Somalie : un Afghanistan oublié....

par chibani84
lundi 30 août 2010

L’émergence des milices Al-Shabab en Somalie doit être resituée dans le contexte des décennies de mauvaise gestion, de dictature et d’abus qui les ont précédés. Suite à l’invasion éthiopienne soutenue par les Etats-Unis en 2006, la progression de l’UIC (Union of Islamic Courts) plus modérée, a été bloquée. L’exode de quelques 300 000 personnes vers le Yémen en a été la conséquence. Cet état de fait a libéré un véritable espace aux extrémistes d’Al-Shabab comme principale force hégémonique, issus pourtant du conglomérat de l’UIC. Et alors que les effets du bombardement de Kampala retombent, les gouvernements alliés aux Américains, l’Ethiopie et l’Ouganda, cherchent une fois de plus à faire du capital politique de la tragédie somalienne à des fins qui leur sont propres, avec un Obama complice.

L’émergence d’Al-Shabab n’est pas un accident de l’Histoire. D’un point de vue technique, on pourrait s’attendre à ce que la Somalie soit une entité géographique unifiée. En effet, tous les Somaliens parlent une même langue et ne souffrent pas de contentieux liés à des différences ethniques, comme tant d’autres anciennes colonies en Afrique. Paradoxalement, la Somalie a toujours été marquée par de profonds clivages et dans le même temps l’élite somalie a toujours cultivé le rêve d’une ‘’Grande Somalie’’ en considérant qu’il est de leur devoir d’unir tous les peuples parlant le somali. Ce projet concerne également les Somalis qui vivent dans les pays voisins :

- la région de l’Ogaden en Ethiopie,

- les peuples Issas installés à Djibouti

- les Somalis qui habitent une région connue sous le nom de Northern Frontier District au Kenya…

La Corne de l’Afrique a dû faire face au même arbitraire en ce qui concerne les frontières héritées de l’époque coloniale ; des frontières qui ont séparé des peuples pourtant de même culture.



Mais le projet d’un Etat culturellement homogène, englobant les minorités somalies voisines, était dès l’origine voué à l’échec et contraire à la Charte africaine qui impose et garantit le respect des frontières. Par conséquent, l’irrédentisme somalien visant le Kenya et l’Ethiopie nourrit et aggrave ainsi l’animosité historique avec l’Ethiopie. Pendant la Guerre Froide, la tension entre les deux pays a fourni à l’Union soviétique et aux Etats-Unis l’occasion de se servir de ces deux pays dans leurs conflits géopolitiques par nations interposées. La Corne de l’Afrique, dont fait partie la Somalie, est devenue le pendant de l’Afghanistan, du Vietnam et d’autres points chauds du globe de cette époque.

L’Ethiopie et la Somalie se sont livrées deux guerres majeures, et notamment une qui incluait la participation de forces cubaines en 1997-1978. Une force combinée comprenant des Ethiopiens, 15 000 Cubains et 1 500 conseillers soviétiques et leur armement ont défait l’armée somalienne. Cette défaite a été le début de la fin d’un Etat somalien fonctionnel au vrai sens du terme. Elle a été suivie d’une longue guerre civile dans les années 1980 qui a abouti à la désintégration du pays. Des interventions maladroites que ce soit de la part des Etats-Unis ou des Nations Unies, au cours des années 1990, n’ont fait qu’empirer une situation déjà très dégradée.

Des seigneurs de guerre issus de clans ont remplacé la dictature centralisée de Mohammed Siad Barre qui gouvernait la Somalie de 1969 à 1991. Après la chute de Siad Barre, le Somaliland et le Puntland sont devenus deux entités séparées, relativement stables, mais non reconnues internationalement. Pourtant, à la fin juin 2010, le Somaliland a organisé et tenu des élections qui sont les seules de la région à avoir satisfaites aux standards internationaux. Le candidat de l’opposition, Ahmed M. Maha Silanyo a remporté les élections au détriment du président sortant, Dahir Riyale Kahin. Tandis que la guerre civile règne dans la Somalie du Sud et la région de Mogadishu depuis au moins deux décennies.

En 1993, suite à la mort de 18 marines et après que deux hélicoptères Black Hawk aient été abattus, les Américains se sont totalement retirés du territoire somalien. L’horrible scène d’octobre1993, qui montre la dépouille mortelle d’un soldat américain traînée dans les rues de Mogadishu - appelé l’effet CNN -, reste dans la mémoire de nombreux Américains. Elle a influé sur la décision de l’administration Clinton de retirer les troupes américaines du pays. La Somalie a connu un regain d’intérêt de la part des occidentaux seulement après le 11 septembre, par crainte qu’elle puisse devenir une pépinière pour le djihad global et un repaire pour des éléments d’Al Qaeda.

Il y a eu quatorze tentatives pour installer un gouvernement central en Somalie entre 1991 et 2010. L’actuel Transitional Federal Governement (TFG), dirigé par Sharif Sheikh Ahmed est la dernière version de ces tentatives. La plupart des Somaliens considère celui-ci comme une marionnette de l’Ethiopie, et ce même si Hillary Clinton déclarait à son propos « qu’il était le meilleur espoir du pays’’. Son gouvernement contrôle à peine deux quartiers de Mogadishu et seulement grâce à la protection d’environ 3000 soldats ougandais et environ 2000 soldats du Burundi qui représentent la mission mal conçue de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). L’intervention ougandaise, burundaise et éthiopienne est très mal acceptée par les Somalis quelle que soit leur obédience.

La justification première de leur présence est ostensiblement le maintien de la paix. Mais il n’y a pas de paix à maintenir en Somalie. L’Ouganda et l’Ethiopie ont besoin de connaître la paix à l’intérieur de leurs propres territoires avant que de prétendre apporter la paix sur d’autres terres. Pour rappel, les insurrections en Ethiopie concernent celle menée par l’Ogaden National Liberation Front (ONLF) dont la lutte pour l’autodétermination en faveur de 4 millions de Somalis ethniques s’éternise. Elle a coûté des milliers de vie et a été désignée comme ‘’ un autre Darfour’’ par certains observateurs. Depuis les années 1980, la région du nord de l’Ouganda est ravagée par un groupe meurtrier connu sous le nom de Lord’s Resistance Army. (LRA).

La première justification de l’intervention éthiopienne repose sur son intérêt à entretenir une Somalie faible et désintégrée. L’Ethiopie bénéficie ainsi de l’assistance financière, militaire et politique des Etats-Unis en se présentant comme un allié sûr dans la ‘’guerre contre le terrorisme’’. Elle reçoit la plus grande part de l’aide américaine de tous les pays de l’Afrique subsaharienne. De même, l’Ouganda et le Burundi, bien que n’ayant pas de frontières communes avec la Somalie, interviennent afin de s’assurer d’un large soutien américain. En échange, les Etats-Unis restent muets lorsque ses dirigeants truquent les élections ou changent les termes de la Constitution afin de pouvoir se maintenir au pouvoir. De quelque côté que l’on se tourne, c’est un jeu machiavélique.

Si la quête de la paix était réelle, l’Ethiopie serait le dernier pays africain à être encouragé à envoyer des troupes en Somalie. Pourtant, en 2006, l’Ethiopie est intervenue avec le soutien américain pour empêcher l’ascendance de l’Union of Islamic Courts (UIC), composée de musulmans relativement modérés. Cette intervention a permis d’imposer un semblant d’ordre pour la première fois en quinze ans. Mais elle a également permis qu’au sein de l’UIC, les extrémistes d’Al-Shabab triomphent comme force hégémonique. L’Ethiopie s’est officiellement retirée, mais seulement après s’être enlisée et avoir plongé la Somalie dans un chaos encore plus profond, déplaçant 300 000 Somalis et jetant le désarroi dans la société somalienne alors que des mouvements de sa base qui semblaient prometteurs ont été tué dans l’œuf par l’intervention éthiopienne. Malgré ce retrait officiel, les troupes éthiopiennes exécutent encore sporadiquement des incursions en Somalie.

Compte tenu de la nature prédatrice des gouvernements du Burundi, de l’Ethiopie et de l’Ouganda, qui sont principalement des dictatures militaires ou des pays à parti unique, peu de crédit peut leur être accordé en ce qui concerne l’amélioration de la stabilité politique régionale de la Corne de l’Afrique. Par exemple, lors de la dernière élection présidentielle, l’actuel président du Kenya, Mwai Kibaki, a été soupçonné d’avoir volé la victoire à Raila Odinga (qui appartient au même groupe ethnique que le père du président Barack Obama), devenu Premier ministre dans un gouvernement de coalition chancelant. Pourtant dans la région, le pays reste un allié en matière de sécurité et par conséquent à l’abri d’un examen sérieux de la part des Américains.

En 2006, l’administration Bush a fourni des renseignements à l’Ethiopie en prévision de l’invasion. Elle a aussi utilisé les installations à Djibouti, en Ethiopie et au Kenya à partir desquelles elle a perpétré, en 2007 et 2008, des attaques aériennes, et par missiles, contre des sites en Somalie soupçonnés d’appartenir à l’Al Qaeda. Les attaques aériennes ont causé la mort de plusieurs douzaines de civils et ont fait des centaines de blessés. En outre, elles ont révélé au grand jour l’implication américaine. Ces attaques aériennes périodiques se poursuivent sous l’administration Obama. Le meurtre de civils somalis ne fait rien d’autre que contribuer à pousser les gens plus loin dans le désespoir et l’extrémisme. D’autant que de nombreux rapports crédibles accusent l’AMISOM de la mort de civils et d’autres excès.

Les attentats de Kampala ont été revendiqués par les islamistes somaliens shebab ont fait 76 morts le 11 juillet dernier. Ces responsables ont été "arrêtés" le 12 août. Le chef des renseignements militaires ougandais a présenté à la presse quatre suspects. Les quatre hommes sont tous de nationalité ougandaise. Deux attentats avaient visé à Kampala un restaurant éthiopien et le bar d’un club de rugby qui retransmettaient la finale de la Coupe du monde de football. Dans le sillage des bombes de Kampala, Obama a déclaré « qu’Al Qaeda est raciste et ne se soucie pas des vies africaines ». Personne ne peut contester ces propos. Néanmoins la vraie question est de savoir si Obama est réellement soucieux des vies africaines. Si vraiment il a à cœur la vie des Africains, pourquoi soutient-il des dictateurs comme Meles Zenawi en Ethiopie et Yoweri Museweni en Ouganda ? Des dictateurs qui, délibérément, sacrifient leurs soldats et des vies innocentes en échange de dollars ? Dès lors, il n’est guère surprenant que Zenawi et Museweni manoeuvrent d’ores et déjà pour justifier des interventions élargies afin d’exploiter la tragédie de Kampala, avec la bienveillance d’Obama. L’ironie de l’affaire c’est qu’Al-Shabab espère aussi l’escalade et la régionalisation du conflit dans l’espoir de renforcer le soutien qui s’effiloche de la part des Somaliens en raison de la dure répression exercée par le mouvement et dont les Somaliens sont fatigués.

Se reposer sur l’Ethiopie, l’Ouganda et le Burundi pour le maintien de la paix en Somalie équivaut à envoyer des soldats indiens pacifier les zones tribales au Pakistan. C’est une contradiction dans les termes et une meurtrière méconnaissance du problème sur le fond. Cela mine les modérés et entretient le jeu des extrémistes. La volonté des Etats-Unis d’endosser les interventions est rarement assortie d’un engagement en faveur d’un effort global pour obtenir la paix. Avec l’enlisement en Afghanistan et en Irak, il n’y a guère de volonté politique aux Etats-Unis pour gérer la complexité des tenants et aboutissants en Somalie. La Somalie n’a pas besoin d’une occupation renforcée par des voisins qui servent leurs propres intérêts. Un point de départ possible pour reconstruire la Somalie pourrait être l’utilisation de l’argent gaspillé pour AMISOM afin d’aider les Somaliens et l’expérience démocratique naissante au Somaliland au vu du désert démocratique dont souffre la région.


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