Tout bouge autour de moi

par L’enfoiré
lundi 17 janvier 2011

"Un an après le tremblement de terre et toujours du secours dans l’urgence" est le constat étonnant en Haïti. Qu’est-ce qui arrive à faire survivre les habitants de Port-au-Prince dans un tel constat de désolation ? L’écrivain haïtien, Dany Laferrière, était présent lors du tremblement de terre. Son

témoignage sur sa ville est troublant de sagesse.

Le 12 janvier 2010 à 16:53 a été une minute qui cachait, en elle, la vie d'une ville, disait Dany Laferrière, lors d'un interview au Vif.

Un tremblement de Terre de 7,3 sur l'échelle de Richter a presque tout détruit à la capitale, Port-au-Prince. 230.000 morts, un million et demi de sans-abris. Dans les jours qui suivirent, 211 miraculés ont pu être sauvés. Des dons ont été engrangés. On estime qu'il faudrait un minimum de 7.750 millions de dollars pour redresser la ville.

Pour un Européen, l'incompréhension est grande de constater le manque de progrès que l'on aurait pu attendre après un an. Pour un citoyen de pays dits "riches", l'argent devait pouvoir servir à tout résoudre et, cela, très rapidement. Difficile d'y voir une amélioration. On continue à vivre sous tente.

Les interviews radio prouvent ce désarrois, cette incompréhension. La reconstrution n'a pas encore commencé.

Mardi 11, le documentaire d'ARTE "Sauvez Haïti." essayait d'expliquer ce qui pourrait être les raisons de la lenteur de la reconstruction d'un pays au pied du gouffre. Au départ, des gens sont morts pour rien, de faim ou par manque de médicaments.

Un an après, tout Haïti se fige dans le souvenir.

Un an de chaos.

Les photos des monuments et site de Port-au-Prince sont là pour rappeler un passé disparu.

Les Européens se rappellent les suites et de l'expérience du tsunami de 2004. Aux anniversaires de tels événements, les suites des efforts, réussites ou échecs, sont toujours analysées et écoutées avec surprise.

Un tremblement de Terre n'est pas un tsunami. Ce dernier efface tout sur son passage. Avec un tremblement de Terre, tout s'effondre sur place et reste bien visible. De 5 à 10% des ruines ont été déblayés suivant un rapport d'OXFAM. Le manque d'organisation en commun des ONG sur place pourrait l'expliquer, en partie. Les fonds versés ne sont d'ailleurs pas totalement écoulés, ni même arrivés. En Belgique, l'opération du type de Haïti 12-12 a rapporté 25 millions d'euros dont 40% ont été utilisés. Les États ont avancés des promesses de fonds "théoriques" de 5 milliards de dollars, alors qu'on parle de 60 millions réellement arrivés.Ce sera peut-être un jour expliqué sur un site qui pourrait, un jour, s'appeler "GiftLeaks".

Les ONG ont évité le pire. Elles ont secouru avec des dons en eau, en soins médicaux d'urgence. L'épidémie de choléra, quoique prévisible, a ajouté aux difficultés et aux surcoûts. On compte déjà 3600 morts des suites de cette maladie, 91.000 cas ont été traités.

Dans son livre, "Haïti kenbe la" (Haïti, debout), Rodney Saint-Eloi de MSF avouait son sentiment d'impuissance, suivi par une impression de vide dans les premiers mois. Plus tard, de retour pour le problème du choléra, il découvrait toujours les tentes, mais la population était mieux traitée, mieux organisée. 

La Croix Rouge a entrepris la construction de 600 maisons antisismique, mais il faudra bien 10 ans pour arriver à un résultat honorable. Il s'agit, avant tout, de faire le cadastre pour déterminer à qui appartient quoi et où construire.

Le président Préval est accusé d'inertie. "Pas de progrès dans la reconstruction sans démocratie", dit-il pour se dédommager ou pour conforter son auditoire occidental qui voit la démocratie comme d'un produit miracle.

Être utile, rester solidaire avec les Haïtiens, mais comment ?

Sont-ils dérisoires, ces dons ? En pure perte ? Pas du tout. Ils doivent seulement être distillés en fonction de besoins conformes à l'éfficacité maximale. Pas besoin de pitié, non plus dans ce processus.

 Le reportage d'ARTE parle de la Fondation de Bill Clinton et des gens qui s'en sont occupés souvent à partir de l'étranger, d'Angleterre, dans ce cas précis.

Comme il fallait réveiller les consciences, comme les grandes catastrophes peuvent le faire, il s'agissait d'organiser un "festival des bonnes intentions", de casser la "structure de l'instantané", de négocier avant de décider. Pays où chaleur, désorganisations, habitudes de concentration humaine comme à Port-au-Prince avec ses 2,5 millions d'habitants, n'est pas la même situation que d'où l'argent est sensé provenir. Ce serait sans compter sur le choc de cultures qui diminue d'autant l'efficacité.

Un match de la commémoration s'imposait pour marquer ce premier anniversaire d'une pierre plus blanche. On pense aux symboles, en premier. Ce fut reconstruire, redresser le Marché des Halles au centre de la ville, qui n'a été que partiellement déséquilibré. Le délais était fixé à décembre. Une foule de surprises retarde ce projet pourtant très étudié. La méthode forte, on ne connaît pas sur le terrain. Contourner l'Etat quand celui-ci n'apporte pas d'aide. Il faut, dès lors, prévoir l'imprévisible dans une intelligence émotionnelle en oubliant la possibilité d'un "effet caméléon" et en espérant pas qu'il ne devienne un "effet papillon". Ce sera des livraisons d'acier qui n'arrivent pas ou ne peuvent pas être acheminées rapidement sur les lieux de leur utilisation. Pas d'outils adaptés et donc beaucoup de temps perdu avec des moyens rudimentaires, ce qui fut un manque à gagner en énergie. Même, le dirigeant du projet "Halle" s'est vu contraint de prendre du retard pour raison de santé. Plus on avance dans le temps, plus l'excitation, l'impatience des habitants augmentent avec la criminalité. Situation qui se transforme progressivement en poudrière. L'humilité du projet fut, dès lors, très nécessaire.

Alors, une question : l'argent peut-il répondre à ce genre de catastrophe ?

C'est vrai, nos civilisations de l'efficacité ont l'habitude de se baser sur le symbole "argent" ou de s'exprimer par les "personnalités" déléguées comme des chefs d'états étrangers, représentants arrivés en éclaireurs. De l'argent en dons de toutes sortes peuvent aider, mais c'est sur le terrain que tout se passe, en définitive.

Les raisons de ce retard, de ce sauvetage difficile, se retrouve, peut-être, derrière les réflexions de cet écrivain haïtien, Dany Laferrère.

Exilé, il vivait à Montréal mais il était présent à Port-au-Prince lors de la destruction de la ville. De ces événements tragiques, il a commencé à prendre des notes pour se les rappeler et ne pas perdre ses minutes d'intimité en témoin, avant d'écrire son dernier livre et de donner sa version du comment Haïti parvient encore à survivre. Son livre "Tout bouge autour de moi" raconte ses ressentis avec la connaissance du terrain. 

Pour lui, le peuple haïtien puise sa force dans sa culture, son goût simple de la vie. Il subit la pauvreté avec une philosophie particulière. Les récits vaudous, les danses et les chants sont les dérivatifs obligatoires pour permettre de faire ce pas de côté et oublier les événements les plus dramatiques. Le Haïtien est un "mégalo sympa" !, dit-il.

Les cyclones, Les inondations, l'embargo politique, la corruption, l'extravagance, Haïti connaît tout cela, dans son histoire. L'espérance moyenne de vie d'un Haïtien est de 62,5 ans. 

Un site en créole peut en donner quelques indices. Il y est écrit "Dans la vie, il n'y a ni prix, ni punition. Il n'y a que des conséquences".

 Ayiti et Repiblik Ayiti, Haïti est un pays des Grandes Antilles occupant le tiers occidental de l'île d'Hispaniola (soit 28 000 km2 environ) avec capitale, Port-au-Prince.

Haïti, un pays qui ne fait pas parler de lui que rarement malgré son histoire de désastres divers. Le pays est bien différent au niveau aspect physique environnemental et financier de son voisin, la République Dominicaine. Le terrain a perdu ses arbres, ses palmiers qui attirent les touristes, une fois la frontière franchie vers Haïti.

La négritude est née en Haïti, bien avant Léopold Senghor et Aimé Césaire. En 1804, Haïti gagnait son indépendance et celle-ci a suscité la panique en Europe esclavagiste. Peur de la boule de neige que cela pourrait engendrer. L'Europe a fait payer chèrement cette indépendance, cette volonté de liberté et d'autogestion. Saint Domingue représentait le quart du PNB français avant l'indépendance. Deux cents ans d'embargo à peine voilés ont suivi. L'écrivain s'étonne de l'empathie actuelle en provenance de l'Europe. Les Américains ont l'habitude de venir en force et puis, budgets épuisés, s'en retournent chez eux.

Haïti est un pays qui a besoin d'énergie, d'humour que le créole rend très bien. Lire, dans Haïti Chérie, que l'argent circule avec une monnaie appelée "gourde" divisé en 100 centimes "kob" et que "les billets de 100 gourdes sont souvent plastifiés, passées, ou enduit et ressemblent à des faux, alors qu'ils ne les sont pas. Ils ont Banknote Américan Company imprimés sur eux. Essayez de prendre des petits billets, évitez les gros billets de 500 par exemple, car inutile, à moins que vous puissiez les échanger à une banque ou les dépenser dans les hôtels chers.", prouve, déjà, un pragmatisme à toutes épreuves, lié à un humour très approprié.

Cette fois, encore, les larmes ne sont plus de rigueur. Les yeux sont secs, épuisés par les mois passés. Elles doivent disparaître pour faire face à l'essentiel, la volonté, l'obligation de continuer à vivre. Les Haïtiens sont des trompes la mort. Si on vit, c'est qu'on a tiré le bon numéro. C'est grave, mais ce n'est pas grave ou cela aurait pu l'être encore plus.

Toute la culture se retrouve dans la peinture naïve, les poèmes. Un crayon, un pinceau et le Haïtien fait revivre son âme même s'il est analphabète. Cela donne un originalité et une fraîcheur que l'on ne retrouve pas dans nos arts traditionnels. Le séisme, le palais présidentiel effondré, en véritable symbole va certainement se retrouver dans sa peinture en mémoire.

Les problèmes sont des sujets d'hilarité, de vie. On y vit en communauté. La solidarité est la technique de base de cette survie au quotidien. La guerre civile inexistante dans la rue, mais emphasée par des mini-troubles, elle se vit, pacifiquement, dans les urnes. Les moments où il peut, donner son avis. La démocratie, cela compte. C'est important, les élections. On y affiche son appartenance avec fierté. C'est le peuple le plus politisé d'Amérique, donc, pas de leçons à recevoir à ce sujet, constate l'écrivain.

Je ne connais pas Haïti, seulement, le Nord de la République Dominicaine. Ce pays connaît une exploitation touristique croissante depuis quelques années avec une infrastructure hotelière très moderne, surtout à Punta Cana. Les "All-Inclusive" attirent le tourisme comme l'aimant. Si la pauvreté, parmi la population, est toujours présente, elle est moins ressentie grâce à l'agriculture et au tourisme. L'espagnol est la langue véhiculaire et non le français comme à Haïti. Entourée d'îles qui parlent en espagnol ne devrait pas améliorer les contacts.

Le phénomène de "politisation" de la population, je l'ai ressenti, en 1994, lors de l'élection du président Balaguer en République Dominicaine.

Ce personnage politique avait, alors, 88 ans. Il était presque aveugle. Pourtant la fougue électorale pour le soutenir était à son comble, en plus, par une population très jeune. Sagesse reconnue des anciens et perdue chez nous ? Des camions dévalaient dans les villages, avec dans la benne arrière, des partisans des partis en présence avec des signes distinctifs représentés par un jeu des seuls doigts de la main, levés ou nom en guise de reconnaissance du parti.

Wikipedia rappelle à ce sujet : "Balaguer retrouva un pouvoir de moins en moins dictatorial suite à l'élection présidentielle de 1986, et fut réélu en 1990 et en 1994. Cette dernière élection aux résultats serrés fut, aux dires des observateurs internationaux, suffisamment entachée d'irrégularités pour que seulement deux ans plus tard, la constitution soit modifiée et de nouvelles élections organisées."

La politique prend autant, sinon plus, d'importance en Haïti. Dans ces moments de détresse, souvent, la population réagit suite aux seuls souvenirs et vont jusqu'à repenser au retour de la dictature des Duvalier comme solution désespérée. Le pire pour avoir un mieux quand le mieux n'arrive pas.

Le Haïtien vit, donc, aussi de symboles, mais de symboles que nos pays ont oublié : les élections, qu'elles soient démocratique ou non. Alors que pour nous, cela semble très futile surtout à l'idée des changements que cela pourrait apporter. Au premier tour, il y avait eu 39 candidats en piste. On pense au recomptage. Un deuxième tour n'a pas encore reçu de date.

Mirlande Manigat, une candidate féminine ? La femme en Haïti reste le ciment de la population. C'est elle qui organise la vie au quotidien, toujours en quête de tout ce qui pourrait permettre de manger ou de boire au quotidien. Réalisme féminin mais elle n'existe pas en tant qu'entité unique, d'après l'écrivain Dany Laferrière. 

Ce qu'il ne dit pas c'est que le désastre a intensifié la dépendance vis-à-vis des ONG. ONG qui sont parfois proches des églises évangéliste ou de Témoins de Jéhova. La théologie d'Aristide a été remplacée par le culte de la résignation. Si la philosophie haïtienne trouve une solution immédiate dans une solidarité vraie, obligée, le plus désolant est que "se blan o Dieu ki decid" (ce sont las blancs ou Dieu qui décident).

Des questions viennent à l'esprit. Que se passerait-il chez nous si un tel événement arrivait ? Sommes-nous mieux préparés ? Les désastres sont de moins en moins rares. Les inondations existent un peu partout, dernièrement en Australie, au Brésil, prouvent qu'il faudrait peut-être se préparer à comprendre comment résister aux désastres que nous réserve la Nature.

Les réalités exigent souvent plus de macération pour reconstruire que de construire.

 

L'enfoiré,

 

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