République démocratique du Congo : une guerre oubliée
par linksanta1
vendredi 28 avril 2006
Ancien correspondant de guerre pour la BBC et politicien, Martin Bell a été invité en République démocratique du Congo par l’Unicef. Cet homme y a découvert l’horreur, le « coeur des ténèbres » décrit par Joseph Conrad. Voici la traduction et le résumé d’un article publié le 24 avril 2006 par cet homme, dans le quotidien britannique The Guardian Unlimited.
En huit ans de guerre dans le zone Est de la République démocratique du Congo (1), il y a eu un va-et-vient de négociations de paix et de partage de pouvoirs. Des élections démocratiques sont prévues en juillet 2006. Elles seront à marquer d’une pierre dans l’histoire de ce pays.
La Mission des Nation unies en République démocratique du Congo (2) y est présente depuis 1999. 17 000 casques bleus tentent de contrôler un pays vaste comme l’Europe. Pourtant, les combats continuent entre l’armée congolaise menée par le gouvernement de Kinshasa et les alliances instables de milices rebelles chapeautées par le MLC(3). Depuis 1998, on a comptabilisé 4 millions de morts, un chiffre élevé et jamais atteint depuis la Seconde Guerre mondiale. La province la plus instable est le Kivu Nord, dont les frontières sont limitrophes avec l’Ouganda et le Rwanda. En tant qu’ambassadeur de l’Unicef, Martin Bell a voyagé la plupart du temps en avion à cause de l’insécurité régnante sur le sol congolais. De nouvelles vagues de réfugiés sont sur le chemin de l’exode suite aux offensives menées par l’armée gouvernementale contre les rebelles. Près de Beni dans le Nord de la Province, des milices ont fui vers la forêt où vivent les Pygmées. Ces derniers ont été obligés, pour la première fois de leur histoire, de quitter leur territoire. On ne leur a laissé aucun choix. Les arcs et des flèches empoisonnées ne font pas le poids face à la puissance de feu des kalachnikovs. Un chef pygmée a déclaré : " Cette guerre est très sérieuse. Beaucoup de nos proches ont été tués. Nous ne pouvons continuer à vivre dans cette situation". Ce message est adressé au monde entier.
Au coeur même de l’Afrique, ce conflit illustre le paroxysme atteint par la guerre moderne dans sa brutalité et sa sauvagerie. "De toutes les guerres que j’ai connues, c’est la seule où plus les choses s’empirent, plus on les ignore", déclare Martin Bell. Parmi toutes les zones de conflit dans le monde, la RDC possède la plus grande concentration d’enfants soldats. Des milliers sont apparemment toujours mobilisés. A Goma, la capitale provinciale, nous avons visité un centre de transit dirigé par l’UNICEF où résident des enfants démobilisés. Un garçon de 17 ans raconte : " J’avais onze ans et demi lorsque je suis devenu soldat. J’ai combattu pendant 6 ans. Dans notre bataillon, 17 soldats sont morts sur la ligne de front". Martin Bell lui a demandé s’il avait tué des gens. Il lui a répondu qu’il en avait tué beaucoup.
La visite à l’hôpital de l’église de Goma fut tout aussi choquante. Les victimes de viol ont suivi pendant deux mois une thérapie physique et psychologique gérée également par l’UNICEF. Depuis 1990, on a systématiquement utilisé le viol comme arme de guerre durant les trois conflits armés du Congo. Au cours des trois dernières années, 4500 victimes sont passées par l’hôpital. On a totalisé ce chiffre dans cette seule zone de la province. Cette information statistique reflète l’échelle à laquelle s’est propagée cette épidémie de viols.
L’approche des élections aurait dû fournir un socle de stabilité, mais cela n’a pas été le cas. Les Congolais sont habilités à voter là où ils sont enregistrés, autrement dit près de chez eux. Si on les chasse de leur maison, ils ne sont plus inscrits sur les listes électorales. Ainsi, les milices et les seigneurs de la guerre qui ont une ambition politique influenceront le résultat électoral. C’est une autre innovation au Congo : un remaniement des districts électoraux par les armes.
A cela s’est ajouté un autre désastre. Goma est menacée par un volcan, le même qui est entré en éruption il y a 4 ans : le Nyriagongo. Il a chassé 120 000 personnes. La différence entre cette époque et aujourd’hui est que la population de la ville a plus que doublé. Elle compte désormais 560 000 habitants. Les nouveaux arrivants n’ont nulle part où vivre, si ce n’est sur le chemin créé par la lave. Le docteur Jacques Durieux, un vulcanologue résident, a prédit 8 points d’éruption tout le long de la fissure située entre le volcan et la ville. "Ce n’est pas une question de savoir si mais de savoir quand", a t-il déclaré.
Le séjour passé en RDC en tant qu’invité de l’Unicef a été la semaine la plus effroyable dans la vie de Martin Bell. Il est retourné dans son pays. Outré par des informations telles que le prix du pétrole et les salaires de Dj, il s’est posé la question suivante : "Est-ce que nous et le Congo vivons sur la même planète ?"
(1) plan de la RDC
(2) La mission de l’ONU en RDC a été créée fin 1999 suite aux Accords de Lusaka. Le territoire de la RDC à cette époque est en proie à une guerre civile débutée en 1998 avec d’une part le gouvernement de Kinshasa soutenu par quatre armées nationales (Angola, Tchad, Namibie et Zimbabwe), et d’autre part, plus de 20 groupes armés, dont les principaux sont le RCD soutenu par le Rwanda, et le MLC par l’Ouganda.
(3) Mouvement de libération du Congo