Renaud Van Ruymbeke et la corruption

par Alain Roumestand
jeudi 6 février 2014

Rencontre avec le juge renaud Van Ruymbeke : le magistrat compare la lutte contre la corruption aux USA et en France

Le juge Van Ruymbeke a tenu la « une » dans les « affaires » Urba, frégates de Taïwan, Clearstream, Kerviel, Cahuzac, Karachi.

Il est actuellement premier vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de Paris, affecté au pôle financier.

 

Le juge d’instruction

Celui qui est souvent comparé au juge espagnol Balthasar Garzon affirme d’emblée que le juge d’instruction est une particularité française.

L’Espagne avec la France est un des rares pays à avoir des juges d’instruction. En Suisse le procureur est élu, en Italie le procureur est totalement indépendant.

La suppression du juge d’instruction envisagée par l’ex-président Nicolas Sarkozy, il la combat. Si le juge d’instruction n’existe plus il faut alors transférer les affaires à un procureur de la république qui doit devenir indépendant et qui doit associer les avocats, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le juge d’instruction est donc sauvé.

Toute indépendance fait naître de la part des autorités le terme d’ « irresponsables ». Car ainsi les hommes ou les femmes ne peuvent être influencés.

 

La justice franco-américaine

Dans la collaboration franco-américaine en matière de corruption, la première difficulté est de rapprocher deux institutions judiciaires différentes. Le juge Van Ruymbeke le dit : « je n’ai pas de jugement à porter sur leur système », mais aux Etats-Unis le parquet général « department of justice » est une instance fédérale. Et il faut « un certain temps pour se caler », pour expliquer aux américains ce qu’est le juge d’instruction français.

L’indépendance totale a pour conséquence aux USA un « système performant en matière financière avec des amendes de centaines de millions de dollars ».

En France pour obtenir de fortes amendes, « il faut des années d’instruction ».

 

La transaction à l’américaine

Aux USA « on peut toujours transiger », ce qu’on récuse en France avec « la peur des petits arrangements ». Il y a toujours quelqu’un qui parle, qui collabore. Donc pas d’enquête longue. La France veut « l’égalité devant la loi », et « le procès ne doit pas être évité pour pouvoir s’exprimer contradictoirement », avec « public, presse donc transparence devant l’opinion ». Avec la culture latine en France « tout doit être dit, tout doit être expurgé, c’est la justice avec un grand J ».

Mais les sanctions ne sont pas au niveau des peines américaines. Madoff a été condamné à 150 ans de prison.

Des sanctions au final « peuvent mettre des entreprises au tapis ».

En France on fait attention « de ne pas mettre des gens au chômage ».

Aux Etats-Unis on « touche plus facilement au porte-monnaie ». L’idée de proportionnalité fait que Goldman Sachs a été condamné à une amende équivalent à 6 mois entiers de bénéfices.

 

Le jury américain

Aux Etats-Unis, si la négociation sur l’amende et la peine de prison n’aboutit pas, on fait appel au jury. Il faut alors « expliquer à la ménagère de 50 ans des affaires complexes. C’est difficile ». C’est donc « le citoyen qui est appelé en dernier recours ».

En France les magistrats auxquels on a recours sont « des professionnels formés et habitués de la matière concernée ». « On a plus de technicité », ce qui est positif mais « la longueur des enquêtes, de l’instruction » c’est négatif. Le juge d’instruction mène son enquête, ses perquisitions, ses écoutes, à charge et à décharge, avec la chambre d’instruction qui contrôle. L’instruction doit d’ailleurs être « théoriquement secrète d’après le code de procédure pénale ». Mais « les parties n’y sont pas tenues contrairement au juge d’instruction ».

Ainsi il faut faire appel à des exigences minimales communes pour que la coopération franco-américaine fonctionne efficacement.

 

Coopération contre la corruption

Les affaires de corruption demandent en effet de multiples connexions. De multiples conventions existent pour faciliter la coopération entre états.

Par exemple par le jeu des commissions perçues dans une affaire africaine on peut avoir une entreprise italienne (un procureur italien requis), une entreprise japonaise (dans le cas évoqué la justice japonaise ne s’est occupée de rien) et des entreprises française et américaine.

Autre exemple pour illustrer la complexité des affaires : une officine de Hong-Kong peut ouvrir un compte bancaire de passage pour blanchir de l’argent venant de la drogue, de la prostitution ou du terrorisme, avec un intermédiaire prête-nom, pour acheter une société immatriculée avec un gérant de paille. Alors une grande banque ouvrira un compte et l’argent partira de Hong Kong vers Gibraltar.

Lorsque les paradis fiscaux sont en cause (Lichtenstein, Gibraltar, îles anglo-normandes, îles Caïman avec 1/6 des actifs financiers du monde), la complexité est à son comble.

Il est alors le bienvenu, « celui qui balance » (même si en France il est mal vu). Aux USA les intermédiaires parlent, ils prennent les coups .Et sans eux il serait difficile de démontrer quoi que ce soit, surtout avec des systèmes de corruption off-shore.

Quand il y a corruption internationale le taux d’échec est fort mais « les Etats-Unis ont plus de résultats que nous », preuve que l’on peut agir.

 

La France : « peut mieux faire »

La France dans le classement OCDE sur la lutte contre la corruption est « dans les derniers de la classe ».

De vrais barrages culturels existent.

La défense des emplois des entreprises est présente à l’esprit de tous.

On considère souvent « que les responsables n’avaient pas le choix dans le pays en question ». Les responsables agissent « dans l’intérêt de leur entreprise ».

Mais en France la presse « ce n’est pas neutre : ce que fait la justice est sous le regard du citoyen ».

Et les choses évoluent lentement. « On avance mais on est loin du compte », car « c’est une jungle ».

« La lenteur de la justice et la rapidité de la corruption » doivent être examinées de près pour accélérer les évolutions nécessaires.

« La vraie révolution » sera « l’échange automatique des données entre pays ». Il y a encore trop de pays qui n’extradent pas leurs nationaux. Et à Dubaï « on n’arrive pas à exécuter les mandats d’arrêt ».

Ainsi tant qu’il y aura des failles dans la mondialisation on ne pourra que dénoncer « la honte que constituent les paradis fiscaux…ces petits pays qui protègent ceux qui fraudent l’impôt, les trafiquants de drogue…les dictateurs africains ».

 


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