RD Congo-2016 : Vous avez dit « fraternité africaine » ?
par MUSAVULI
vendredi 28 octobre 2016
Les pays africains sont en train de rater le rendez-vous historique de confiance avec les Congolais, dont les aspirations à l’alternance semblent en marge des agendas des capitales régionales. C’est en tout cas l’impression qu’aura laissé le sommet de Luanda organisé dans la foulée de l’accord politique du 18 octobre 2016 conclu à Kinshasa, sous la facilitation de l’émissaire de l’Union africaine, Edem Kodjo. Nous y reviendrons. Du coup, en mesure que se rapproche l’échéance fatidique du 19 décembre 2016, fin du second et dernier mandat du président Kabila, on observe une ligne de fracture qui devrait continuer de se creuser. Des alliances de fait se forment avec d’un côté les masses populaires congolaises, déterminées à obtenir le changement, l’opposition autour du Rassemblement d’Etienne Tshisekedi, une partie des puissances occidentales ; et, de l’autre, le président Kabila et plusieurs présidents africains engagés dans des arrangements pour assurer son maintien au pouvoir.
Un défi est lancé aux Congolais aux termes de l’accord du 18 octobre 2016[1], appuyé par le sommet de Luanda. L’avenir politique du Congo va se jouer dans la façon dont ce document sera accepté (ou refusé). Dans l’esprit des parties ayant orchestré le dialogue, dont l’Union africaine et les pays de la région, une résignation des masses populaires sera synonyme d’acceptation tacite de l’ordre nouveau comme cela est de coutume dans ce genre de moments de forcing de l’ordre institutionnel.
Dialogue-complot et « accord-coup-d’Etat »
Des concertations politiques à huis clos entre une frange de l’opposition et le pouvoir ont donc abouti à la signature d’un texte dont l’application se traduirait, de fait, par une mise à l’écart pure et simple de la Constitution de la RDC, avec la bénédiction de l’Union africaine représentée par son facilitateur, le diplomate togolais Edem Kodjo. C’est le texte qui est supposé servir de cadre juridique au fonctionnement des institutions d’ici à l’élection du nouveau président. Sur le plan strict du droit, ce document, qui n’est pas une loi adoptée au parlement et publiée au journal officiel, ne peut pas faire l’objet d’un recours devant la Cour constitutionnelle. Il devra s’appliquer aux Congolais sans que ces derniers soient en capacité d’en contester la légalité ni même de l’opposer aux autorités. C’est un texte synonyme de premier pas vers un ordre juridique dérogatoire dont personne n’est en mesure d’en estimer les limites. Toutes proportions gardées, il s’agit d’un texte comparable à la déclaration qu’une poignée de putschistes lit sur le plateau de la télévision à l’occasion d’un coup d’Etat actant la mise à l’écart de la Constitution.
Une telle opération peut aboutir à un fait accompli, c’est-à-dire l’accaparement effectif du pouvoir par une poignée d’individus de façon anticonstitutionnelle. Elle a toutefois besoin d’une adhésion, même tacite, de l’opinion nationale et de ce qu’on appelle communément « la communauté internationale ». En l’espèce, en RDC, un premier pas vers l’accaparement anticonstitutionnel a été franchi, lorsque trois cent hommes et femmes se sont octroyé le droit d’adopter, sans aucun mandat populaire, un texte qui sera imposé à l’ensemble du peuple congolais. L’Eglise catholique avait quitté la table de négociations faute d’inclusivité. La majeure partie de l’opposition, absente au dialogue, a rejeté l’accord et multiplie les appels à la population pour qu’elle impose le départ du président Kabila au soir du 19 décembre 2016, une posture confortée par la plupart des partenaires occidentaux de la RDC, les Etats-Unis en tête[2]. Le risque d’une confrontation est ainsi bien réel, voire inévitable. Une nouvelle confrontation, pour être plus précis[3]. En gros, il s’agit de savoir si les Congolais acceptent (ou se résignent) à une nouvelle présidence à vie, sous Kabila[4], ou s’ils se donnent les moyens de préserver les maigres acquis de leur balbutiante démocratie. Le comportement de l’armée et de la police sera déterminant, de même que le degré d’implication des partenaires extérieurs de la RDC, aussi bien du côté du régime Kabila que des forces luttant pour le respect de la Constitution.
Convergences des vues et alliances de circonstance
On peut déjà se projeter au-delà de décembre 2016. Si le président Kabila se retire ou est poussé à l’écart par les mouvements populaires, un accord de plus large consensus peut être négocié entre forces politiques à Kinshasa autour d’un gouvernement intérimaire en charge d’organiser les élections. Dans le cas contraire, le Congo va s’enfoncer dans une crise qui pourrait déboucher sur une radicalisation des luttes populaires et un rapprochement de plus en plus étroit (de circonstance et d’intérêt ?) entre masses populaires congolaises, hostiles au maintien de Kabila au pouvoir, et puissances occidentales, longtemps alliées de Kabila contre les Congolais, mais aujourd’hui portées sur le discours du changement. Pourtant, un certain « nationalisme africain » exècre ce genre de rapprochement estimant que fondamentalement, Africains et Occidentaux ne peuvent pas cheminer ensemble vers les mêmes objectifs politiques à long terme, et qu’une implication de l’Occident dans les affaires des pays du Sud aboutit trop souvent à des désastres. Sans doute, mais dans le cas de la RDC, le désastre est déjà là.
En effet, les vingt dernières années, qui ont vu les deux Kabila apparaître à la tête du Congo, sont sûrement les pires années de l’histoire du pays depuis l’époque de Léopold II. Le Congo sous Joseph Kabila est un désastre complet[5]. Accepter son maintien au pouvoir au nom d’un anti-impérialisme africain signifie accepter que des Africains, les Congolais en l’occurrence, continuent d’être broyés par un des régimes les plus cruels du Continent., déterminé à durer ad vitam æternam. Il ne sera pas facile de convaincre les masses populaires congolaises maltraitées par les soudards de Kabila, qu’il faut continuer de rejeter les implications étrangères visant à faire partir le régime actuel. Une ligne de fracture devrait ainsi continuer de se creuser entre d’un côté Kabila et une kyrielle de dictateurs africains, surfant sur des discours anti-impérialistes et, de l’autre, les masses populaires congolaises qui, par le hasard de l’histoire, se retrouvent au même diapason que les puissances occidentales, déterminées à tourner la page Kabila dans leurs relations avec le Congo.
La question de savoir lequel des deux bords est moralement plus acceptable est un jugement de valeur à l’appréciation de chacun. En réalité, nous sommes en présence des logiques froides qui sous-tendent le comportement des nations à leurs tournants majeurs de l’histoire. Les puissances occidentales qui exigent le respect de la Constitution et encouragent les Congolais à obtenir leur première alternance démocratique font, de toute évidence, œuvre utile, contrairement à l’Union africaine qui rate l’occasion historique d’accompagner un peuple africain dans ses aspirations légitimes à une alternance démocratique[6]. Mais l’Occident reste avant tout motivé par la préservation de ses intérêts, menacés par la perspective d’une nouvelle présidence à vie[7]. Les pays africains qui accompagnent Kabila dans son obsession à se maintenir au pouvoir sont, eux aussi, motivés par les intérêts personnels de leurs présidents respectifs. Il faut toujours rappeler que le règne de Kabila aura été l’occasion d’un pillage à grande échelle des ressources de la RDC par ses voisins, et que son départ sera synonyme d’une redistribution des cartes qui fera des perdants dans les rangs des rentiers actuels longtemps nourris par l’économie de prédation mise en place au fil des années de guerre ayant impliqué les armées d’une demi-douzaine des pays africains sur le sol congolais.
En définitive, l’alliance de circonstance qui prend forme entre masses populaires congolaises et puissances occidentales, en rupture avec la solidarité des dictateurs africains autour de Kabila, apparaît comme l’orientation la plus conforme au sens de l’histoire, même si les objectifs à long terme seront difficiles à concilier compte tenu des intérêts respectifs souvent divergents. Il faudra dire à la postérité que le régime n’avait pas laissé le choix aux Congolais. C’était cette alliance opportune « nord-sud » ou une nouvelle présidence à vie, doublée d’une tutelle vexatoire des dictateurs africains sur la Patrie de Lumumba.
Boniface Musavuli
Références
[1] http://www.rfi.fr/afrique/20161018-rdc-accord-politique-report-presidentielle-avril-2018-majorite-opposition
[2] http://m.cas-info.ca/rd-congo/politique/tom-perriello-tout-le-monde-sait-que-le-mandat-de-joseph-kabila-prend-fin-le-19-decembre/
[3] Des affrontements ont éclaté les 19 et 20 septembre 2016 en marge de la marche pour réclamer la convocation de l’élection présidentielle, conformément à la Constitution. En janvier 2015, d’autres affrontements avaient éclaté en marge des manifestations contre la loi qui conditionnait la tenue des élections au recensement préalable de la population. Les deux affrontements ont coûté la vie à une centaine de Congolais. Cf. www.radiookapi.net/2016/10/21/actualite/securite/emeutes-de-septembre-kinshasa-les-forces-de-lordre-ont-fait-un-usage ; https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/rdc/16831-rdc-deja-42-morts-dans-les-manifestations-contre-la-loi-electorale.
[4] Si le président Joseph Kabila se maintient au pouvoir au-delà de décembre 2016, il sera, de fait, délié des contraintes que lui impose la Constitution. Il sera seul à pouvoir fixer ou modifier la date de l’organisation des élections. Il se retrouvera avec les députés, dont les mandats expirent en février 2017, et les sénateurs dont les mandats ont expiré en 2007. Le pays tout entier sera entre les mains des autorités sans mandat populaire. C’est le scénario de la caducité de la Constitution qui imposerait l’adoption d’une nouvelle Constitution. Selon les rapports de force, elle devrait supprimer la limitation du nombre des mandats et ouvrir la voie à une présidence à vie.
[5] Rien qu’en matière de gouvernance, de 2015 à 2017, le budget de l’Etat est passé de 9,09 milliards de dollars américains à 4 milliards 500 millions de dollars, soit une baisse de 50%. Cf. www.radiookapi.net/2016/10/25/actualite/politique/assemblee-nationale-matata-ponyo-depose-le-budget-2017-evalue-45. Un pays par ailleurs en queue de peloton dans quasiment tous les domaines : droits de l’homme, environnement des affaires, liberté d’expression, pauvreté,…
[6] Il faut dire que l’Union africaine n’a été d’aucun secours dans les autres pays du Continent. Les Rwandais, les Ougandais, les Congolais du Congo-Brazza, les Tchadiens, les Gabonais ont tous vu leurs présidents assurer leur maintien au pouvoir soit en modifiant la Constitution soit en organisant des élections frauduleuses.
[7] Après celle de Mobutu qui dura 32 ans et nécessita de gros moyens militaires pour y mettre fin et d’autres gros moyens financiers et diplomatiques pour ramener le minimum de paix actuel en RDC.