Sarkozy, auguste empereur de la zone méditerranéenne de l’Empire occidental
par Bernard Dugué
jeudi 25 août 2011
Selon la version officielle, Nicolas Sarkozy a libéré Tripoli de l’infâme régime du colonel Kadhafi qui depuis quarante ans, nargue les visées occidentales et se veut prince du panarabisme et du panafricanisme missionné par on ne sait quel décret universel pour façonner un empire du sud voué à s’émanciper de la tutelle occidentale. Bref, un rêve de mégalopathe qui aurait dû se terminer comme une farce de l’Histoire mais que les événements du printemps arabe ont poussé vers les bords de la tragédie et surtout, vers une guerre ayant offert au président Sarkozy l’occasion d’user de la puissance militaire française. Il est de notoriété publique que notre président s’est comporté en chef de guerre et que son conseiller philosophe, le Sénèque de supermarché BHL, apprécie la guerre et d’ailleurs, dans le titre de son dernier livre, le mot philosophie est de trop. Son opus aurait pu s’intituler plus sobrement « de la guerre ». Mais BHL n’ayant rien de commun avec Clausewitz, la moquerie n’en eut été que plus cinglante. L’avenir dira si les Libyens rebelles ont mérité l’aide de l’Otan en installant un régime démocratique. Dans l’affirmative, Sarkozy pourra se prévaloir d’une médaille historique. Mais la Libye ne pourra par servir d’alibi pour résoudre les crises sociales et politiques à venir. Où sommes-nous dans l’Histoire ? Telle est l’interrogation fondamentale bien plus utile au présent que les paris sur le jeu des primaires au PS.
Nombre d’observateurs sont pessimistes ou bien jouent les Cassandre en prédisant quelques catastrophes économiques du genre crise de 29, longue dépression, mort de l’euro, voire même crise universelle de la matière et effondrement du système comme le suggère Philippe Grasset sur le site defensa riche en analyses mais dont on peut se détacher en traçant une perspective opposée. Auquel cas, la crise économique ne serait qu’une parenthèse d’ordre technique, doublée d’un prétexte médiatique servant à contrôler l’opinion et à calmer la plèbe. Quant à la crise réelle, elle pourrait être sociale mais pas nécessairement politique. Au cas où cela vous aurait échappé, les Sarkozy, Fillon, Royal et Hollande sont sur une ligne idéologique assez consensuelle. Restent alors les dissensions européennes, les comédies nationales jouées sur des questions de sous, de dette, de croissance. Mais malgré cette cacophonie européenne, il se peut bien que la zone euro et l’Europe soient en phase de constitution impériale, autrement dit un processus qui n’est pas sans rappeler la bataille d’Actium, la victoire d’Octave sur Antoine et l’avènement de l’empire romain quelques décennies avant notre ère. En quelque sorte, la victoire de Sarkozy sur Kadhafi pourrait servir d’événement marquant la stabilisation de l’empire européen avec à la clé une union pour la Méditerranée qui devrait nous rappeler que Rome était présente d’Alexandrie au détroit de Gibraltar. Sarkozy ne s’est-il pas positionné comme empereur avec le traité de Lisbonne et s’il n’a pas vocation à être protecteur de la plèbe, il se place en protecteur du pouvoir d’achat, de l’épargne et des banques. Bref, ce qui fait l’essentiel des préoccupations de la plèbe consumériste de l’empire hyperindustriel constituée depuis 1990.
Que la France ait joué un rôle central dans la constitution de l’empire n’a rien de surprenant puisque, d’après les études savantes de l’historien Curtius publiées dans les années 30, la France est parmi les nations, celle qui a le mieux assumé l’héritage des institutions impériales romaines. Sarkozy n’est pas le premier à incarner la figure impériale. On peut même se demander si le « désir d’empire » n’est pas l’un des ressorts essentiels et universel de la nature politique humaine telle qu’elle se constitue dans la caste dirigeante. Les princes veulent régner sur les territoires. Les prêtres sont les rois de la conscience. La plèbe veut régner sur les choses matérielles. Les empires se succèdent, souvent ils déclinent, s’effondrant en quelques siècles ou parfois deux ou trois décennies. Depuis 1990, la globalisation, alliée au nouvel esprit du capitalisme, a été le terrain où se développe un empire hyperindustriel qui en 2011, s’avère entaché de tensions sociales mais paraît de plus en plus contrôlé, verrouillé par les systèmes de surveillance, stabilisé par les dispositifs policiers de plus en plus efficaces.
N’accordons pas une attention chronologique spéciale à la bataille de Tripoli comparée à Actium. L’empire est en place. Pour l’instant, l’Histoire semble suspendue. L’empire peut évoluer dans deux voies, le déclin, comme Rome, ou bien un élan spirituel lui permettant d’inventer des formes inédites, savantes, esthétiques, politiques, religieuses. L’option la plus probable en l’état actuel des choses étant le lent déclin, le marasme, le contrôle sécuritaire, les activités pour plèbe nourrie industriellement, soignée et abreuvée de divertissements, le tout au service d’une caste supérieure logée dans les meilleures demeures.