Réflexions sur l’Afghanistan

par Edwige Fournier
jeudi 29 décembre 2011

Et si le monde était meilleur qu’on ne le pense…

Bien sûr, beaucoup jugent que de vouloir inculquer une démocratie à l’occidentale dans un pays musulman est pure utopie, et comme cela é été écrit, « c’est un peu vouloir fabriquer un Concorde avec des roues de bicyclette »

Ce n’est peut-être pas faux. Et pourtant…

Les choses ont évolué à une échelle lilliputienne, certes, mais évolué.

Pourquoi la France s’est elle engagée dans cette galère ? Pourquoi 40 pays dont 26 pays membres ont suivi L’OTAN dans cette république islamique de 652.000 m2, plus petite que la France, comprenant une telle diversité de groupes ethniques, eux-mêmes subdivisés en sous groupes qui font la majeure complexité de ce pays ? Et si à travers les enjeux politiques de certains, des embryons de liberté et de progrès étaient apparus grâce à l’ISAF, La Force Internationale d’Assistance et de Sécurité menée par l’OTAN…

L’Afghanistan étant un lieu stratégiquement situé, on peut effectivement soupçonner Washington, entre autre, d’y être en première ligne pour des raisons géopolitiques. Mais si le monde était, en fait, meilleur qu’on ne le pense...

Il faut savoir qu’ajouté aux 40 pays qui se sont engagés pour l’Afghanistan, il y aussi les pays adhérents au Partenariat pour la paix de l’Otan, des pays comme la Suède, la Finlande, l’Azerbaïdjan, l’Irlande. Depuis 2002, l'Irlande fournit des officiers d'état-major et des sous-officiers à la Force internationale d'assistance à la sécurité en Afghanistan. Il existe aussi les pays dits « de contacts » engagés eux aussi, comme l’Australie, la République de Singapour, la Nouvelle Zélande. Tous contribuent chacun à leur manière à aider ce pays considéré comme le 74 èm pays le plus sous développé au monde sur 79.

Le Canada, par exemple, a concouru nettement au progrès de la condition des femmes afghanes.

Si en 2001, il était strictement interdit aux filles d’aller à l’école, en 2010, plus de 2 millions de petites filles aujourd’hui sont scolarisées, soit 43%. Il y avait à peine un million de garçons scolarisés. Aujourd’hui, ils sont plus de 6 millions d’élèves. Et le Ministère d’éducation afghan prévoit plus de 7 millions d’enfants scolarisés pour 2011.

Un beau pied de nez à ces pseudos étudiants chercheurs, les Taliban, qui n’hésitent pas utiliser les enfants comme candidats aux attentats suicides ou guetteurs, les enrôlant ainsi très jeunes.

En 2002, 21.000 femmes étaient enseignantes. En 2010, sur près de 160.000 enseignants afghans, un tiers sont des femmes. Une belle amélioration.

Un bémol : le taux d’alphabétisation des femmes est malheureusement toujours un des plus bas au monde. Dans la région de Kandahar, on compte 1,5% de femmes alphabètes pour 13,8% des hommes.

Dans la région du nord, des écoles communautaires construites avec l'aide de divers bailleurs de fonds n'avaient pu fonctionner, faute aux enseignants de ne pouvoir s’y rendre. Grâce à l’Ida, l’Association internationale de développement, qui est une institution de la Banque mondiale aidant les pays les plus pauvres, l'amélioration des liaisons routières a remédié à cette situation en permettant aux enseignants de se déplacer.
Ces progrès de scolarisation ne sont pas des confettis à l’échelle des problèmes afghans. Seul l’enseignement peut sauver un peuple.

Avant 2002, les stades n’étaient réservés que pour les lapidations et les exécutions publiques. Désormais, on peut voir des jeunes filles, certaines sans aucun voile, vêtues de tee shirt et jogging, s’entrainer pour des essais à d’éventuels jeux Olympiques au stade de Kaboul.

Comme le disait un vieil afghan, Atha Jan Ahalladad, en parlant de son village : C’est le manque d’éducation qui pousse les jeunes vers les insurgés. Certains habitent ici, ils ne respectent pas leurs parents et se cachent derrière les Taliban pour avoir des armes.

C’est bien pour cela que les fondamentalistes détruisent encore des écoles dans le sud du pays. Mais ils n’y arrivent que par la force, jamais par la persuasion. La soif d’apprendre chez les afghans est la plus forte.

Les Taliban font sauter des écoles, soit ! Depuis 2001, grâce à la coalition mondiale, plus de 3500 écoles ont été construites et 19 universités assurent désormais l’enseignement supérieur d’un nombre croissant d’étudiants.

Culture du safran  : initiative des plus intéressantes qui aurait fait sourire plus d’un, mais qui, grâce aux résultats, ne feront grimacer que les Taliban qui autrefois, en accord avec leur religion, étaient contre la drogue, mais qui aujourd’hui, ne comptent que sur ses bénéfices pour financer leur insurrection…

En 2005, l’Italie a mis en place un projet pour remplacer la culture du pavot par celle du safran. A l’Ouest de Kaboul, dans la province de Hérat, région sous l’autorité militaire italienne, les 2000 hectares consacrés à la culture du pavot s’est réduite à 500 hectares. Aujourd’hui, 800 familles de fermiers et 1500 travailleurs chargés du conditionnement dont 480 femmes sont employés désormais à la culture et à l’exportation du safran. Vendu 20 euros le gramme, cet or rouge rapporte trois fois plus que la drogue et permet d’assurer un revenu de 9000 dollars par an et par hectare.

Les militaires italiens ont distribués aux chefs des communautés afghanes de 8 districts 60 tonnes de bulbes de safran et 8 tonnes de fertilisants. Depuis 5 ans, cet aromatique aux vertus culinaires et médicinales s’exporte très bien à travers le monde.

Comme rien de bien ne se fait sans mal, des chauffeurs afghans de camions ont été tués, leurs véhicules brûlés. Depuis, le transport des bulbes se fait par hélicoptères dans toutes les régions à risques.

Dans un pays qui produit environ 90% d’opium à l’échelle mondiale, cette réussite n’est pas anecdotique, mais un réel challenge qui se poursuit et qui se voit concrètement.

En 2008, lors d’une intervention des militaires afghans et américains, au cours de laquelle une soixantaine de talibans ont été tués, des armes mais surtout 92 tonnes d’opium ont été saisis, ainsi que des produits chimiques destinés à la production d’héroïne et à la fabrication d’engins explosifs.

Le grenadier pourrait, aussi, remplacer le pavot. Pour les sociétés chargées d’organiser la filière d’exportation de la ­grenade - avec le soutien financier de Washington - l’écart de prix constitue un facteur clé pour aider les Afghans à mettre en place des cultures légales capables de faire concurrence au trafic de drogue. Selon les responsables de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), l’Afghanistan a tout intérêt à reconquérir son titre de producteur de fruits de qualité supérieure, perdu après plusieurs décennies de guerre.

D’un point de vue financier, les profits liés à la culture du grenadier en font une alternative intéressante à l’exploitation du pavot.

L’Espagne se consacre à la remise en état du réseau d’irrigation de Badghis, à la formation des fermiers aux techniques agricoles modernes et à la réhabilitation des plantations de safran, de pistaches, de légumes et de fruits. On leur doit aussi un institut national de développement rural à Kaboul et une école provinciale rurale à Badghis.

Les premiers signes de croissance économique sont à constater dans la province de Helmand. Les Britanniques aident les agriculteurs à se détourner de la drogue pour exploiter des denrées licites et durables. La DFID, Department for International of dévelopment a octroyé des microcrédits pour un montant supérieur total à 100.000 GPB. Ils soutiennent ainsi la commercialisation des produits locaux avec une aide à l’irrigation, un accès à l’eau potable et aux reconstructions de routes pour l’acheminement des marchandises jusqu’aux marchés et autres points de vente.

En 2007, la production céréalière est passée à 4,6 millions tonnes pour 2 millions en 2001, 114 coopératives agricoles existent pour 52 en 2002. 142.6000 Afghans travaillent pour celles-ci contre 7400 en 2002.

Les forces françaises et leurs implantations médicales.

A la croisée des vallées d’Afghanya, de Nijrab et Shorhi, un poste médical, parmi tant d’autres, sauf que celui-ci est stratégiquement bien placé pour soigner les patients afghans des trois régions. Le Poste médical reçoit en moyenne une centaine de malades chaque semaine. On y soigne les enfants en bas âge ; cela va de la simple diarrhée aux infections respiratoires en passant par les Urgences qui peuvent être des noyades, des chutes, des accidents sur la voie publique, ou des accidents de machines agricoles. Cette aide primordiale à la population afghane est facilitée par les médicaments et les vêtements donnés par l’association « Tulipe », une des multiples associations aidant le pays.

En 6 mois, les militaires français ont effectué près de 2000 consultations et pris plus de 120 urgences dans ce poste médical. Ils ont contribué ainsi à améliorer les conditions de vie dans le nord de la vallée de Kaspisa. Ajouté à cela, la coopération des médecins français avec leurs homologues afghans permet à ces derniers d’obtenir des « tickets de consultation ». Les médecins afghans, dont leurs moyens de diagnostics sont dépassés, envoient les pathologies difficiles aux équipes françaises.

Le 7 avril 2006, les Français ont pu inaugurer l’Institut médical français pour l’enfant (IMFE) de Kaboul, en présence du Président Karzaï, de Mme Bernadette Chirac qui en avait posé la première pierre en mai 2003. Cet établissement a été créé avec l’aide de fonds privés mobilisés par les ONG françaises Enfants Afghans et La Chaîne de l’espoir, ainsi qu’avec le soutien du ministère des Affaires étrangères et européennes.

Et en Avril 2006, la première opération à cœur ouvert de l’histoire afghane y a été pratiquée sur un enfant.

Si on ne peut pas vraiment parler de débat politique, l’Afghanistan possède toutefois d’après la journaliste, Valérie Rohart, près de 250 journaux à Kaboul ainsi que quelques radios. Peut-être un peu différentes de celles des pays occidentaux, des formes de démocratie peuvent donc exister peu à peu. De même que la Choura pourrait reprendre sa place. La Choura, le conseil des Anciens, pourrait-on dire ; elle est le suffrage universel qui offre le droit pour tous les citoyens, indépendamment de leur sexe et de leur classe socioprofessionnelle, d’être électeurs et éligibles.
Le référendum qui est la consultation des électeurs sur une question ou une recommandation et dans lequel le vote majoritaire entraîne l’adoption ou le rejet.

Safia Saïfi*, est une jeune journaliste qui travaille depuis 3 ans dans la première agence indépendante d’information afghane : Pajhwok Aghan News. Cette agence a reçu le prix international de la liberté de la presse en 2008. De même que la photographe Zubaïda Akbar*. Après avoir publié un livre sur les femmes afghanes, elle travaille aujourd’hui pour le Centre de Presse du gouvernement afghan. En 1988, Freshta Kohistany* s’était réfugiée au Pakistan, elle revient, après la chute des Taliban en Afghanistan, et devient photographe pour les Nations Unies en 2002.

30% des Afghanes ont été élues au Parlement, contre… hic… 18% en France…

Une dizaine de députées femmes, parfaitement bilingues, sont en formation à Paris. Pour un pays qui est synonyme d’oppression, notre Concorde ne commencerait-il pas à rouler…

* Des portraits de ces femmes sont à la Doroty’s Gallery à Paris en 2010, exposition tirée de Voices on the rise..

En septembre 2010, 4 millions 300 milles Afghans ont pu voter. Bien sûr des violences dans certaines régions du pays n’ont pas permis à tous de se déplacer.

Les forces armées amenaient les urnes parfois à dos de mulet dans certains villages nichés dans les montagnes.

Un peu plus de 4 millions sur 12 millions habilités à voter, c’est un regard bien optimiste penseront certains. Mais rien que de réussir à instaurer des élections parlementaires dans ce pays, est déjà en soi un exploit. La Communauté Internationale a salué cette avancée vers l’autonomie.

La France a estimé, par la voix de Martin Briens, Représentant permanent adjoint de la France auprès des Nations unies à New York :

qu’en dépit des problèmes rencontrés en matière de sécurité, les élections parlementaires de novembre 2010 ont permis aux Afghans de s’exprimer et aux institutions de montrer qu’elles sont capables de mener par elles-mêmes le suivi du scrutin.

M. Ibrahim Assaf, représentant libanais au Nations Unies jusqu’en 2006 a déclaré que le simple fait d’avoir pu organiser des élections parlementaires le 18 septembre 2010 dans un environnement très complexe et difficile représentait un pas positif vers la démocratie.

La représentante permanente adjointe des Etats-Unis auprès de l'ONU, Mme ROSEMARY DICARLO a rendu hommage au travail de la MANUA, Mission d’Assistance des Nations Unies en Afghanistan, avant de rappeler que le Sommet de l’OTAN à Lisbonne avait décidé de mettre en place en 2011 la transition en matière de sécurité, qui devra s’achever à la fin de 2014. L’idée est de permettre à l’Afghanistan de devenir un État capable de se gouverner seul, avec l’aide de la communauté internationale, et de ne jamais redevenir un sanctuaire pour les Taliban.

N’oublions pas aussi que, même si dans la pratique, cela laisse encore à désirer, La Constitution afghane de 2004 a rétabli le principe de l’égalité des femmes et des hommes devant la loi ; que le gouvernement afghan a ratifié les traités internationaux en matière de droits de la personne comme la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ;

Et que le gouvernement afghan s’est engagé à atteindre des résultats précis pour les femmes dans son Plan d’action national pour les femmes d’Afghanistan et sa Stratégie nationale de développement de l’Afghanistan.

Les missions des militaires engagés en Afghanistan sont multiples. Hormis combattre le terrorisme, aider le gouvernement afghan à gérer leur autonomie, assister les structures sanitaires et leur apporter le modernisme occidental, ils sécurisent les ONG, doivent former les soldats, une police, un système judiciaire. Les éléments indispensables à la structure d’un pays.

C’est pourquoi l’Australie, en 2009, à dépêché 400 soldats supplémentaires sur place, personnel non combattant, mais des officiers chargés de former une armée afghane, et des hommes du génie militaire afin d’aider à la reconstruction du pays. Dans la même optique, la France et l’Allemagne lance aujourd’hui un projet pour la formation des juges et des magistrats de la Cour Suprême afghane.

Un des soucis majeurs pour que ce pays évolue sont ses structures routières. L’Afghanistan possède une centaine de montagnes atteignant plus de 6000 mètres, dont la principale se situe dans le Pamir et flirte avec les 7500 mètres. Bien difficile donc de circuler. C’est pour cela que les pays engagés s’évertuent à développer des infrastructures routières. Selon l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture, 567.000 hectares sont à nouveau irrigués depuis 2004 ; 20.000 kilomètres de routes ont été construites ou remises en état. 36% des villages, soit 500.000 familles, bénéficient aujourd’hui de ces réalisations.

Le transport facile peut, à lui seul, réunir les villages, accéder à l’information, à tous les échanges qu’ils soient commerciaux ou culturels. Avec l’aide de l’Ida, plus d’un million d'habitants des provinces de Parvan, Baghlan, Kondoz, Takhar et Badakhshan ont été reliés au principal réseau d'infrastructures et de transports du pays, et ont ainsi pu profiter d'un meilleur accès aux produits agricoles, aux apports d'aide humanitaire, aux services sociaux et aux centres administratifs.

Tout cela pour dire que si plus d’un millier de soldats, tous pays confondus, ont perdu la vie dans cette forteresse de sommets, ils n’ont pas donné leur vie pour rien. Et si la moitié de la planète se retrouve, d’une manière ou d’une autre, dans ce pays, c’est peut-être aussi un immense élan de solidarité. L’accouchement est long et particulièrement douloureux, mais la naissance d’un pays libre n’en vaut-il pas la peine ?


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