#syrie : Assad Poutine et nous

par taktak
vendredi 2 octobre 2015

Dans la confusion et la désinformation sciemment entretenue par les radios, télés, faux experts et vrais agents de l’OTAN, tentons de clarifier les choses.

Le président légal de la Syrie, Bachar el-Assad, n’est pas exonéré de la loi qui est le moteur de l’histoire : la lutte des classes. Comment se situe-t-il dans ce cadre ? Assad représente la bourgeoisie nationale syrienne et des fractions de la moyenne et petite bourgeoisie. A ce titre il est porteur des contradictions de ces classes dans le contexte d’un pays en proie aux menées de l’impérialisme mais aussi des luttes de la classe ouvrière, de la paysannerie, de son peuple. Le baasisme fut une réponse de la bourgeoisie pour tenter de maîtriser cette tension, cette contradiction. Comment ? En se proclamant pan-arabe et nationaliste, anti-impérialiste et même socialiste (le pétrole est nationalisé et échappe, sinon à la bourgeoisie locale, du moins aux sociétés capitalistes pétrolières étrangères). Cependant le pan-arabisme a fait long feu, le nationalisme  arabe est attaqué et miné par les impérialistes et par leurs alliés religieux de l’intérieur (Frères Musulmans etc…), par les pays où la bourgeoisie semi-féodale et surtout compradore (vendue aux impérialistes) veut affaiblir ou détruire ces « mauvais « exemples. En effet le baasisme est laïque  : pour unifier les peuples arabes divisés sur le plan religieux, la laïcité devient un facteur de cohésion nationale. L’anti-impérialisme est à géométrie variable : avec l’Union Soviétique inscrite dans le rapport de forces, certains pays arabes tentent de se ménager un espace de manœuvre face aux pressions impérialistes, mais simultanément les intérêts de classe du baasisme l’amènent aussi à chercher des terrains d’entente avec les impérialistes. La chute de l’URSS favorise une dérive « libérale » sur le plan économique en aggravant la contradiction entre le pouvoir, qui taille dans les acquis sociaux, et les masses populaires.
Quant au « socialisme arabe »du baasisme il est dès les origines antimarxiste et anticommuniste, le communisme critiqué pour être athée, internationaliste et qui prône la lutte des classes alors qu’elles devraient collaborer pour le bien de la nation arabe. Anticommunisme qui prend à certains moments historiques des formes violentes. Nasser, Assad père ou Saddam, sans parler de Kadhafi qui livra le secrétaire général du PC Soudanais à la potence, répriment, emprisonnent, torturent, assassinent des milliers de communistes. A d’autres périodes des marges d’action sont octroyées aux communistes selon les rapports de forces entre le pouvoir et les impérialistes.

Et c’est ce rapport des forces qui détermine aussi la politique économique des pouvoir baasiste : on constate en effet une politique de nationalisations et de réforme agraire au début du processus lorsque le bourgeoisie nationale possède un potentiel dynamique et qu’elle a besoin de l’alliance avec les masses. Puis au fur et à mesure que le pouvoir de la bourgeoisie s’affirme on aboutit à une politique de privatisations et de libéralisation, à une rupture avec l’URSS (Égypte) , un rapprochement avec les États-Unis (Irak contre l’Iran) et une débandade après la chute de l’Union Soviétique.

Pourtant même ces demi-mesures, même ces marches-arrières et ces capitulations ne suffisent pas à l’impérialisme qui veut la domination totale sur cette région du Proche-Orient qui est stratégique.

Et l’impérialisme utilise toute les occasions pour pouvoir se débarrasser de ces régimes insuffisamment soumis et qui en outre, s’opposent à l’expansionnisme israélien et au projet US de « nouveau Moyen-Orient ». Par la guerre dans le cas de l’Irak ou de la Libye, par la dépendance économique et militaire en Égypte et par la subversion et la guerre civile en Syrie. Non pas que des luttes populaires n’aient pas eu lieu en Syrie, la vision complotiste d’une CIA omnipotente et tirant toutes les ficelles est aussi naïve que celle qui consiste à nier le rôle essentiel de la subversion impérialiste. Celle-ci a investi et dévoyé un mouvement populaire pour en faire le support d’une intervention militaire de l’impérialisme en finançant des créatures intégristes soutenues par les Etats ultra-réactionnaires et clients des États-Unis que sont la Turquie, l’Arabie Saoudite ou le Qatar. La répression indistincte et brutale de la police d’État syrienne n’a sans doute pas amélioré la situation.

Mais très vite ce sont les bandes intégristes qui deviennent la véritable force anti-Assad. L’ensemble des forces patriotiques s’est trouvé devant une situation d’agression et de danger vital pour la Syrie. Quant aux forces anti-impérialistes mondiales elles ont exprimé leur refus de l’ingérence impérialiste et leur soutien à la souveraineté de la Syrie. Pour le reste cela regarde le peuple syrien et ce ne sont pas les bourreaux des peuples que sont les impérialismes qui peuvent faire croire qu’ils interviennent en Syrie par bonté d’âme.

D’autant que l’apparition de Daesh ne tombe pas du ciel : il est le résultat direct de la politique des puissances impérialistes, États-Unis en tête, depuis des décennies au Proche-Orient. Et en particulier de l’agression américaine contre l’Irak et de la volonté de la Turquie de prendre appui sur l’islamisme sunnite pour écraser le régime Assad, proche de l’Iran, et pour empêcher le développement des revendications nationales kurdes portées par le PKK en Turquie même. Daesh ne doit pas occulter des groupes qui ne valent pas mieux tel Al-Nosra (Al Quaida en Syrie) qui ont le soutien actif des monarchies pétrolières. Ceux qui, comme Hollande n’ont de cesse de condamner vertueusement la « brutalité » d’Assad mais qui se taisent quand l’Arabie saoudite coupe des mains, crucifie des opposants de 18 ans, écrase le mouvement populaire du Bahreïn ou s’ingère grossièrement dans la guerre civile au Yémen, méritent-ils d’être pris au sérieux par les véritables progressistes français ? En quoi le régime brutal certes, mais favorable à la mixité et à la laïcité d’Assad vaut-il mille fois moins que le régime esclavagiste, grossièrement phallocrate, véritable bastion mondial du Moyen Âge, qui règne à Riyad, si ce n’est parce que le régime saoudien plombe toutes les luttes des pays producteurs de matières première (au premier chef, la Russie et le Venezuela), parce qu’il rachète les « Rafales » français en se cachant derrière le régime égyptien ou parce que, comme le Qatar, il est de plus en plus présent dans les conseils d’administration du CAC-40 « français » ?

A l’occasion de ces événements le gouvernement français a pris un virage funeste entamé avec Sarkozy et confirmé avec Hollande. Un atlantisme et un néo-colonialisme bellicistes animent le pouvoir en France : les mêmes qui attaquent toutes les conquêtes sociales du peuple français chez nous adoptent une posture de recolonisateurs en Afrique (Mali, Burkina Faso, Centrafrique, Côte d’Ivoire) ou au Proche-Orient, où le capital financier français est très lié au capital financier libanais, ennemi traditionnel du Baas syrien et de la gauche nationaliste et communiste libanaise.

Face à cette situation la Russie, alliée depuis la fin des années cinquante de la Syrie, a tenté de préserver la paix et l’indépendance de la Syrie. Également d’empêcher la déstabilisation et le chaos au Proche-Orient. Objectivement le rôle de la Russie conforte le front anti-impérialiste et le combat pour la paix, même s’il ne faut pas se leurrer sur les motivations de classe à long terme de la Russie postcommuniste.

Plusieurs facteurs expliquent ce positionnement de Poutine . La Russie est menacée par cette déstabilisation voulue par l’impérialisme. Le sud de la Fédération russe et des anciennes républiques soviétiques orientales sont menacées par les islamistes manipulées par l’impérialisme et ses agents locaux comme la Turquie ou l’ Arabie Saoudite. L’offensive de l’OTAN en Ukraine démontre et confirme la volonté hégémonique des impérialistes vis à vis de la Russie : et de même qu’au Proche-Orient l’impérialisme US a soutenu les monstrueux talibans, Ben Laden, etc., avant d’en perdre partiellement le contrôle, de même en Ukraine la CIA et l’OTAN, applaudis par une partie de la « gauche » atlantique française (Libé, le Monde, Bernard Guetta sur France-Inter, etc.) ont encensé le pouvoir « orange » pro-nazi de Kiev qui provoque la Russie et qui s’appuie sur les néonazis de Pravy Sektor et de « Svoboda ». A moins d’affaiblir dangereusement la Russie et de la laisser se faire encercler par l’OTAN et par les bases US de la Baltique à la Mer Noire et du Caucase à l’Asie centrale, Poutine ne peut pas rester inactif car les impérialistes, qui ne se sont pas contentés de l’éclatement de l’URSS, de la disparition du camp socialiste, de l’annexion de la RDA et de l’intégration de toute l’Europe de l’Est à l’OTAN, ne seront contents que quand ils auront dépecé la Fédération russe elle-même. D’autant que, dans les conditions actuelles, le renversement d’Assad signifierait la prise de pouvoir des factions intégristes et une guerre de religion permanente dans la région. Guerre aussi entre les puissances régionales comme l’Iran et les satellites des États-Unis, comme on le voit au Yémen en ce moment même.

Est-ce à dire que la Russie de Poutine est redevenue l’Union Soviétique ? Soyons clairs, certainement pas. Mais il serait irresponsable d’établir une équivalence absolue entre la Russie et le bloc impérialiste qui domine et écrase le monde et qui est constitué, à l’Ouest, par l’Union transatlantique en formation (Amérique du nord plus U.E. dominée par Berlin) et à l’Est par l’Union transpacifique en gestation, où Washington fraie avec la Corée du sud (en voie de fascisation) et avec le Japon (en voie de remilitarisation). D’autant que même ce dernier est travaillé par des contradictions internes. On le voit avec les positions respectives passablement dissonantes de la France, de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne (c’est d’ailleurs Hollande qui est le plus belliciste de tous en ce moment : pauvre Jaurès !). Le rôle des communistes, des anti-impérialistes, des forces de paix est de s’appuyer sur ces contradictions pour créer un rapport de forces favorable à la lutte des peuples et c’est d’ailleurs ce que fait intelligemment le PC syrien qui, sans cesser de maintenir sa position de classe indépendante, privilégie la lutte contre l’ingérence impérialiste en Syrie et adopte une position résolument anti-impérialiste et patriotique.

Quant à nous, ici et maintenant, notre responsabilité est de dénoncer notre impérialisme et de faire comprendre que rien de bon ne peut sortir d’une position qui laisserait croire que les incendiaires peuvent se transformer en pompiers. Dénonçons aussi ceux qui sombrent dans ce que Lénine appelait le social-impérialisme, « socialistes dans les mots, impérialistes dans les actions » de même que ceux qui ne voient pas la nécessité de tenir compte de la dynamique anti-impérialiste à laquelle les BRICS – Brésil, Russie,Inde, Chine, Afrique du Sud- peuvent objectivement contribuer en laissant des espaces d’intervention aux peuples, même si la plupart des régimes en question sont bel et bien contrôlés par la grande bourgeoisie nationale, avec toutes les inconséquences que cela comporte (le cas de la Chine doit être analysé spécifiquement).

Unir et rassembler sur cette base est donc notre responsabilité.

AM secrétaire de la Commission internationale du PRCF.

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