Récession Démocratique et Mogul de la Presse
par Narcisse Jean Alcide Nana
mardi 19 juillet 2011
Le cocktail sulfureux de la richesse, du pouvoir et de l’influence médiatique présente l’unique avantage de conférer une auréole de status social incontournable à ses détenteurs, mais ne semble pas toujours faire bonne fortune en démocratie. Le scandale du mogul des medias du News of the World en Grande Bretagne ne finit pas de charrier ses victimes sur les plages de la transparence démocratique. A la suite de Rebekah Brooks, la pieuvre des ramifications du scandale étend ses maillons de complicité, faisant perdre près de $7 milliards de dollars sur le marché de la bourse.
L’opinion publique, avide d’informations de grande facture, semble enfin se réveiller de son long sommeil dogmatico-médiatique. L’intrusion romantique d’une cabale des élites économiques dans l’espace privé des élites politiques, doublée d’une manipulation instrumentale des citoyens ombilicalement abonnés aux media de masse, signait dans le registre d’une conspiration indécente contre les libertés tant privées que publiques. L’ascendance incontrôlée du pouvoir des media faiseurs de rois ne nous ont que trop longtemps assoupi sur ce simple truisme du rôle central de la presse dans notre vie publique. L’accumulation de la richesse à travers la coupe hégémonique d’un centralisme des fora de diffusion de l’information est souvent convertible en influence politique et sociale corrosive. Déjà en 1931, le Premier Ministre Stanley Baldwin s’indignait du « pouvoir sans responsabilité » des barons de la presse écrite. La libre convertibilité du pouvoir de l’argent en pouvoir politique n’est pas sans incidence sur le développement de formes de récession démocratique actuelle. En Italie, l’arrivée d’un super-riche et mogul des masses media, Silvio Berlusconi, comme Premier Ministre, fut une entorse à la démocratie républicaine lorsque la transparence politique est convoquée dans la sphère publique politique.
La marque propre d’un gouvernement démocratique se reconnait et repose sur une promesse de responsabilité. Le gouvernement est responsable pour défendre les intérêts et désirs de ses citoyens sur le principe de l’égalité pour tous. Et pourtant, les théoriciens de la démocratie contemporaine semblent curieusement amorphes et résignés à satisfaire une simple exigence républicaine : comment prévenir les élites économiques ou les super riches de dominer un gouvernement sensé servir tous les citoyens ? L’acharnement de la république moderne actuelle s’illustre par son super activisme à gérer étroitement les mécanismes de la transparence au niveau des ses élus et des agents de la fonction publique. Cet acharnement institutionnel des démocraties électorales écarte malencontreusement les élites économiques comme catégorie de citoyens qui peuvent aussi et surtout représenter une source de menace pour la stabilité du gouvernement et la liberté citoyenne. Avant l’avènement des démocraties modernes, les motivations des super riches étaient suspectes d’insinuer de manière oligarchique une subversion contre la république. L’élite économique, en vertu de sa force de manipulation des décisions du gouvernement à ses propres fins, était tenue pour la plus grande menace domestique à la stabilité et à la liberté des gouvernements populaires.
Notre démocratie représentative actuelle serait minimaliste si elle tire satisfecit simplement du jeu de sa transparence électorale et discursive tout en restant impuissante à tenir sous surveillance ces formes de menaces que représentent la subversion et l’inflation des prérogatives des élites économiques contre les libertés publiques. Réduire la participation populaire au jeu de l’arithmétique des urnes est une condition insuffisante pour l’instauration d’une citoyenneté démocratique et politique robuste tant que les citoyens sont privés des chances d’accès à une information plurielle et représentative. Pour prévenir le piège que les media ne deviennent que simplement l’instrument du clonage de leur fondateur, il faut veiller à sauvegarder leur pluralité et diversité. La survie de la démocratie contemporaine repose aussi sur les piliers d’une démocratisation du pouvoir de la communication. Cela seul pourrait nous sauver d’une forme de républicanisme aristocratique à la Cicéron qui neutraliserait la plèbe. Retour donc à l’intuition fondatrice de Machiavel : comment le peuple peut-il contrôler ses élites économiques pour que les libertés individuelles et publiques soient sauvegardées ?
Narcisse Jean Alcide Nana,
The University of Leicester, UK