Révolution ou illusion, de l’Ukraine à la France

par Bernard Dugué
lundi 24 février 2014

Les événements violents et exacerbés en Ukraine révèlent une nation en crise, mais toutes les nations sont en crise actuellement. Des crises singulières, liées aux conditions économiques, politiques et culturelles. C’est cette complexité qui masque la compréhension des phénomènes humains en jeu dans ces événements. Les partisans idéologiques ne peuvent rien comprendre puisqu’ils réduisent les événements à leur cadre limité d’interprétation. Les uns s’émoustillent de tant d’élan démocratique, fustigeant les méchants dirigeants russophiles qui martyrisent leur peuple, les autres n’ont d’yeux que pour les affreux américanistes qui manipuleraient le peuple ukrainien. Finalement, dans ces analyses partisanes, chacun tire les événements à son avantage sans se soucier des peuples, quant aux médias qui se veulent neutres, ils parviennent à l’être car ils ne creusent pas vraiment les choses. Pour comprendre ce qui se passe, il faudrait être à l’intérieur de la société ukrainienne et connaître l’histoire de ce pays.

Pourtant, au vu des quelques propos venant de ce pays, on devine bien ce qui s’y déroule en traçant quelques similitudes avec notre situation. Monsieur Yanoukovtich ou Madame Timochenko, c’est pour les Ukrainiens un choix aussi pénible que pour nous autres Français, Nicolas Sarkozy ou François Hollande. La différence étant que la France est bien plus riche que l’Ukraine tout en ayant une histoire souveraine vieille de plusieurs siècles. Le point commun étant la crise de régime et d’identité, une crise bien plus intense dans une Ukraine dont l’unité nationale n’a jamais été cristallisée et dont le régime n’a jamais été stabilisé à l’époque contemporaine, sauf sous la domination de l’Empire soviétique. Le soviétisme était certes un totalitarisme mais il assurait un certain nombre de tâches étatiques si bien qu’une fois disparu, les anciennes nations ont pour la plupart embrayé avec la dictature, l’oligarchie, la captation sélective des richesses, si bien qu’en Ouzbékistan par exemple, l’argent du pétrole coule à flot dans les réseaux du pouvoir alors que les infrastructures sont délaissées et que les services publics se délitent, faisant regretter à certains l’époque soviétique. Ces choses ne relèvent pas forcément d’un régime politique. Il y a aussi le règne des valeurs, des vertus, l’idéal moral et le sens de la responsabilité. Les valeurs morales se sont effondrées, mais de manière contrastée, dans l’Empire soviétique, en France, en Europe, avec le règne de l’argent et de la marchandise. Mais les résistances sont aussi présentes, surtout dans certaines classes mais pas trop dans le monde bourgeois. A bon entendeur.

La crise politique en Ukraine est à la fois de régime et de civilisation. Ce pays se cherche une identité en étant divisé et surtout rendu à son destin depuis 1991. Pas facile comme situation. La France est face au même problème mais elle a des atouts solides pour résister encore quelques temps ou longtemps. Néanmoins, la crise d’identité se dessine ici, car l’Empire qui domine est celui de l’économie et de l’instrumentalisation de l’homme. Depuis la chute du mur, le monde du profit et de l’intéressement s’est étendu, gagnant les âmes, les peuples et les dirigeants. La France est assez riche pour assumer ce changement de société et son peuple assez docile pour accepter et négocier les compromission avec de système qui détruit les marges. Le Français est devenu un collabo du système et son président aussi mais les Français n’aiment pas leur président, ce qui signifie qu’ils sont restés lucides face au système mais aussi aveugles face à eux-mêmes. Les Ukrainiens ont des morts qui hantent leur conscience mais pas de remords. Les héros se sont sacrifiés. Ici en France, on joue la comédie des héros. François Hollande envoie quelques cendres dans l’espace mémoriel. Ce qui ne l’empêche pas de collaborer avec le monde des grands patrons qu’il déteste, tout comme Pétain signa des accords avec des Allemands qu’il détestait. Désolé pour ce Hollande bashing de mauvais goût mais c’est de bonne guerre.

Une guerre si insignifiante que j’ai honte face aux insurgés de Kiev qui ont risqué leur peau et même péri sous les balles. Péri pour quoi au fait, en finir avec un régime mais pour quel avenir. L’époque est à la division et aux haines. Avec deux composantes, l’une éclairée et l’autre populiste, l’une ouverte vers des possibles, l’autre fermée dans le repli. Ces deux composantes sont parfois associées dans des combats contre les régimes ; que ce soit en Egypte, en Tunisie ou en Ukraine. Démocrates ou islamistes, nationalistes. En réalité, tous les régimes sont en crise, certains plus que d’autres. Tout est question d’identité politique. Quand le régime est en déphasage complet avec l’identité politique citoyenne, il se produit des crises de régimes. Rien de plus à ajouter. La crise en Ukraine est consécutive à une recherche d’identité politique depuis la fin de l’Empire soviétiques. D’autres républiques socialistes ont opté pour le régime dictatorial et oligarchique. Peut-être que la démocratie, c’est les ressources captées par une majorité. Au final, il y a les errants, les déshérités, les exclus, les sacrifiés. Et parfois, les sacrifiés se rebellent, comme en Tunisie ou en Ukraine. Ou plutôt les indignés, car il est surtout question d’identité politique. Au Venezuela, le régime s’est fourvoyé, il n’a fait que distribuer la rente pétrolière, comme quoi, il faut aussi produire. Ce qui ne signifie pas foncer aveuglément dans une politique de l’offre comme nous le propose notre président avec son pacte de collaboration. L’identité politique française pourrait bien se réveiller. Ce qui serait étonnant car les Français dorment.

Les Français ont perdu progressivement leur identité politique. Comme la plupart des nations occidentales et surtout celle de l’ancien bloc de l’Est. Le processus a commencé dans les années 1980, puis s’est amplifié avec la fin du communisme et l’avènement des valeurs du marché et de l’entreprise. Une rupture s’est produite entre 1990 et 2000. Les historiens sauront analyser ce processus historique par lequel l’identité politique n’a pas du se constituer et s’est même délitée. On le voit en Italie, en Espagne, en Grèce. Il n’y a que l’Allemagne qui semble échapper à la crise de régime. Mais les Allemands finiront bien par comprendre que le productivisme n’est pas le seul horizon pour l’avenir. Les sociétés sont divisées. Ce qui n’est pas un drame, du moment que l’Etat fonctionne. En Centrafrique, plus d’Etat, en Ukraine, l’Etat, c’est la grande question du moment. La transition. Tout reste possible avec le danger ou les opportunités. Finalement, nous pouvons dire que nous avons tous quelque chose de l’Ukraine !

 


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