de ce courant et va aboutir au coup d'Etat de 1992. Au lieu de choisir l'ouverture politique, qui aurait évité une guerre civile meurtrière à son pays, Chadli Bendjedid a préféré les intrigues et instrumentalisé l'islamisme.
Et il n'est pas rare qu'il y ait eu collusion entre les services secrets algériens et français, ces derniers fermant les yeux sur les opérations illicites des premiers. Cela n'empêche pas une lutte sévère interne à l'Armée algérienne entre les maquisards et les DAF (déserteurs de l'armée française) soupçonnés de sympathie pour l'ancienne puissance coloniale.
Chadli Bendjedid
Le Front islamique du salut (FIS), sous l'impulsion d'Ali Benhadj, d'Ahmed Sahnoun et d'Abassi Madani, qui s'inspire d'une lecture idéologisée du Coran, sera légalisé en septembre 1989 par Mouloud Hamrouche, dans le cadre d'une stratégie de division des opposants au FLN, avec l'aval de François Mitterrand et de Michel Rocard. Les élections municipales de 1990 voient le triomphe des islamistes qui veulent l'application stricte de la Charia, alors que le Premier ministre voulait "créer un climat démocratique pour dissoudre l'islamisme dans la modernité". Et, ajoutait-il "nous sommes sûrs de nos arguments et nos moyens." La suite l'a contredit.
Mais l'armée n'est pas dupe et intervient pour s'opposer, dit-elle, à la théocratie et défendre la démocratie, avec la bénédiction des puissances occidentales. Les méthodes utilisées pourraient, selon Sifaoui, conduire leurs ordonnateurs devant le Tribunal Pénal International .
Et tout au long de ce demi-siècle, les suicides et les assassinats de responsables politiques, militaires ou syndicaux ont été très nombreux. L'attentat contre le président Mohamed Boudiaf, à Annaba, le 29 juin 1992, et la pseudo-prise en charge médicale du blessé sont révélateurs de cette ambiance, qui conduit à annoncer la mort du président plusieurs heures avant qu'elle ne soit effective.
Parmi toutes ces affaires, celle des moines de Tibhirine reçoit un nouvel éclairage. Pour notre auteur, les moines n'auraient pas été tués "si les services de la DGSE, en France, n'avaient pas tergiversé et si le général Lamari n'avait pas agi en revanchard."
Les moines de Tibhirine : un nouvel éclairage
Aujourd'hui encore , la situation de l'Algérie reste instable sur le plan politique et la démocratie est un vœu pieux. Le projet de société qui est appliqué s'inspire largement de la Charia. La liberté de conscience n'est pas respectée, les minorités religieuses sont harcelées, les minorités sexuelles interdites. Il n'y a pas d'égalité entre les sexes, pas de laïcité, le racisme et l'antisémitisme sont banalisés et tolérés. La société algérienne est porteuse d'une sous-culture, pâle copie des us et coutumes du Moyen-Orient .
Liamine Zéroual Général Mohamed Mediène, alias Toufik
"Le pays est dirigé par un clan mafieux, constitués de civils et de militaires, tapis derrière des prête-noms et des lampistes, et si on doit désigner l'institution qui détient les clés du système, c'est le DRS et son responsable le général Mohamed Mediène, alias Toufik qu'il faut citer" . Alors, tous pourris dans les cénacles des pouvoirs algériens ? Non, nous dit-on car " il ya des hommes comme Liamine Zéroual qui sont des hommes parmi les plus intègres. Et même au sein du DRS, il y a des gens d'une haute probité morale et intellectuelle…". L'Etat DRS poursuivra-t-il sa marche au sommet de cet Etat ?
Ce livre abonde d'anecdotes, d'informations et de révélations. On regrette que les sources ne soient pas citées. Car cette lecture est à l'origine d'un réel malaise : comment imaginer que les agissements du pouvoir algérien soient aussi machiavéliques et diaboliques ? L'ouvrage est interdit en Algérie.
"Histoire secrète de l'Algérie indépendante" de Mohamed Sifaoui - Nouveau monde éditions 390 pages à 21,30 €