Syrie : Le spectre de la guerre froide ?

par Quelqu’un
lundi 26 août 2013

On pense qu'elle appartient à nos livres d'histoire, mais il est difficile de savoir si certains concepts ne font pas encore partie de l'actualité, surtout lorsque cette dernière est aussi brûlante qu'actuellement. La guerre froide peut-elle reprendre ?

Il est quasiment impossible d'analyser correctement le conflit Syrien en lui même, les informations arrivant jusqu'à nous étant toutes marquées du sceau du doute, pour la simple et bonne raison qu'elles émanent immanquablement de personnes qui sont actuellement en train de se battre pour l'une des deux factions engagées. Peut-être que les enquêteurs de l'ONU apporteront des réponses satisfaisantes à toutes les interrogations sur l'utilisation d'armes chimiques de la part du régime d'El-Assad, mais aussi des insurgés, ou encore sur la proportion qu'ont pris les groupuscules terroristes et les filiales d'Al Qaeda dans la rebellion. Il reste essentiel d'en savoir plus sur le fameux Front Al-Nosra qui a revendiqué l'attentat suicide du 21 février du siège du Parti Baas à Damas avant de s'engager dans une argumentation sur le sujet. Ici se termine le volet sur la guerre civile.
 
Car le conflit Syrien a depuis très longtemps, dès son commencement, dépassé les frontières du simple cadre local et même régional. D'abord par la situation géographique du pays, un conflit civil en plein milieu du Moyen-Orient, aux frontières d'Israël, de l'Irak et de la Turquie peut difficilement passer inaperçu pour les quatre géants diplomatiques de ce monde que sont les Etats-Unis, l'Union Européenne, la Russie et la Chine, mais aussi pour les trois grandes puissances musulmanes régionales, à savoir la Turquie, l'Iran et l'Egypte, auxquelles il faut ajouter Israël. Ensuite parce que la liste que je viens d'établir annonce une lutte d'influence très équilibrée, d'un côté le front occidental de l'OTAN lié à la puissance Turque ainsi qu'à l'Etat Hébreu, un camp également lié aux pétro-monarchies du golfe, et de l'autre l'alliance Russo-Chinoise qui peut se targuer d'avoir l'Iran avec elle. On peut donc pour le moment accorder un léger avantage aux puissances de l'ouest, mais ce sera un avantage précaire. Tout d'abord parce que le gouvernement Turc reste reservé sur les printemps arabes et se montre déçu de la réaction américaine qui a fait suite au renversement de Mohamed Morsi. Mais aussi donc à cause de l'importance primordiale de l'Egypte dans ce jeu diplomatique à très grande échelle dans le sens où elle serait peut-être à même de ramener un équilibre total entre les deux camps et couper court à toute intervention en Syrie, ceci explique les réactions très ménagées de Vladimir Poutine Barack Obama au sujet de l'autre guerre civile du moment, il ne faut pas brusquer la clef de voûte du monde arabe, faudrait t'il énerver les Turcs ou même les Israéliens en adoptant cette attitude.
 
L'avantage du côté "américain" se trouve également diminué par une concurrence interne entre certains de ses alliés orientaux, en particulier les monarchies que sont l'Arabie Saoudite et le Qatar, bien décidées à tirer leur épingle du jeu de ce post-printemps arabe. Il faut garder en tête que le renversement de pouvoir en Egypte est directement lié aux famille royales basées de l'autre côté de la Mer Rouge. L'Arabie Saoudite soutient les militaires et les Qataris soutiennent les frères musulmans en qui ils ont reconnu un allié de poids pour augmenter leur influence sans posséder la puissance militaire de leurs concurrents. Il s'agit bien de puissances économiques, de financements à coup de petrodollars pour les partis qu'elles soutiennent dans tout le nord de l'Afrique. Evidemment, il s'agit d'un jeu dangereux, on soulignera par exemple que l'Algérie a mal vécu l'intervention en Libye, pour des raisons historiques évidentes, soutenue mordicus par le Qatar alors que les relations entre les deux pays étaient au beau fixe avant cet épisode. Un constat qui fonctionne également pour la France, mais qui, elle, a réussi à se rattrapper au Mali qui était une préoccupation importante du gouvernement de Bouteflika, assez importante en tout cas pour oublier la ligne officielle du pays hostile à toute ingérence occidentale, et en particulier Franco-Américaine, dans la région.
 
Le risque pris par les monarques du golfe tient également dans l'installation d'un pouvoir sans réelle légitimité en Egypte, capable désormais d'orchestrer un retournement de situation magistral dans la région, quasi-équivalent à ce qu'il s'est passé après la décolonisation et la montée en flèche des soviétiques. Allez voir les critiques du Caire envers la récation des médias occidentaux face à ce que ces derniers appellent un "coup d'Etat". Les militaires nationalistes du général Al-Sissi n'ont pas une ligne si éloignée que ça du Kremlin et pourraient tout à fait à l'avenir effectuer un rapprochement similaire à celui de Nasser durant les années 50, d'autants plus que les positionnements Egyptiens sur la question Israelo-Palestinienne ont bien changé depuis, mais cette ligne est également compatible avec les visées occidentales et peut permettre de constituer une bonne entente avec Washington et le Knesset à l'instar de l'ère Moubarak. On pourra d'ailleurs souligner que les premières décisions des militaires, avant même leur prise de pouvoir, furent de boucher les tunnels de Gaza à la frontière. Israel ferait d'ailleurs du zèle auprès de l'administration Obama pour soutenir pleinement les généraux. Mais comme nous l'avons déjà noté, l'avenir de l'Egypte est trop incertain et trop important pour prendre parti aux yeux de la Maison Blanche. Un imbroglio diablement compliqué provoqué par des alliés encombrants mais gros exportateurs de pétrole ou investisseurs généreux dans l'économie de certains pays occidentaux...
 
Les Russes ne se posent pas autant la question de la gestion de leurs propres sous-fifres puisque le pays a reconstruit sa diplomatie plutôt récemment en ne s'opposant pas à l'occident tant qu'il n'était pas en mesure de la faire comme le prouve son attitude après les attentats du 11 septembre et le soutien total apporté à George W.Bush. La Russie reste aujourd'hui l'une des nations les plus zélées dans la lutte contre le terrorisme islamiste, et ce casus belli lui a permis de mener une guerre ambigüe en Tchétchénie ou encore de justifier sa ligne Syrienne en pointant Al-Nosra du doigt. Désormais, une ossature claire se dégage de ce que l'on pourrait appeller le front oriental constituée du Kremlin bien sûr, ainsi que de la Chine et de l'Iran. Le grand maheur de Moscou actuellement est l'effondrement total du Parti Baas, ainsi que celui du socialisme arabe depuis la chute de Saddam Hussein qui en fut finalement un grand déclencheur puisque sept ans plus tard, Khadafi meurt lynché par ses compatriotes pendant qu'El-Assad fait face à un conflit interminable. Il s'agit donc pour Poutine, après avoir reconstruit le soutient international à la diplomatie Russe de s'implanter plus durablement dans la région où se joue l'avenir de la planète et de prouver que la Russie peut à nouveau faire contrepoids aux Etats-Unis quitte à relancer la guerre froide, qui serait de toutes façons la seule manière de montrer au monde que l'ex-URSS n'est pas enterrée. 
 
Il s'agit donc de jouer sur tous les tableaux, accueuillir Edward Snowden et manoeuvrer habilement pour faire en sorte que l'ex-agent de la CIA n'ait affaire qu'aux autorités Russe, s'opposer frontalement à la vague des lois occidentales sur l'homosexualité pour faire comprendre qu'un autre monde se forme en marge des pays de l'OTAN, mais ne pas se fermer à toute discussion en prônant en public la solution du dialogue aux conflits actuels, et si il faut couper les ponts, s'arranger pour que les Etats-Unis tirent les premiers, ce qui est arrivé avec l'annulation de la visite d'Etat de Barack Obama récemment. Désormais, le pays va forcément se tourner vers l'Egypte tout en ne lâchant pas son veto à propos de la Syrie. Ce à quoi les occidentaux ont répondu ces derniers jours en menaçant d'une intervention hors du cadre des nations unies. L'attitude de la Chine sera également importante mais une defection semble tout de même improbable, cela dit, à quel degré apportera t'elle son soutien aux opérations Russes ? Ici se trouve une grande inconnue. L'autre point brûlant est la position de Moscou sur la question Israelo-Palestinienne, fondée sur le dialogue à tendance pro-Israélienne en raison de la forte communauté russophone de l'Etat Hébreu en apparence, mais comme pour le reste, le pacifisme des déclarations Russes est contradictoire avec l'alliance stratégique constituée avec l'Iran et les vétos opposés à toute sanction de l'ONU sur les aspirations de Téheran dans l'énergie nucléaire.
 
Le conflit fratricide et désormais chimique en Syrie, dont j'ai éludé les causes en ne m'intéressant qu'aux conséquences, dépasse bel et bien le statut de simple guerre civile par sa position géographique. Tous les intérêts du monde diplomatique sont désormais centrés sur ce pays, qui doit tout de même partager l'affiche des actualités géopolitiques avec l'importantissime volet Egyptien, bien qu'à y regarder de plus près, les deux théâtres sont étroitement liés. J'espère avoir rappellé une vérité qui semble évidente, une intervention militaire ne signifie pas, ou du moins pas uniquement, un combat occidental pour la démocratie ou de toute autre valeur que nous estimons exportable, théorie qui fait les beaux jours des grands médias. Il me semble que si il y a bien une chose saute aux yeux, c'est que les Etats-Unis ont mené à bien leur stratégie de l'endiguement face aux Russes durant la guerre froide et qu'il s'agit aujourd'hui de la prolonger, voire de l'accentuer en faisant définitivement tomber Bachar El-Assad, l'un des quelques relents de ce vieux conflit face au monde communiste, symbolique qui plus est puisque Damas est la ville où se trouve le siège du Parti Baas qui fut un organe central du soutien aux soviétiques dans le monde arabe. Le Kremlin a sûrement conscience que tout ce folklore appartient au passé, mais il semble qu'il veuille garder le contrôle de ses anciens alliés en dictant lui même à ces derniers les réformes progressives à adopter pour en faire des alliés et stables précieux dans... La deuxième guerre froide qui est peut-être en train de s'ouvrir. Non pas contre le communisme, mais bien contre la Russie et son conservatisme nouvellement affiché par l'intermédiaire d'un homme fort à la main de fer. Le printemps arabe sera historique, c'est certain.

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