Sénégal : le triste sort des victimes de mines

par FAMA
jeudi 21 février 2008

Le Sénégal, dit-on, est le pays de la « Téranga ». Cette « hospitalité-altruisme » est multidimensionnelle et légendaire. Tout le monde en bénéficie y compris les étrangers. Mais il semble que ce ne soit pas le cas des victimes de mines. Leur sort, qu’ils n’ont nullement choisi, est d’autant plus curieux, que le siège de leur Association nationale partage la même aire communale que le Centre national d’action antimines du Sénégal (CNAMS) censé les prendre en charge sur toute la ligne.

Prise au sens large, l’expression « victimes de mines » concerne l’ensemble des populations de la région méridionale du Sénégal. C’est la Casamance naturelle, où les relations interindividuelles sont si imbriquées que tout le monde est apparenté à tout le monde. Le sud du Sénégal ayant en effet ployé sous un quart de siècle de conflit avec son cortège de malheurs causés entre autres par les mines, est la seule qui ait directement connu cette page sombre de l’histoire de ce pays de l’Afrique occidentale. Oui, certes ! Mais « les victimes directes », telles qu’on les nomme à Ziguinchor, principale ville de la Casamance, sont évaluées à moins d’un millier. Elles sont estimées à un peu plus de sept cent trente (730) dont près de cent soixante-dix (170) sont déjà décédés. Le reste, estimé à plus de cinq cent cinquante, traîne encore les vicissitudes aussi bien psychologiques, physiques que matérielles dues à leurs conditions de « victimes-handicapés » pour la plupart d’entre eux, à vie.

Maintenant qu’ils sont condamnés à vivre différemment, donc autrement que leurs compatriotes sénégalais, il se pose la question à savoir : à qui incombe leur prise en charge ? Cette question, aussi facile que lapidaire, n’en demeure pas moins pertinente. Le Sénégal est un pays qui a ratifié « la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction ». Ceci n’est que l’intitulé dudit document, autrement nommé « La Convention d’Ottawa ».

La problématique de la prise en charge

La question de la prise en charge des victimes de mines trouve sa réponse à trois niveaux distincts. Il s’agit d’abord de ce qu’on pourrait désigner sous l’expression d’« auto prise en charge ». Laquelle reste tout à fait vitale. Car, à défaut, toutes les victimes disparaîtraient pour n’avoir pas cherché de survivre à leurs « nouvelles » conditions. L’autre niveau est celui-là familial et sociétal. Cette prise en charge est d’autant naturelle que la cellule familiale et, au-delà, la société sénégalaise n’est pas du tout individualiste. A ce niveau, elle existe pleinement et entièrement à la mesure du niveau de vie des familles respectives directement touchées par les méfaits des engins de la mort. Reste maintenant, la prise en charge des victimes de mines par les autorités compétentes. Là, c’est tout un débat, pour ne pas dire, une polémique grandeur nature que les uns et les autres entretiennent en fonction de leurs intérêts assez divergents.

Car, s’il est constant que les victimes de mines, qui ont trouvé nécessaire de s’organiser au sein de l’Association sénégalaise des victimes de mines (ASVM) pour mieux prendre en charge leurs revendications existentielles, s’accordent avec l’autorité sur le fait que c’est cette dernière qui doit s’occuper d’elles, la définition de l’expression « une prise en charge » reste le point d’achoppement.

L’indignation des « nécessiteux »

C’est justement à ce niveau que Sarani Diatta, le président de l’ASVM avance qu’ils n’ont « pas senti la main de l’Etat ». M. Diatta peiné par les dures conditions de vie que traversent ses consoeurs et ses compères, lesquelles conditions sont exacerbées par la modicité des moyens de subsistance de ces derniers, sera catégorique là-dessus : « Nous ne sentons absolument pas la main de l’Etat ». Une main, que les victimes de mines attendaient dans tous les domaines : par exemple ceux de la formation, de la création de microprojets, des groupements d’intérêt économique, mais aussi au niveau de la gratuité des prothèses. Le seul effort des autorités compétentes, aux yeux de la personne morale de l’ASVM, reste la cooptation de trois membres de leur association, pour les employer comme « un gardien et deux femmes de ménage » en service au CNAMS. « C’est tout ! », dit-il avec indignation. Est-ce suffisant pour faire taire des hommes et des femmes qui souffrent dans leur chair et dans leurs âmes. Du tout ! Car, pour Sarani, « ce n’est pas ce que nous attendions de l’Etat, nous attendions beaucoup plus que cela ». Par exemple la subvention des prothèses qui coûtent chères. Selon lui, les prothèses coûtent entre 40 et 90 000 francs CFA (140 euros). Et puis, « nos membres nous reviennent toujours avec des factures. Au moment où je vous parle, les victimes de mines paient leurs prothèses », déplore-t-il.

L’appréciation de l’Etat à travers le CNAMS

Les années passées, les victimes de mines bénéficiaient des subventions d’une ONG internationale en activité en Casamance. Ces subventions s’élevaient à plus d’un million de nos francs. Elles ont été logées, selon le responsable de l’ASVM, « au centre hospitalier régional de Ziguinchor (sud du Sénégal), pour d’une part alléger les frais liés à la pose de prothèses par le centre orthopédique, de l’autre à la prise en charge des soins d’urgence ; mais la première est finie depuis, alors que la seconde est en passe de l’être ». M. Diatta concédera qu’une quarantaine d’entre eux, les victimes de mines, ont eu la faveur de bénéficier de la première subvention, entre 2005 et 2006. Ce sera tout ? Non, pas encore ! Le directeur du CNAMS, Pape Omar Ndiaye reconnaîtra, lors d’un point de presse, l’existence des trois emplois octroyés à l’ASVM et du fonds déposé par l’ONG en question au centre hospitalier régional de Ziguinchor. Mais, côté définition de l’expression « prise en charge », le patron chargé de la problématique mine en Casamance voudra, lui, donner deux acceptions pour le moins mitigées. Le directeur parlera d’« indemnisation et d’assistance ». A l’en croire, appréhender la prise en charge des victimes de mines comme étant une « indemnisation » revient à chercher un interlocuteur autre que lui et le service qu’il dirige. Si, par contre ses vis-à-vis évoquent la question sous l’angle de l’« assistance », le directeur du CNAMS se considère alors comme étant leur interlocuteur privilégié. Sous ce rapport, ce qui a dû échapper à M. Ndiaye, c’est que les vocables « indemnisation et assistance » appellent tous les deux, la notion de dépendance. Quelle que soit l’expression utilisée, il ne serait pas exagéré de prendre les autorités pour les dépositaires du devoir d’assister les victimes de mines.

Qu’en est-il de la Convention d’Ottawa

Cette assertion est d’autant plus vraie que le Sénégal est, à l’image de 155 autres pays et nations du monde, signataire de la Convention d’Ottawa. Dakar l’a ratifiée en 1998 et elle entrera en vigueur un an plus tard, en 1999 ; soit depuis près de dix ans maintenant. Une Convention qui stipule, en son article 6, alinéa 4, que c’est à lui qu’incombe le devoir de fournir « une assistance pour les soins aux victimes des mines, pour leur réadaptation, pour leur réintégration sociale et économique ainsi que pour des programmes de sensibilisation aux dangers des mines. Cette assistance peut être fournie, entre autres, par le biais des organismes des Nations unies, d’organisations ou institutions internationales, régionales ou nationales, du Comité international de la Croix-Rouge, des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et de leur Fédération internationale, d’organisations non gouvernementales ou sur une base bilatérale ». Si, à la lumière de cet extrait, et comme l’a soutenu le directeur du CNAMS, c’est grâce à la diligence de l’Etat que l’ONG ci-devant citée a déposé une caution au centre hospitalier, il reste tout aussi vrai que c’est toujours Dakar qui doit assurer la continuité de la subvention, à partir du moment où la somme versée venait à être épuisée.

Or, le Sénégal a beaucoup de partenaires en matière de coopération bilatérale, notamment dans le cadre de la résolution de la problématique mine en Casamance. Retenons simplement, Pape Omar Ndiaye aidant, que l’Union européenne a investi pas moins de « 4 millions d’euros dont 3,5 millions sont exclusivement destinés au déminage » de la Casamance. « C’est acquis ! » a-t-il informé. D’autre part, « rien que sur la question des mines, le gouvernement du Sénégal met plus de 200 millions (de FCFA soit 312 500 euros) par an ! C’est considérable ! », a-t-il ajouté. Quelle place a été réservée alors à la prise en charge des victimes de mines ? M. Ndiaye avancera ceci : « Nous faisons ce que nous pouvons » ; avant de reconnaître lors du même point de presse : « Je suis d’accord qu’il reste à faire ». Boubacar Diassy


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