RD Congo : Kabila et le coup du torero

par MUSAVULI
lundi 16 septembre 2013

Il n’est pas réputé pour être un stratège politique particulièrement retors, mais Joseph Kabila est en train de réaliser un insoupçonnable coup de bluff sous couvert de deux évènements politiques : les concertations nationales à Kinshasa et les pourparlers de Kampala avec le M23. Depuis une dizaine de jours, et pendant des semaines à venir, tout un peuple est tenu en haleine, scrutant la moindre fuite d’information autour des deux tables rondes où se décide le sort du Congo et de sa population. La guerre de l’Est a trop duré, et le Président a fait le choix d’une solution négociée en signant la déclaration des chefs d’Etat des pays des Grands-Lacs. A Kinshasa, la crise politique née des élections chaotiques de novembre 2011 a, elle aussi, trop duré. Les Congolais doivent surmonter leurs divisions et se rassembler dans le cadre des concertations nationales. Si les choses était aussi simples…

Le piège des bonnes intentions affichées

Donc, deux initiatives éminemment louables, en apparence, et qui tombent à point nommé. Elles doivent déboucher sur une nouvelle ère pour le Congo. Un pays pacifié une bonne fois pour toute, un peuple rassemblé et doté de meilleurs atouts pour surmonter les défis jusque là insurmontables. Les Etats généraux des concertations nationales vont, en effet, s’atteler à cinq grands thèmes : gouvernance et réforme des institutions, économie, désarmement et démobilisation des groupes armés, conflits communautaires, paix et réconciliation, décentralisation et renforcement de l’autorité de l’Etat. Présentées de cette façon, les initiatives du Président Kabila avaient de quoi séduire. Tous les efforts devaient être mobilisés pour les faire aboutir.

Oui, aboutir,… mais aboutir à quoi ?

Crise politique, crise militaire, qui est responsable ?

Car, justement, dans l’engouement autour des concertations nationales et des pourparlers de Kampala, plusieurs questions manquent toujours d’être posées. A quoi est due la crise de légitimité du pouvoir à Kinshasa ? Quelles sont les causes profondes des guerres à répétition dans l’Est du pays ? Qu’est-ce qui aurait dû être fait pour prévenir ces drames et qui ne l’a pas été ? Qui est responsable de quoi ?

Un débat franc et en profondeur autour de ces questions pourrait rapidement transformer les deux forums en procès du régime, sans ménagement, plutôt que toute autre chose. Mais le Président Kabila n’a pas de soucis à se faire. Les concertations nationales ont été boycottées par les principaux leaders de l’opposition (Etienne Tshisekedi, Vital Kamerhe). Le Chef de l’Etat ne risque pas d’être « malmené » au cours des débats pour la gestion calamiteuse des élections de novembre 2011, et les conséquences désastreuses de la « gouvernance du pays par défi » dont il est accusé. Compte tenu de l’ampleur des fraudes, ces élections auraient dû être annulées. Mais le mal est fait, et on n’imagine pas que les concertations nationales servent de cadre de règlement du contentieux électoral.

On peut donc estimer que Joseph Kabila n’espère pas s’octroyer, à travers les concertations nationales, un supplément de « légitimité démocratique » qu’il n’a pas pu obtenir dans les urnes. D’autant plus que les perdants de 2011 se tiennent à la marge de ce forum et n’attendent que la fin des travaux et du battage médiatique pour relancer la « campagne » de contestation du pouvoir en place.

En réalité, pour Joseph Kabila, ces concertations servent à détourner l’attention de l’opinion nationale sur autre chose que sa personne. Elles servent essentiellement à lui octroyer un moment de répit. On sait par avance que les conclusions de ces concertations seront remises au gouvernement qui, naturellement, en fera ce qu’il voudra. Car un gouvernement mène sa propre politique. Il perdrait en cohérence s’il prête le flanc aux recommandations de l’extérieur, concertations nationales soient-elles, ce qui n’exclut pas qu’il puisse s’en inspirer, juste s’en inspirer. Tout ça pour ça…

Plus globalement, on dit que lorsqu’un pouvoir ne veut pas ou ne sait pas régler un problème, il crée une commission (des concertations nationales en l’occurrence). L’ensemble des questions qui seront abordées au cours de ces assises, est supposé être connu du gouvernement qui, s’il en avait la volonté et les moyens, y aurait déjà apporté des réponses.

Donc, beaucoup de bruit pour pas grand-chose au final.

Guerre de l’Est, un diagnostic notoirement erroné mais assumé

Au sujet de la guerre relancée dans l’Est du pays, on voit, là aussi, mal comment l’initiative du Président Kabila pourrait contribuer à y mettre un terme. Car tout repose sur le diagnostic. Si le diagnostic est notoirement erroné, comme on peut s’en apercevoir au vu de la relance des pourparlers avec le M23, la fin de la guerre n’est pas pour demain.

En effet, aller négocier avec le M23, à Kampala, revient à considérer que « la guerre du M23 » est un « conflit national », une rébellion des Congolais contre le pouvoir établi. Une lecture erronée. Il est de notoriété publique que le Congo fait face aux agressions armées du Rwanda et de l’Ouganda. Les faits sont décrits dans les rapports des experts de l’ONU et des ONG. Depuis 1996, c’est la même aventure meurtrière que mènent Kigali et Kampala dans l’Est du Congo. Joseph Kabila le sait pertinemment. Mais il a tout de même donné son aval à la relance des négociations avec le M23 qui ne sont pas destinées à ramener la paix. La paix dans l’Est du Congo ne peut être obtenue qu’à condition que le pays se dote d’une armée dissuasive aux yeux des pays voisins, d’un déploiement effectif de l’Etat de droit sur l’ensemble du territoire national et d’une diplomatie active. Tout ce qui n’est pas au menu des pourparlers de Kampala.

En réalité, les négociations de Kampala, tout comme les concertations nationales, servent à « accrocher » l’attention des Congolais sur « quelque chose », autre que la personne de Joseph Kabila, le temps que celui-ci se fasse oublier et fasse oublier son incapacité à garantir le respect de l’intégrité du territoire national.

Le coup du torero

En effet, après douze ans au pouvoir, Joseph Kabila aurait dû doter le Congo d’une armée à la hauteur de ses défis. Même constat au sujet des thèmes abordés aux concertations nationales. Il y a bien quelqu’un qui était en charge des questions liées à la gouvernance, les groupes armés, les conflits communautaires, la paix, la réconciliation, la décentralisation, l’autorité de l’Etat,… Dans un régime présidentiel, cette personne n’est autre que le Président de la République au premier chef.

Ces questions vont toutefois être abordées à Kinshasa et à Kampala en l’absence du principal concerné, à qui on aurait pourtant dû demander des comptes au bout de douze ans d’exercice du pouvoir et de l’état désastreux dans lequel se morfond le Congo.

Joseph Kabila a sûrement anticipé le risque de « mise en accusation » de son régime en orchestrant cet insoupçonnable coup de bluff. Comme un torero dans la corrida, le Président congolais s’est octroyé un chiffon rouge (concertations de Kinshasa et pourparlers de Kampala). Les Congolais vont se ruer dessus pendant que leur Président, mis à l’abri, prépare un nouveau coup, on ne sait lequel.

Personne ne sait, en effet, de quoi il a discuté avec Paul Kagamé à Kampala, et pourquoi la présidence à Kinshasa a cru nécessaire de démentir ce tête-à-tête un peu louche réalisé dans le dos des Congolais.

Boniface MUSAVULI


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