Révolutions arabes : l’Europe, la France à rebours

par vogelsong
mercredi 2 mars 2011

“Nous savons ce que pourraient être les conséquences de telles tragédies sur les flux migratoires devenus incontrôlables et sur le terrorisme. C’est toute l’Europe alors qui serait en première ligne” Allocution du chef d’état aux Français, 27 février 2011.

Alors que les nations arabes tentent de s’élever vers un idéal démocratique qui reste à inventer, les démocraties “mures”, elles, semblent décliner. Ce mouvement contradictoire prend tout son sens avec la parution du rapport de “the Economist”, annonçant la relégation de la France du club très fermé des “démocraties complètes”. Quitte à s’ingérer en Tunisie et en Algérie, la France aurait pu proposer son savoir faire en matière de médiation. Elle n’en a rien fait. Il est vrai qu’à l’époque on ne savait pas encore qui du million de manifestants ou du dirigeant acculé, était le véritable facteur d’insécurité et de violence. On croyait alors, sincèrement certainement, qu’il fallait protéger le peuple de lui même et le prémunir de ses débordements intempestifs. Un mouvement à rebours, signe évident d’un aveuglement, de pesanteurs historiques (et coloniales) mais surtout de peurs.

Le vent des révolutions n’a pas su inspirer le vieux continent. La liberté des peuples suscite une sympathie paradoxale parmi les Européens. Certes une emphase avec le souffle de l’histoire, du peuple qui emprunte le long chemin vers la démocratie. Une démocratie, il est bon de le rappeler, qui a mis plus de 100 ans à s’installer fermement en France. Mais aussi la malsaine retenue des hypothèses égoïstes. Parce que la liberté là-bas implique un changement ici. Inconsciemment, automatiquement, les Européens se questionnent sur ce qu’ils ont à perdre d’une explosion des pouvoirs dictatoriaux au sud de la méditerranée. De ces potentats sous supervision qui tempèrent les flux nord-sud. Depuis la chute de Z. Ben Ali et de H. Moubarak, les dirigeants français ont été contraints de modifier le tir, tant il devenait évident que, s’il fallait protéger le peuple, ce n’était pas de lui-même. Le mouvement n’étant pas porteur de violence, il a fallu se crisper sur des conséquences qui sont autant de scénarios catastrophes : l’immigration massive à nos portes, l’instabilité de la région ou encore la flambée du prix du pétrole. Bref, la révolution Arabe : pas une bonne nouvelle. Un sondage du Parisien indique que pour 69% des personnes interrogées ces révolutions sont un sujet d’inquiétude, alors que 49 % éprouvent de la “joie”.

Étrange réaction des états européens s’inquiétant après la révolution tunisienne d’un afflux de migrants sur les côtes siciliennes. Étrange psychologie de matons incapables d’interpréter les signaux contradictoires d’une libération. Enfin, étrange et paradoxal sentiment que d’affirmer sa supériorité dans les domaines sociaux, économiques et des droits de l’Homme et de redouter l’attrait que l’on suscite. On se veut à la fois un modèle et une forteresse. A la fois un monde libre et une prison fermée de l’intérieur.

Le continent européen se considère comme une vitrine des libertés et du progrès, rutilante, sur une planète en ruines, sans que cet attrait puisse susciter un espoir, un mouvement. C’est une logique de gardiens, que l’on n’ose pas s’avouer. Des gardiens de la culture, d’une pureté européenne impartageable que l’on perçoit. D’un repli sur soi, établi sur des bases culturelles, pour ne pas (encore) dire ethniques. Les mouvements nationalistes puissants qui émergent en Hongrie, France, Italie, Autriche et partout ailleurs sur le continent se proclament garants d’une prospérité économique et culturelle. Conserver un havre, un entre soi. Un état d’esprit qui rentre alors en collision avec les révolutions Arabes. Pourtant les choses changent. S’inversent. La démocratie recule en France. Toujours selon “The Economist”, le phare de la démocratie faiblit sur 3 points : la participation citoyenne, les institutions et les libertés individuelles. Un recul sourd et constant exercé au nom de la sécurité, sans être pour autant mieux ou moins bien protégé. Inversement elle avance au Maghreb et au Moyen Orient. Elle y a fait ses premiers pas, sans violence, ni débordement, avec un courage et une détermination pacifique qui forcent l’admiration. De cette prouesse extraordinaire, vous entendrez peu parler. Ça n’arrange personne, pas plus les idéologues sécuritaires, que les intérêts géostratégiques de l’occident.

Les signaux révolutionnaires sont contradictoires : à peine libérés, des Tunisiens par milliers débarquent sur les plages de Lampedusa. Les gouvernements sont en émoi. Les citoyens aussi et de façon ambivalente. Ils exultaient devant leur poste avec les révolutionnaires quelques semaines auparavant, et se sentent là, envahis. Pourquoi les Tunisiens, la liberté conquise, la cherchent encore ailleurs, en Europe ? N’était-il donc pas préférable de conserver les cadenas des régimes autocratiques ? Des régimes avec lesquels les pays du Nord signent des accords sur l’immigration. La Tunisie en 2008, la Libye en 2005. Un marché de la peur conclut avec la livraison de matériel de surveillance. Les zones périphériques de l’Europe, comme le Maghreb dressent un glacis à l’immigration subsaharienne.

Le changement brutal fait peur aux occidentaux calfeutrés dans de nonchalantes Républiques déclinantes. Amnésiques du prix du sang pour arracher les droits. Les européens, du simple quidam au diplomate le plus aguerri se posent la même question, qu’avons-nous à perdre de la liberté des autres ? Une question de civilisation manifestement posée là par des Européens dotés d’une double personnalité. Docteurs Jeckyll qui psalmodient des odes à la gloire des droits de l’Homme avec la mémoire d’un abominable XXe siècle, Mr. Hyde qui vivent dans le tourment des régressions identitaires et sécuritaires de leurs temps.

Zeyesnidzeno & Vogelsong


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