Selon Dick Cheney, les Iraniens vont accueillir les envahisseurs américains à bras ouverts
par Pierre R. Chantelois
lundi 20 août 2007
Pour l’instant, c’est encore une guerre de mots. Avant la guerre des armes, peut-être ? Samedi, Mahmoud Ahmadinejad a, une fois de plus, montré sa détermination à discréditer Israël : « ce pays représente l’étendard de Satan et il est sans doute en voie de désintégration ». « Quand la philosophie à la base de la création d’un régime est remise en cause, il n’est pas improbable qu’il se retrouve sur la voie du déclin et de la dissolution », a soutenu le président iranien. N’avait-il pas affirmé, il y a peu, que les Libanais et les Palestiniens avaient pressé le « bouton du compte à rebours » pour mettre un terme à l’existence de l’État d’Israël ? Pour l’instant, l’État hébreux fait la sourde oreille aux attaques verbales d’Ahmadinejad. Ils s’en trouvent pourtant qui craignent de plus en plus de voir Israël se lancer une attaque éclair pour détruire les sites atomiques de l’Iran, forte de la conviction des États-Unis que l’Iran fabrique secrètement des armes nucléaires.
Les États-Unis sont insatisfaits de la tournure des événements aux Nations unies, où leur volonté d’imposer de nouvelles sanctions à l’Iran se heurte à celle des autres membres du Conseil de sécurité. Washington impose déjà des sanctions commerciales unilatérales à l’Iran. De l’avis de certains diplomates à New York, trois membres permanents occidentaux du Conseil de sécurité (États-Unis, France, Grande-Bretagne) y sont favorables, mais la Chine et la Russie devraient, comme à l’accoutumée, se montrer plus réticentes : le Premier ministre britannique Gordon Brown a jugé de son côté « probable » une nouvelle résolution de l’ONU sanctionnant l’Iran. Moscou et Pékin craignent qu’une troisième résolution n’affecte directement leurs intérêts économiques en Iran.
Le gouvernement américain annonce un budget substantiel de 30 milliards de dollars pour armer cinq pays arabes du Proche-Orient, l’Égypte, l’Arabie Saoudite, le Koweït, le Bahreïn et la Jordanie, et une augmentation substantielle de l’aide financière et militaire accordée à Israël, tout cela dans le but de contrer l’Iran. Le sous-secrétaire d’État américain, Nicolas Burns, vient de le réaffirmer : « Lorsqu’un ami des États-Unis se trouve dans une région aussi dangereuse que celle-ci, nous apportons notre soutien. C’est un investissement à long terme et l’Amérique a un intérêt majeur à la sécurité d’Israël ». Cette assistance militaire et financière a pour but également de permettre à Israël de continuer à développer une économie de croissance malgré les menaces qui se développent dans la région. Pour la Frankfurter Rundschau : « favoriser une course à l’armement au Proche-Orient revient à jeter de l’huile sur le feu. Il y a encore un espoir que cette stratégie reste à l’état de projet à Washington : le Congrès doit, en effet, encore donner son aval au projet présidentiel ». Et selon le journal, il serait souhaitable qu’il ne le donne pas.
Moscou est de plus en plus irrité par l’attitude des États-Unis au Proche-Orient, craignant une mainmise régionale au détriment de ses intérêts. Comme l’explique le quotidien, Nezavissimaïa Gazeta, Moscou amorce la livraison, à la Syrie, de 50 systèmes Pantsyr pour près de 900 millions de dollars (SA-22, dans la terminologie de l’Otan). Un haut responsable de l’industrie militaire russe dément ces informations tout en estimant, toutefois, qu’il n’y aurait, en principe, « aucun obstacle » à une livraison de ces systèmes directement à l’Iran, si ce pays le souhaitait. Vladimir Poutine a pris la décision de reprendre les vols permanents de l’aviation stratégique russe suspendus en 1992. Il rappelle, qu’en 1992, la Russie avait suspendu ses vols stratégiques unilatéralement. « Hélas, tout le monde n’a pas suivi notre exemple », constate M. Poutine, ajoutant que cela créait des problèmes pour la sécurité russe.
À ce propos, l’historien Michael Stürmer, ex-conseiller du chancelier allemand Helmut Kohl, constate que les Occidentaux ont fait pas mal d’erreurs vis-à-vis de Moscou en ne saisissant pas que la Russie voulait se tailler une place digne d’elle dans le monde. En absorbant la Géorgie et l’Ukraine, l’OTAN agit, selon l’historien, sur la Russie comme un morceau d’étoffe rouge sur un taureau. Il voit là une grande erreur ne se disant pas du tout convaincu de la nécessité de déployer le bouclier anti-missile américain en Europe de l’Est.
Du côté de la Syrie, le ministre des Affaires étrangères, Walid al-Mouallem, vient de déclarer, lors d’une entrevue à la chaîne de télévision libanaise NBN, qu’un « été chaud jouerait en notre faveur et correspondrait aux intérêts des peuples de la région ». Et il a ajouté tout simplement que : « la Syrie n’attendra pas encore quarante ans pour récupérer le Golan ». Pour sa part, la ministre des Expatriés, Bouthaina Shaaban, a déclaré à la BBC : « Nous espérons qu’aucune guerre n’éclatera et souhaitons vivre en paix sur notre terre ». Le vice-président syrien, Farouk al-Chareh, a voulu se faire rassurant : « La Syrie ne veut pas la guerre, Israël le sait bien. Mais la Syrie se prépare car Israël cherche n’importe quel prétexte pour lancer une guerre ».
Le Sunday Telegraph avance que le Hezbollah serait sur un nouveau pied de guerre : « La milice chiite aurait acheté de vastes terrains à des druzes et chrétiens au nord du Litani, de façon à peupler ces régions de militants chiites pro-Hezbollah et de construire des postes de défense en vue d’une nouvelle conflagration armée avec Israël. Le secrétaire général du Hezbollah a affirmé, dans son dernier discours télévisé le 14 août, qu’une grande surprise attendait Israël s’il s’aventurait dans une nouvelle agression contre le Liban ». Selon L’Orient Le Jour, dans les coulisses politiques et diplomatiques, chacun se demande en quoi consiste cette fameuse surprise. D’autant que Nasrallah a affirmé qu’elle serait de nature à modifier le cours de la guerre et peut-être la physionomie de la région. D’aucuns prétendent que l’Iran, à partir de son programme nucléaire militaire, en aurait donné des « miettes » au Hezbollah, qui, lui, serait plus susceptible de les utiliser puisqu’il est en confrontation directe avec Israël. Dès le mois de septembre, et à mesure que le président américain devra affronter des problèmes internes, avec l’approche de l’échéance présidentielle américaine, le Hezbollah pourrait être tenté de se lancer dans une sorte de fuite en avant qui consisterait à lancer des frappes aériennes contre l’Iran.
Créés en 1979, par le fondateur de la République islamique, l’imam Khomeiny, la mission première des Gardiens de la révolution est la défense de la révolution. Washington s’attaquerait ainsi à une institution clé du régime islamique iranien en décidant de « désigner spécialement de terroriste mondial » le corps des Gardiens de la révolution iranien (CGRI). Les Gardiens de la révolution, constamment honorés par les caciques du régime, conservent la réputation de grande ferveur religieuse mise au service de la défense de la Révolution, comme le stipule la constitution, contre les « ennemis » de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Le CGRI devrait donc rejoindre prochainement Al-Qaïda, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et au total une quarantaine d’autres organisations étrangères sur cette liste. Son inscription pourrait intervenir dès le mois d’août, croient des officiels américains cités par le New York Times. Elle pourrait être reportée si le Conseil de sécurité de l’ONU adoptait de nouvelles mesures contre Téhéran, pour le contraindre à suspendre son programme nucléaire. Façon de riposter, dans le langage diplomatique, aux puissances qui s’opposent à la volonté de Washington aux Nations unies.
Plusieurs centres d’études internationales évaluent le nombre du CGRI à environ 120 000 hommes mais l’Institut international des études stratégiques de Londres évalue plutôt leur nombre à 350 000. Dans les faits, ses effectifs restent un secret d’État. Connus également sous le nom de Pasdaran, les Gardiens de la révolution sont responsables des forces spéciales al-Quds, soupçonnées d’appuyer des groupes extrémistes chiites en Irak, des miliciens islamistes du Hezbollah libanais, du Hamas et du Djihad islamique. Leur désignation en tant qu’organisation terroriste permettrait aux États-Unis de s’attaquer au réseau d’entreprises qui leur est affilié. Cela donne également aux autorités les moyens légaux de saisir et de confisquer « les biens qui sont utilisés - ou destinés à être utilisés - pour le financement du terrorisme, des actes terroristes ou des organisations terroristes, ou qui en constituent le produit ». Le gouvernement américain est déjà engagé dans une grande campagne internationale pour couper l’accès de l’Iran aux systèmes financiers.
« On ne peut nier l’importance du pouvoir des Pasdaran, les Gardiens de la révolution, qui s’étend de l’industrie de l’armement jusqu’à des pans entiers de l’économie du pays », fait remarquer le politologue égyptien Mustafa Labbad, spécialiste de l’Iran, dans une entrevue accordée à Delphine Minoui, du journal suisse Le Temps. « Mais si les Américains pensent en finir, de la sorte, avec le programme nucléaire iranien, c’est une erreur stratégique car ce n’est pas ça qui freinera Téhéran dans ses ambitions », fait observer Mustafa Labbad.
D’après une étude du Groupe de crise international basé à Bruxelles, cité par la Commission des affaires étrangères du Conseil national de la résistance iranienne, la branche technique du CGR, connue sous le nom de Ghorb Khatam, a arraché des contrats de premier plan au gouvernement Ahmadinejad, y compris un contrat de 1,2 milliard de dollars pour construire une partie du passage souterrain de Téhéran, un contrat d’oléoduc de 1,3 milliard de dollars et une commission sans offre de 2,09 milliards de dollars pour développer certaines parties du vaste champ de gaz naturel de Pars Sud. Le général Abdolreza Abed, le patron de Ghorb, qui est aussi le commandant adjoint du CGR, a déclaré dans une rare interview de juin 2006 dans un journal iranien officiel que la valeur totale des 1 200 projets de la compagnie avant de nouveaux contrats importants se montait à environ 3,5 milliards de dollars.
Mahan Abedin, chercheur au Centre d’étude sur le terrorisme, basé à Londres, dont les propos sont rapportés par Le Temps, « explique que la structure des Pasdaran fonctionne de façon suffisamment opaque pour pouvoir continuer, d’une façon ou d’une autre, ses activités ». Mahan Abedin, constate de plus que : « D’importants cadres du pouvoir sont d’anciens Pasdaran : Mahmoud Ahmadinejad, le président ultra-conservateur, Ali Larijani, le principal négociateur sur le dossier nucléaire, ainsi que de nombreux ministres et députés ». Pour lui, la décision américaine s’avère « immature », au moment même où l’ambassadeur américain vient d’entamer des discussions, à Bagdad, avec son homologue iranien sur la question de la sécurité en Irak : « Hassan Kazemi-Qomi, l’ambassadeur d’Iran à Bagdad, est un ancien des Pasdaran, tout comme une grande partie de son staff. Mettre les Gardiens de la révolution sur la liste des organisations terroristes, c’est se priver de la possibilité de prolonger les pourparlers avec Téhéran ».
Le décret permettrait aux États-Unis de bloquer les actifs des terroristes et d’interrompre des opérations commerciales étrangères qui « fournissent soutien, services ou aide à des terroristes, ou s’associent à eux d’une manière ou d’une autre ». Nulle entreprise américaine ne sera autorisée à traiter avec les pasdarans : « Les étrangers qui fournissent un soutien à une organisation figurant sur la liste du département d’État ou qui ont des relations avec elle, peuvent être empêchés d’entrer aux États-Unis ou, s’ils sont déjà sur le territoire des États-Unis, être expulsés dans certaines circonstances ».
La riposte iranienne est venue de l’ancien président Mohammad Khatami : « Les Américains devraient savoir que dans ce domaine, comme dans celui de l’énergie nucléaire, ils affrontent une nation unie. Et la grande nation iranienne n’abandonnera jamais ses défenseurs de la révolution. S’ils agissent de manière insensée dans ce domaine, les Américains mettront le pied dans un bourbier dont ils ne se dépêtreront jamais », a déclaré Mohammad Khatami, membre de l’Assemblée des experts chargée de nommer le guide suprême, lors des prières hebdomadaires à l’université de Téhéran. L’Iran a menacé de frapper les intérêts régionaux américains si son programme nucléaire était attaqué et le commandant en chef Yahya Rahim Safavi a noté que des missiles iraniens pourraient frapper des vaisseaux de guerre qui navigueraient n’importe où dans la mer d’Oman et le Golfe.
Dans la foulée de la décision américaine, la France pourrait s’aligner sur Washington : « Nous réfléchissons à des mesures supplémentaires, dans le cadre d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, contre les membres et soutiens du régime iranien refusant de se conformer aux demandes de la communauté internationale. Un certain nombre de ces mesures et de dispositions visent dans la résolution 1 747 du Conseil de sécurité des Nations unies les Gardiens de la révolution », a dit à France Presse un porte-parole du ministère, Hugues Moret.
Gwynne Dyer, journaliste canadien basé à Londres, considère,
dans une analyse publiée par Cyberpresse,
que cette démarche est extrêmement provocatrice dans la mesure où le CGRI n’est
pas une bande de fanatiques indépendants. C’est une branche officielle de
l’État iranien, composée de 125 000 hommes, qui opère parallèlement à l’armée
régulière. Selon Gwynne Dyer : « Dick Cheney et son groupe pensent que le
régime religieux en Iran s’effondrerait à la première pression intense -
puisque le peuple iranien éprouve le désir d’une démocratie sur le modèle américain
- et que l’attaque doit être menée pendant que le président Bush est encore en
fonction (car aucun de ses successeurs n’aurait le cran de diriger une telle
opération) ». Le secrétaire à la Défense, Robert Gates, estime
qu’attaquer l’Iran ne serait pas raisonnable tandis que ceux qui entourent le
vice-président Dick Cheney pensent que c’est indispensable.
Gwynne Dyer émet de sérieuses réserves sur cette théorie : « trop engagés en Irak et en Afghanistan, les États-Unis ne peuvent pas dégager d’importants effectifs supplémentaires pour envahir et occuper un pays montagneux de 75 millions d’habitants. Les États-Unis peuvent bombarder l’Iran à l’envi et frapper toutes les installations nucléaires, réelles et présumées. Mais après cela, il ne leur restera plus d’options ». L’Iran pourrait dès lors cesser d’exporter son pétrole : « En retirant du marché les trois millions et demi de barils de brut journaliers, en l’état actuel des choses, les prix du brut seraient propulsés jusque dans la stratosphère. L’Iran pourrait aussi se montrer sévère et fermer l’ensemble du trafic des pétroliers dans un rayon correspondant à la zone de portée de ses missiles ».
Mohsen Sazegara, 52 ans, a occupé de hautes fonctions dans le gouvernement iranien jusqu’en 1989 avant de prendre ses distances avec le régime. Cofondateur de l’armée idéologique, les Gardiens de la révolution, avocat d’un référendum sur la Constitution, il fut emprisonné quatre fois, et observa 79 jours de grève de la faim en 2003. Il est sous le coup d’une condamnation à six ans de prison en Iran pour atteinte à la sécurité nationale et propagande contre le régime. Figure de la dissidence iranienne, il est maintenant chercheur à l’université américaine de Harvard. Il vit aux États-Unis depuis 2005.
Dans une entrevue à l’Agence France Presse, Mohsen Sazegara met en garde les États-Unis : « Le vice-président (Dick Cheney) et certains commandants américains en Irak représentent une fraction qui estime qu’il faut châtier l’Iran. Sanctionner les Gardiens de la révolution n’est peut-être que l’une des conséquences dont le président américain a parlé la semaine dernière. Mais je crois que la pression du Congrès et des lobbies juifs (pour un durcissement américain) est efficace ». [...] « Le régime a montré par son comportement que tout ce qu’il veut, c’est gagner du temps. Par exemple, (ils pensent que) si les démocrates prennent le pouvoir aux États-Unis, ce sera autant de temps de gagné pour leurs activités nucléaires. Tout devrait passer par la négociation. Mais, dans toute négociation, vous devez montrer votre force. Il faut brandir la carotte et le bâton. Sinon l’Iran ne cherche qu’à gagner du temps ».
L’expérience irakienne n’a pas servi, selon Gwynne Dyer, de leçon à Dick Cheney : « À Washington, de nombreux (peut-être la majorité) généraux et amiraux de haut rang en sont conscients. En privé, ils ne sont pas partisans d’une attaque contre l’Iran qu’ils savent vouée à l’échec. Mais, en fin de compte, ils respecteront les ordres. Le vice-président Dick Cheney et sa clique n’en sont pas conscients. Ils préfèrent croire que les Iraniens accueilleront les envahisseurs américains à bras ouverts et avec des cris de joie. Vous savez, comme l’ont fait les Irakiens. Le pire, c’est que Dick Cheney semble remporter cette bataille à la Maison-Blanche ».
Selon Iran Resist : « Les mollahs disent envisager l’arme du pétrole quand les Américains évoquent l’option militaire ». L’arme du pétrole serait de caractère « dissuasif ». L’arme du pétrole des mollahs ne ressemble pas à l’option militaire de Bush : il ne s’agit pas d’une fausse menace.
En conclusion, comme l’indique le Groupe de crise international de Bruxelles : « Washington aurait tort de conclure que la solution réside dans une pression accrue comme elle l’envisage à présent (par une position plus agressive en Irak et un renforcement de sa présence navale dans le Golfe) et, à plus forte raison, dans une intervention militaire plus directe. Il serait facile pour les détracteurs d’Ahmadinejad au sein du régime d’invoquer l’isolement de l’Iran pour durcir leurs attaques contre un ennemi politique mais ils n’hésiteront pas à fermer les rangs derrière lui s’ils estiment que la République islamique ou ses intérêts vitaux sont en jeu. En se montrant disposés à entamer un dialogue avec l’Iran sans poser de conditions dans le domaine nucléaire, sur l’Irak ou sur les relations bilatérales, les États-Unis feraient preuve de sagesse et rendraient un grand service aussi bien à eux-mêmes qu’à la région dans son ensemble ».