Rio de Janeiro, “Rio de sang” à la veille du réveillon 2007

par Abracarioca
mardi 2 janvier 2007

Jeudi 28 décembre, Rio de Janeiro a subi une vague d’attaques criminelles en divers points de la ville, faisant une vingtaine de morts. Quelles sont les causes de cette nouvelle onde de violence ?

A quoi attribuer la vague de violences qui a fait au moins dix-huit morts et de nombreux blessés hier, 28 décembre, dont des policiers et criminels, mais aussi plusieurs passagers d’un autocar incendié, morts carbonisés ? Difficile à dire, tant les avis sont partagés, dans la presse brésilienne ce matin.

Bien sûr, certaines hypothèses feraient presque sourire : ainsi le secrétaire à la Sécurité de l’Etat de Rio, qui certifie que les trafiquants protestent contre la trop grande efficacité de la police - cette vague serait donc la preuve de sa compétence... Mais plus sérieusement, il avance également l’hypothèse d’une mise en garde du crime au nouveau gouvernement contre tout durcissement de la politique carcérale.

Autre piste à ne pas négliger, bien que réfutée par ce même secrétaire : pour le responsable de l’administration pénitentiaire, il s’agit sans aucun doute d’une réaction du crime organisé à la prise de pouvoir de milices dans de nombreuses favelas, menaçant leurs revenus. Ces milices, composées de policiers, pompiers, agents de sécurité à la retraite ou en activité, domineraient désormais 92 favelas de Rio, et seraient en pleine expansion, prenant le contrôle d’une nouvelle favela tous les douze jours. Leur méthode : gagner le soutien des habitants en expulsant les trafiquants de drogue par la force, mais exercer ensuite un contrôle mafieux sur ces communautés : racket de la population (taxe de sécurité, taxe sur les compteurs de gaz, la télévision câblée) et activités criminelles (machines à sous, transports illégaux - les fameux vans). Si le degré avancé de corruption de la police était déjà connu, il s’agit tout de même d’une évolution, préoccupante, vers la création d’un véritable pouvoir parallèle.

Une autre remarque, assez peu développée dans les journaux : cette vague a commencé juste après les autorisations de sortie accordées à de nombreux prisonniers pour Noël, de même que les attaques du Premier commando de la capitale (PCC) à Sao Paulo avaient eu lieu le jour de la Fête des mères en 2006, occasion de nombreuses permissions. Il semble que ces libérations aient permis aux différents chefs locaux du trafic d’organiser une rencontre au sommet et de coordonner ces attaques.

Il s’agit là d’un fait nouveau et inquiétant : le début d’une coordination entre factions criminelles de Rio, jusqu’à présent engagées dans de violentes guerres fratricides, mais qui ont agi de conserve hier, menant des attaques en de nombreux points de la ville.

Autre point peu rassurant : certains appels au meurtre lus dans le courrier des lecteurs, relents de la dictature militaire et des escadrons de la mort (dont l’activité n’a jamais réellement cessé). Ces lettres appellent la police de Rio à suivre l’exemple de la police de Sao Paulo qui, au lendemain des attaques du PCC, est entrée dans les favelas et a tué de nombreux malfaiteurs armés. Or, c’est avoir la mémoire courte : les rapports d’autopsie avaient montré qu’il s’agissait dans plusieurs cas d’assassinats purs et simples, en dehors de toute légitime défense, ayant souvent frappé des jeunes Brésiliens dont le seul tort était de vivre dans une favela.

Rien de très étonnant, lorsqu’on sait que le symbole du Bope (bataillon des opérations spéciales, réputé pour son incorruptibilité mais aussi pour sa grande violence) est une tête de mort, et que leur hymne appelle à entrer dans les favelas et laisser des cadavres à terre (Homem de preto, qual é tua missão ? entrar lá na favela e deixar corpo no chão). Ce qui n’est pas pour déranger la majorité des classes moyennes supérieures, tendant à considérer tous les habitants des favelas comme des criminels, oubliant qu’elles les côtoient tous les jours : la majorité des portiers, cuisinières, femmes de ménage, nounous, livreurs ou serveurs des quartiers chics de Rio vivent dans des favelas.

Les habitants des favelas sont d’ailleurs les premières victimes de cette vague de violences, car même si celle-ci se calme, elle sera - et a déjà commencé à l’être - suivie d’une riposte armée de la police dans les favelas. Hier, les journaux télévisés montraient l’entrée de la police dans la favela du Complexo do Alemao, à la recherche de suspects, et les habitants qui couraient pour se protéger des échanges de tirs avec les trafiquants, nourris pendant plusieurs heures.

Autre catégorie de population préoccupée par ces événements, les touristes, pourtant attendus en nombre en cette fin d’année : tous les ans, plusieurs millions de personnes célèbrent le réveillon 2007 sur les plages de Rio. Un dispositif policier renforcé est annoncé, mais est-ce bien rassurant, lorsqu’on sait que c’est la police elle-même qui est la cible des attaques ? Nul doute, en tout cas, que cette nouvelle vague de violences, même si elle n’est pas immédiatement suivie d’annulations en masse des réservations, nuira durablement à l’image de Rio, qui se prépare pourtant à accueillir les Jeux panaméricains en juin 2007, et considère déjà acquise l’organisation par le Brésil de la Coupe du monde de football de 2014.


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