Torture made in USA

par Alain Hertoghe
vendredi 18 novembre 2005

Abou Ghraib, Guantanamo, prisons secrètes et programme « restitutions extraordinaires » de la CIA : depuis le déclenchement de la guerre contre le terrorisme par l’administration Bush, après les attaques du 11 septembre 2001 contre New York et Washington, les rumeurs, les doutes, les accusations, les révélations sur l’usage de mauvais traitements et de la torture par les forces armées et les services de renseignement américains se sont accumulés.

Actuellement, le débat fait la une aux États-Unis. Il a été relancé par le sénateur républicain John McCain, rival malheureux de George W. Bush lors de la présidentielle 2004. Pour cet ancien héros de la guerre du Vietnam, l’Amérique doit s’interdire la torture, car celle-ci est immorale, inefficace et met en danger l’intégrité physique des soldats américains. De plus, elle va faire perdre aux États-Unis la bataille des opinions publiques. Lui-même torturé par le Vietcong durant sa longue détention en Asie du Sud-Est, John McCain a obtenu du sénat américain qu’il vote (90 voix contre 9) un amendement au budget de la défense interdisant explicitement les "traitements cruels, inhumains et dégradants" dans les centres de détention américains. Le texte va maintenant être soumis à la Chambre des représentants. Le plaidoyer du sénateur de l’Arizona a d’autant plus de poids qu’il se range dans le camp des faucons : il félicite le président Bush pour sa détermination dans la guerre contre le terrorisme, et il plaide pour l’envoi de troupes supplémentaires en Irak pour gagner le conflit.

Face à John McCain, George W. Bush affirme que l’Amérique ne torture pas. Le Pentagone vient pourtant d’adopter une nouvelle directive prohibant aux forces armées la torture physique ou mentale. N’est-ce pas un aveu indirect que, dans la pratique, cela n’allait pas de soi ? Le ministère de la défense recommande dans le même texte d’appliquer un "traitement humain" aux prisonniers lors des interrogatoires. Mais qu’est-ce qu’un "traitement humain" pour le Pentagone ? Jusqu’où peuvent aller les "techniques d’interrogatoire aggressives" défendues par exemple par le ministre de la défense Donald Rumsfeld ? D’autre part, la Maison Blanche défend le droit de la CIA de torturer dans le cas exceptionnel d’une attaque terroriste imminente. Le Wall Street Journal affirme, par ailleurs, que s’interdire la torture équivaut à désarmer l’Amérique face aux djihadistes.

Tant les angéliques que les cyniques refuseront ce débat. Pour les premiers, rien, jamais, nulle part, ne peut justifier d’attenter à l’intégrité et à la dignité d’un être humain. Pour les seconds, un conflit non conventionnel (contre la guérilla, le terrorisme) n’a jamais été et ne sera jamais une soirée de gala où l’on garde ses gants blancs : la torture en fait intrinséquement partie.

Militant actif d’Amnesty International dans ma jeunesse, je suis, par principe, opposé à l’usage de tout traitement cruel, inhumain, dégradant. Mais - et ce "mais" est douloureux à formuler - je me demande sincèrement si, dans la guerre que le djihadisme nous a déclarée, cette position éthique confortable peut s’appliquer sans exception aucune ?

Bien évidemment, la barbarie pratiquée par l’adversaire combattu n’offre aucune justification à l’usage de la torture par des pays démocratiques. Au contraire.

Bien évidemment, le dévoiement et l’exploitation perverse de ce débat par les ennemis de la démocratie et par les antiaméricains chroniques ne doit pas influencer les esprits honnêtes.

Bien évidemment, le fait que les opinions publiques ne soient pas trop regardantes sur les moyens quand les fins importent ne peut pas servir d’alibi.

Bien évidemment, la pratique de la torture dans toutes les guerres irrégulières passées, quelle que soit la nation ou l’idéologie concernées (Algérie, Vietnam, Afghanistan...) ne tranche pas le débat présent.

Ces précautions prises, je reconnais ne pas avoir de réponse ferme et définitive. Ma première certitude : le débat sur la torture ne doit pas être mêlé à celui sur la justesse de la guerre menée contre le terrorisme djhadiste. Ma seconde certitude : c’est l’honneur de l’Amérique que tous les "scandales" - d’Abou Ghraib à Guantanamo, en passant par les programmes secrets de la CIA, sans oublier la récente découverte d’un centre de torture du ministère irakien de l’intérieur - aient été révélés soit par l’armée ou des soldats américains, soit par les médias d’Outre-Atlantique...


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