Tractations sous-marines entre Lula et Sarkozy

par Bernard Dugué
mercredi 13 février 2008

Tout récemment, le ministre de la Défense brésilien est venu voir à Toulon nos sous-marins nucléaires d’attaque, ces fameux SNA. Mais, selon les informations divulguées par Jean-Marie Collin dans Libération, une coopération franco-brésilienne serait déjà opérationnelle sur le volet informatique tactique par le biais de l’entreprise Thalès, implantée au Brésil, et si l’on en croît l’auteur du rebond, un transfert de technologies sensibles est en passe de se réaliser lors de la prochaine décennie. Un SNA est un sous-marin nucléaire d’attaque et dans la classification des systèmes d’armement, il se distingue du SNLE, qui lui est lanceur d’engins. Où est la différence ? Juste dans la conception et la place tactique, les engins lancés n’étant en fait supposés ne pas être lancés puisqu’ils sont de nature nucléaire et, donc, participent à la dissuasion. Par contre, le SNA utilise des missiles conventionnels tout en pouvant réaliser des tâches dans le domaine du renseignement ou des manipulations sous-marines. On se demande alors quelle est la différence avec les sous-marins traditionnels, comme ceux utilisés par l’Allemagne pendant la Seconde Guerre dont les modèles hérités sont en usage actuellement, notamment par le Brésil fier de ses U-209. En fait, le SNA se distingue par sa propulsion nucléaire. Ce qui signifie qu’il a une autonomie quasiment illimitée en plongée, sous réserve que l’équipage puisse manger à sa faim. Alors qu’un sous-marin conventionnel est du genre cétacé, il a besoin de faire surface pour une provision d’air sans lequel sa motorisation diesel ne peut fonctionner.

Les stratèges de l’armée connaissent bien les capacités de ces SNA en cas de conflit. Le Brésil, en affichant sa volonté de se doter de ce type d’armement sophistiqué dont seules les grandes puissances disposent, Russie, Etats-Unis, Chine, France, Grande-Bretagne. Ces puissances qui voient certainement d’un mauvais œil la France transférer ces technologies ultrasensibles au Brésil. Comme à l’habitude, aucune certitude n’est établie sur cette coopération qui est démentie par le ministère de la Défense, alors que Sarkozy se préparerait à faire une annonce sur ce sujet lors de son voyage en Guyane pendant lequel il croisera le président Lula, lequel s’est déclaré intéressé par la technologie SNA, mais nous n’en saurons pas plus et la presse française a d’autres choses plus importantes à servir pour informer le citoyen, par exemple, le SMS envoyé par Sarkozy à Cécilia. De toute façon, la collaboration se fera sur fond d’enjeux stratégiques et économiques et un zeste de rivalité franco-allemande dans ces technologies ; compétition qui pourtant n’aurait plus lieu d’être à notre ère européenne. La dernière dépêche indique un fort potentiel de développement coopératif du nucléaire civil entre les deux pays, mais sans donner de précisions. On sait juste que la France est prête à aider le Brésil pour des transferts de technologies permettant de produire des avions de combats, des hélicoptères et un sous-marin de type Scorpène, donc à propulsion classique. Mais Lula lorgne certainement sur nos six Barracuda à propulsion nucléaire mis en chantier pour un coût fixé entre 10 et 20 milliards d’euros.

Et maintenant, pourquoi le Brésil veut-il se doter de SNA ? Deux raisons se complètent. La fierté d’être une puissance militaire, autrement dit, le narcissisme national incarné dans les gouvernants de ce pays. Et une nécessité d’ordre stratégique et tactique, lié à une conjecture géopolitique autant qu’économique. Car l’entreprise brésilienne Petrobas aurait découvert un gisement de pétrole dans la baie de Santos, au sud de Rio, après avoir trouvé une zone, certes difficilement exploitable, mais rentable si le baril monte, sur une zone située à 250 kilomètres des côtes, longue de 800 kilomètres. Bref, un espace sous-marin à surveiller. Et qui pourrait rendre utile les SNA bien qu’ils ne soient pas indispensables pour ce genre de tâche et que, par ailleurs, on ne voit pas quel groupe terroriste ou quelle nation viendrait perturber l’exploitation d’une zone pétrolifère si diffuse. Ces choses-là ne regardent pas le citoyen. Et il se trouvera toujours quelques experts pour justifier l’acquisition de ce type de matériel. Et on ne pourra rien y faire, sauf mettre en doute les expertises et se dire que d’un côté, la France, il y a des enjeux économiques et de l’autre, le Brésil, une question de statut, de puissance et d’orgueil national ; devenir pays exportateur de pétrole, ça en jette. Très important, bien plus que tous ces enfants qui crèvent, se détruisent dans la misère et les drogues, que l’on assassine dans les favelas de Sao Paulo, là où justement va se développer la technologie des sous-marins avec la participation de nos ingénieurs français.

Ainsi va le monde, avec la gloire des uns forgée sur l’instrumentalisation des autres en laissant la misère se développer. Cette gloire des nations, sur quoi repose-t-elle ? Il y a un siècle, avant les grandes guerres, elle avait un sens, elle était légitimée au moins par des prouesses intellectuelles, scientifiques et techniques autant que des développements politiques audacieux. Maintenant, les grandes puissances sont installées et les moyennes puissances (sur le plan militaire), sur quoi reposent-elles ? Observons le Pakistan, l’Iran, le Brésil, l’Inde, la Chine (qui maintenant devient grande puissance), ces nations tirent leur puissance d’une masse humaine critique, dépassant les 60 millions d’âmes et le plus souvent bien au-delà. Leur mérite étant de pouvoir centraliser l’action de ces hommes en très grand nombre, mais aussi de jouer sur les ressources naturelles car ces nations ont aussi comme point commun d’être étendues. D’où un PIB qui, rapporté à l’habitant, n’est pas faramineux, mais le devient s’il est multiplié par le nombre d’habitants. La puissance militaire des nations émergentes repose sur la démographie et les ressources naturelles. Bref, sur des critères jugés décisifs en Europe aux XVIIIe et XIXe siècle. Actuellement, si la dénatalité inquiète, c’est pour des questions de société, retraites par exemple, et non plus des enjeux géopolitiques, comme ce fut le cas pendant la IIIe République. Par contre, les ressources naturelles vont se raréfier. Les chocs ne seront pas déterminés par des lignes de civilisation, mais des compétitions géopolitiques alliant territoires, Etats, ressources naturelles et puissances militaires. Voilà comment se dessine l’enjeu du XXIe siècle dont la rencontre entre Sarkozy et Lula ne sera qu’un banal épisode ayant une valeur symbolique comme tant d’autres, un signe.


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