RD Congo 2016 : Face au coup de force...

par MUSAVULI
lundi 22 septembre 2014

Le scénario du maintien de Joseph Kabila au pouvoir au-delà de la limite constitutionnelle de 2016 se précise malgré une vive opposition de la population qui s’étend jusque dans les rangs de la majorité présidentielle. Selon DESC, la dernière visite privée du Raïs à Washington en compagnie de l’affairiste israélien Dan Gertler vise à obtenir un aval officieux de Barack Obama, Kabila ayant déjà le soutien de ses principaux parrains régionaux, dont celui du Rwandais Paul Kagamé. DESC croit savoir que la visite de la ministre rwandaise des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, en Israël, en même temps que Kabila se rendait à Washington, s’inscrit dans la même entreprise diplomatique destinée à assurer son maintien au pouvoir au-delà de 2016. Evidemment. 

Le pacte Kabila – Kagamé relancé

En effet, la fin du règne de Kabila devrait être synonyme d’un point final à l’économie de pillage qui affecte tragiquement les populations congolaises dans l’Est du pays. Son départ pourrait aussi signifier la fin de l’impunité. Seul Kabila assurait aux dirigeants rwandais et ougandais, responsables de massacres, de viols et de pillage au Congo, de ne pas être traînés en justice. Un autre président à Kinshasa exigerait l’arrestation et l’extradition des dirigeants des deux pays. Une démarche qui devrait mettre Kigali et Kampala sur la paille, privées de « la manne du Kivu », mais surtout mettre les présidents Kagamé et Museveni au pied du mur. Les deux dictateurs, « amputés » de Kabila, pourraient être amenés à devoir rendre des comptes devant la justice pour les souffrances qu’ils ont infligées aux populations de l’Est du Congo. Il est donc « normal » que Rwandais et Ougandais fassent bloc derrière Joseph Kabila qui leur doit beaucoup[1] et à qui ils doivent beaucoup.

Les Américains, quant à eux, malgré les sorties médiatiques de Russ Feingold, pourront difficilement passer outre les désidératas de Kagamé, l’enfant chéri des « grandes démocraties » qui sert fidèlement les intérêts mafieux[2] des multinationales[3]. Depuis 1996, les Occidentaux, menés par Washington, savent qu’ils sont les ultimes bénéficiaires de cette économie de pillage[4] que sous-traitent les trois présidents de la région des Grands Lacs[5]. Se pose alors une question juste de bon sens : et le peuple congolais dans tout ça ?

Un peuple passé à la trappe ?

A Kinshasa, les « politiciens » scrutent ce qui se passe entre Kingakati, Washington, Kigali et Tel-Aviv pour savoir s’ils doivent continuer à s’opposer au coup de force que prépare Kabila ou s’ils doivent se « ranger » pour assurer leurs carrières politiques respectives, voire rester en vie tout simplement. Car, conscient qu’il n’obtiendra pas le soutien des Congolais à son maintien au pouvoir, Kabila mise désormais sur deux options : l’option diplomatique au cœur de ses multiples contacts auprès des Américains, et maintenant des Israéliens par l’entremise de son parrain Kagamé ; et l’option militaire, qui lui a toujours réussi, avec la militarisation à outrance de la Garde républicaine[6], le corps d’armée dont les membres ont lié leur sort au sien.

Pour rappel, c’est en menant une répression brutale à Kinshasa en 2006 (plus de 1.000 morts), avec l’aide de la Force européenne (Eufor[7]), que Kabila a pu se maintenir au pouvoir au détriment de Jean-Pierre Bemba. Cinq ans plus tard, il menait une autre répression brutale pour triompher de l’opposant historique Etienne Tshisekedi. Pour 2016, son adversaire le plus actif, Vital Kamerhe, a déjà commencé à compter des morts dans les rangs de ses partisans[8].

On prend ainsi peu à peu conscience qu’il ne suffira pas d’être « pour » ou « contre » le maintien de Kabila au pouvoir. Il va falloir se préparer, pour certains, au pire, ce qui recommande un travail de fond et une ferme solidarité entre Congolais au-delà des clivages partisans et de simples déclarations médiatiques. Malheureusement, les Congolais ne devront principalement compter que sur le peu de force qui leur reste. Les « grandes démocraties » aiment le Congo pour ses richesses, pas pour sa population. Dès que l’aval d’Obama est donné, toutes vont se ranger derrière le Raïs, ne réservant au peuple congolais que sourires hypocrites et déclarations de bonnes intentions.

Rester unis : une assurance vie

L’enjeu étant d’épargner des vies, dans un pays qui en a tellement perdu (plus de six millions de morts), quelques précautions peuvent être prises individuellement et collectivement. L’une d’elles consiste, pour ceux qui craignent légitimement pour leurs vies et celle de leurs familles, à se mettre en contact avec des avocats ayant pignon sur rue, peut-être de façon groupée pour alléger la charge des honoraires. Les victimes de 2006 et celles de 2011 n’ont jamais obtenu justice. Celles de 2016 devraient bénéficier de garanties longtemps avant le scrutin si les avocats sont préalablement mobilisés à travers le pays pour que des suites judiciaires soient assurées aux victimes du coup de force qui se prépare. Les partis d’opposition et la société civile pourraient inciter les avocats à travailler en réseau et à rester constamment en lien avec le bureau du Procureur de la Cour pénale internationale, même si la juridiction de La Haye est restée étonnamment muette sur les victimes des deux dernières répressions. Des ONG partenaires en Europe et aux Etats-Unis devraient être mises à contribution pour qu’elles veillent à ce que les victimes du coup de force obtiennent justice, même à l’étranger pour pallier les limites des juridictions congolaises.

L’affaire Chebeya – Bazana qui a été relancée devant la justice sénégalaise, en février dernier, doit inspirer les opposants congolais, les ONG et les avocats. Ils devraient sensibiliser la population sur le fait que les victimes de la répression politique au Congo ne sont pas condamnées au déni de justice. Lorsqu’elles disposent d’un dossier bien « ficelé » - d’où l’importance des professionnels du droit en ce moment crucial - les victimes ont tout à fait la possibilité d’obtenir justice à l’étranger, en application du principe de compétence universelle sur lequel nous reviendrons dans une publication en cours de rédaction.

La chasse au trésor ?

La sensibilisation des avocats face au coup de force qui se prépare, ne suffira pas. Les victimes doivent avoir la certitude, non seulement qu’il y aura des suites judiciaires, mais surtout que les rescapés et les familles seront indemnisées. Dans un précédent article[9], nous avons proposé que les patrimoines de Joseph Kabila et des « dignitaires » du régime puissent faire l’objet de recherches approfondies. Que leurs avoirs en banque et leurs principaux biens mobiliers et immobiliers soient localisés, évalués et maintenus sous surveillance citoyenne. Ils pourront être saisis pour servir de caution à l’indemnisation des victimes du coup de force.

Selon le journaliste d’investigation américain Richard Miniter, le Raïs, à lui seul, disposerait d’une confortable cagnotte de 15 milliards de dollars[10], de loin plus que Mobutu à la fin de son règne. Le « magot » serait planqué dans des paradis fiscaux[11]. L’affaire qui avait laissé incrédule au départ, compte tenu de la misère dans laquelle vivent les Congolais[12], a fini par gagner en crédibilité. La première chaîne de télévision française, TF1, a dernièrement abordé le sujet, ce qui devrait suffire à enlever les doutes sur l’immensité de la fortune accumulée par le président en 13 ans de règne. Il y a sûrement quelqu’un, quelque part dans le monde, qui serait intéressé par la « chasse au trésor ». Il s’agit de débusquer « le magot du Raïs » et des dignitaires du régime. Pour une fois, c’est pour la bonne cause ! Parce qu’il s’agit d’aider un peuple dépouillé et martyrisé à préserver les maigres acquis de sa fragile « démocratie ». C’est-à-dire tout ce qui lui reste.

Alors, Congolais et amis du peuple congolais, au boulot !

Boniface MUSAVULI



[1] Pour rappel, c’est dans les rangs des troupes rwandaises que Kabila est entré au Congo en 1996.

[2] Patrick Mbeko fournit d’intéressants détails sur les liens entre certaines de ces multinationales et les principaux décideurs politiques américains, canadiens et britanniques. Cf. P. Mbeko, Le Canada dans les Guerres en Afrique centrale, Le Nègre éditeur, 2012, pp. 269-342.

[3] Voir la liste des multinationales citées dans les rapports des experts de l’ONU sur le pillage du Congo. http://blogs.mediapart.fr/blog/sam-la-touch/190713/il-y-du-sang-dans-mon-portable-et-ma-tv-rdc

[4] Voir Rapport S/2002/1146 du panel d’experts de l’ONU, dit « Rapport Kassem » du 16 octobre 2002, dont la substance reste d’actualité. Le pillage s’est en effet poursuivi sous diverses formes, indiquent les rapports suivants des experts de l’ONU et d’ONG tout à fait dignes de foi.

[5] (Kabila, Kagamé et Museveni).

[6] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, « Pourquoi cette hyper-militarisation de la Garde républicaine au détriment du reste de l’armée ? », desc-wondo.org, 14 mars 2014.

[7] Charles Onana, Europe, Crimes et Censure au Congo - Les documents qui accusent, Ed. Duboiris, 2012.

[8] Selon l’Union pour la nation, le mouvement de Vital Kamerhe, les tirs sur la « Caravane de la paix » qu’il menait le 20 février 2014 à Bukavu avaient faits deux morts et vingt-six blessés. Cf. P. Boisselet, T. Kibangula, « RDC : plusieurs blessés dans la répression d'un rassemblement de Vital Kamerhe à Bukavu », Jeune Afrique, 20 février 2014.

[9] B. Musavuli, « RD Congo 2016 : Trois exigences pour sauver 2016 », agoravox.fr, 6 août 2014.

[10] Hakim Arif, « Joseph Kabila : un dictateur qui vaut 15 milliards de dollars », huffingtonpost.fr, 2 septembre 2014.

[11] En novembre 2011, le député britannique Éric Joyce avait déjà alerté sur des opérations financières opaques au profit de Kabila et de ses proches qui détiendraient des intérêts dans des sociétés enregistrées aux Iles-Vierges-Britanniques. Le bureau du député avait diffusé un communiqué pour étayer ses affirmations.

[12] Le Congo est tout dernier au classement mondial de la pauvreté, selon le PNUD (186ème sur 186 pays). A 87,7%, la population vit en-dessous du seuil de pauvreté fixé à 1,25 $ par jour. 74% des Congolais vivent dans la pauvreté multidimensionnelle tandis que 45,9% vivent dans l’extrême pauvreté. Cf. Rapport du PNUD sur le développement humain 2013, p. 172. http://hdr.undp.org.


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