RD Congo : La Monusco veut-elle « relancer » le M23 ?

par MUSAVULI
mercredi 29 octobre 2014

Le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Congo, Martin Kobler, a formulé plusieurs recommandations à l’occasion d'une réunion du Conseil de sécurité consacrée, lundi 27 octobre, à la situation en République démocratique du Congo. Ces recommandations portaient entre autres sur un ultimatum contre les FDLR, mais aussi sur le M23. Le numéro 1 onusien demande au gouvernement congolais d’accélérer la mise en œuvre du programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) afin de réintégrer les ex-combattants du M23. L’information passe comme une lettre à la poste alors qu’on parle bien de « réintégrer » dans les institutions congolaises les membres du M23, ce qui n’est pas rien. Les Congolais étant souvent victimes de l’oubli, il sied de rappeler les douloureux souvenirs que ce mouvement a laissés dans l’Est du Congo.

Qu’est-ce que le M23 ?

Le M23 est un mouvement politico-militaire formé de combattants rwandais et ougandais et dirigé, selon les experts de l’ONU, par le général rwandais James Kabarebe[1]. Son ancêtre est le CNDP que dirigeaient les généraux Laurent Kunda et Bosco Ntaganda, tous les deux membres de l’armée tutsie rwandaise et citoyens rwandais, selon leurs propres aveux[2],[3]. Le M23 est responsable de massacres, de viols et de pillages à grande échelle dans l’Est du Congo, et des bombardements de la ville de Goma en août 2013. Les crimes du M23 ont fait l’objet d’un rapport du BCNUDH (Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l'homme), publié le 10 octobre dernier, et pour lesquels Martin Kobler a personnellement exigé des sanctions. Les poursuites n’étant toujours pas initiées par les autorités congolaises, la question de la réintégration sonne quelque peu comme une inexplicable fuite en avant.

Toujours au sujet de la réintégration des membres du M23, le Congo a plutôt une expérience amère avec ces combattants « rwandais », dont les parcours s’assimilent à celui de Bosco Ntaganda, l’initiateur du mouvement[4] actuellement poursuivi devant la Cour pénale internationale. Né Rwandais, Ntaganda combat dans les rangs du Front Patriotique Rwandais jusqu’à la prise de Kigali. Il entre au Congo dans les rangs de l’AFDL en tant qu’officier de l’armée rwandaise (1996). Il reprend les armes contre le Congo lorsqu’éclate la Deuxième Guerre du Congo (1998). En 2003, il reprend les armes contre le Congo dans les rangs de la milice de l’UPC dirigée par Thomas Lubanga, le premier condamné de la Cour pénale internationale. En 2004, Bosco Ntaganda obtient, malgré tout, une nomination de « général » de l’armée congolaise. En dépit de cette haute distinction, il reprend à nouveau les armes, en 2006, contre le Congo lorsqu’éclate la guerre du CNDP (2006-2009). Il est réintégré, pour la troisième fois, dans l’armée congolaise malgré un parcours qui lui aurait valu la cour martiale dans n’importe quel pays du monde. Comme il fallait s’y attendre, Bosco Ntaganda prend la tête des mutins tutsis lorsqu’éclate la guerre du M23 en avril 2012[5].

Les membres du M23 ont presque tous un parcours comme celui-là. Les réintégrer dans les rangs de l’armée congolaise signifie condamner le Congo à devoir subir une nouvelle « mutinerie-rébellion tutsie » susceptible de réduire à néant les quelques progrès que les Congolais, meurtris, ont difficilement réussi à réaliser. Les réintégrer signifie également cautionner l’image d’une armée congolaise « poubelle » dans laquelle sont recueillies toutes les racailles des pays voisins au point de devenir à la fois le cauchemar des populations congolaises et la risée du monde entier. Enfin, plaider pour la réintégration du M23 signifie cautionner l’idée d’un Congo indéfiniment déchiré par des conflits internes et régionaux. Quelques langues commencent à accuser la Monusco de vouloir maintenir durablement sa présence au Congo et de servir des intérêts contraires à ceux des populations congolaises[6]. Ce qui est certain, est que l’affaire du M23 que la Monusco essaie de remettre sur la table ne peut que générer de nouvelles crises dans l’Est du Congo où les victimes de la milice rwando-ougandaise n’ont même pas fini de panser leurs plaies et de sécher leurs larmes.

Que faire du M23 ?

Il faut tout simplement appliquer les lois nationales et internationales en matière de crimes internationaux, au nom de la lutte contre l’impunité ; et la question n’a même pas à être posée. Le M23 est considéré comme une organisation criminelle par l’ONU[7], le gouvernement américain[8] et l’Union européenne[9] qui ont tous inscrit ses dirigeants sur les listes de sanction en rapport avec les violations des Résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU (embargo sur les armes dans l’Est du Congo) mais aussi en rapport avec les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et de possibles crimes de génocide. Il y a longtemps que deux autorités, au moins, auraient déjà dû prendre leurs responsabilités : le président Joseph Kabila pour obtenir de Paul Kagame et de Yoweri Museveni l’extradition des membres du M23 passibles de poursuites devant les cours et tribunaux, et le Procureur de la Cour pénale internationale pour les inculper et obtenir leur extradition vers La Haye, à défaut de l’être vers le Congo-Kinshasa.

Les actions du président Kabila et du procureur de la Cour pénale internationale n’ont pas, elles non plus, à être rappelées. En effet, l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération, signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba, engage ses signataires à « ne pas tolérer, ni fournir une assistance ou un soutien quelconque à des groupes armés » et « ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, d'actes de génocide ou de crimes d'agression, ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies » (article 5). La présence des membres du M23 sur les sols ougandais et rwandais signifie que les autorités congolaises et le Conseil de sécurité de l’ONU ne prennent pas leur responsabilité. Une inertie qui nécessite que la société civile se réapproprie cette revendication de justice pour les victimes. Les mouvements d’opposition devraient, eux aussi, se saisir du dossier et s’engager fermement à rendre justice aux victimes du M23, si les électeurs les accompagnent dans la lutte pour un changement de la majorité présidentielle en 2016. Il s’agit de tourner radicalement le dos à la logique de la « prime à la guerre », qui a fait tellement mal aux Congo et que conforterait une nouvelle réintégration (des membres du M23) dans les rangs des FARDC.

Parce que l’absence de mobilisation de la société civile et des partis d’opposition aux côtés de leurs populations meurtries laisse la voie à des démarches aussi surréalistes que la demande de réintégration des combattants du M23 formulée par le patron de la Monusco.

Boniface MUSAVULI

 

[1] Rapport S/2012/843 du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, 15 novembre 2012, p. 109.

[2] En février 2009, Laurent Nkunda a fini par reconnaître qu’il était un agent rwandais. Cf. Le Palmarès, 23 février 2009.

[3] A l’occasion de l’audience de confirmation des charges de la Cour pénale internationale, le 10 février 2014, le général Bosco Ntaganda, poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité s’est fait identifier en tant que « citoyen Rwandais », jetant un froid dans les communautés congolaises. Cf. JJ. Wondo, « CNDP-M23 : embêtante révélation de Bosco Ntaganda à la CPI », desc-wondo.org, 14 février 2014.

[4] Rapport S/2012/348/Add.1, 27 juin 2012, pp 52 et svts.

[5] Rapport S/2012/843 des experts de l’ONU, page 164.

[6] « Selon les savants rdcongolais, l’action onusienne en RD Congo est inactive et portée vers les intérêts étrangers », eco243.info, 27 octobre 2014.

[7] Liste des personnes et entités visées par les mesures imposées aux paragraphes 13 et 15 de la résolution 1596 (2005) et reconduites au paragraphe 3 de la résolution 2078 (2012) du Conseil de sécurité de l’ONU. Cf. un.org/french/sc/committees/1533.

[8] OFAC, Sanctions List Search, sdnsearch.ofac.treas.gov/Default.aspx.

[9] Décision 2012/811/PESC du Conseil du 20 décembre 2012 modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République Démocratique du Congo.


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