Tremblement de terre au Népal : vie et mort au coeur de la catastrophe

par Christophe Pelissier
jeudi 30 avril 2015

25 Avril 2015, 11h00 du matin 

Nepal, Pokara Lakeside, ordinateur, chambre, les écouteurs sur les oreilles. Soudain, les murs et le sol tremblent, les vitres font entendre leur cliquetis frénétiques aux sonorités stridentes et alarmistes. Je regarde ma compagne italienne, qui me lance un cri de surprise avant de réaliser qu'il s'agit d'un tremblement de terre. “Terremoto !” s'ecrit-elle et de se précipiter sur son sac à dos, et de courir vers la porte, puis de dégringoler les escaliers. Direction : le centre de la cour de la guesthouse, l'endroit le plus sûr selon le chef de famille. Toute les membres de la communauté sont là, serrés les uns les autres dans un ballet concentrique et protégé, la peur sur les visages. Le brouhahas assourdissant causé par les secousses est surréaliste. Je contemple le ciel, bercé par la transe des vibrations, en tournant sur moi-même, le coeur affolé. Encore pour l'instant les cris sont couvert par le tremblement de terre qui continue. Puis, lentement, la terre se calme, l'immobilité revient, les conversations reprennent, effrenées, desorganisées, chaotiques. Je suis en caleçon, les pantalons dans les mains, desorienté...

Nous sommes sur le qui-vive. Nos sacs sont empaquetés, et contiennent les nécessités de survie dans l'éventualité du pire. “La seconde secousse se produira bientôt”, nous avertie la fille de notre propriètaire. Elle intervient après une heure et demi. Nous retournons dans la cour, en courant, en hurlant encore, partout, les rues se remplissent, les enfants sont enfouis dans le giron maternel, les chiens se précipitent à l'encontre d'autres chiens, pour se reproduire, peut-être un pavlov instinctif de transmettre son patrimoine génétique avant la mort...Les locaux népalais essaient d'appeler leur proche, d'obtenir des informations. Communications téléphoniques, internet, élèctricité, sont interrompues pendant des heures.

Jusqu'à hier, je me faisais une vague image poétique des tremblements de terre, une espèce d'aventure romancée, presque excitante. Ca ne pouvait pas arriver à moi. Maintenant, la réalité est bien plus brutale. La Terre tue, impitoyable, à n'importe quel moment.

La troisième secousse intervient à 5h00 du matin le dimanche 26 avril. Le réveil est brutal, mais les réflexes sont déjà aiguisés. Sacs, possessions, et nous voilà de nouveau dans la cour, avec toute la communauté de la guesthouse. Nous sommes épuisé. La tension nerveuse qui s'est instalé est palpable. Ici à Pokhara, aucune destruction, aucune victime, contrairement à Kathmandu, où le désastre est sans précèdent, nous apprennent les news. La route principale qui relie Pokhara et Kathmandu est également coupée.

La soirée est silencieuse, les rues sont vides, noires, quelques touristes chinois aux visages épouvantés trottinent dans la rue avec leur tente, à la recherche d'un endroit exterieur dénue de bâtiments, pour y dormir. La paranoia est présente, partout. Je peux ressentir l'agressivité ambiante, detecter la peur dans la démarche furtive des passants.

Pourtant la vie continue, les locaux se sont résignés, leur vie est ici, et reprennent leur activités comme si l'évènement était attendu. Un touriste revenu de trekk de l'Annapurna Base Camp, qui a échappé de justesse à des chutes de pierre, nous témoigne que son guide a perdu deux membres de sa famille dans son village. “Il s'est fait une raison immédiatement apres avoir appris la nouvelle...” ajoute le touriste belge.

La quatrième secousse se produit dans l'après-midi du dimanche. Les news locales annoncent une avalanche mortelle au camp de base de l'everest. Les murs tremblent légèrement, mais rien de plus. Nous prenons presque l'habitude de l'urgence, prendre le sac et sortir ; le stress induit par la poussée d'adrénaline, l'imagination du pire, des murs qui s'écroulent, du toit qui s'affale, la route qui s'ouvre, éventrée par une onde sismique hyper puissante. Mais non, la secousse a duré quelques secondes, et nous nous préparons à sortir diner, sac sur le ventre, ce soir il s'agit d'un dal baht, le plat traditionnel népalais, riz, légumes et lentilles...

Nous sommes le 28 avril 2015. Les experts internationaux annoncent qu'une reprise de la friction est probable dans les jours qui suivent, avec des secousses dévastatrices.

Les touristes ont désertés lakeside. Seuls les voyageurs, hippies et résidents étrangers à Pokhara sont restés. Les rues sont libres de traffic, et la conduite à moto aujourd'hui est un plaisir. Notre sac est sur le dos, et inconsciemment nous attendons la secousse suivante : chaque tremblement peut-être le début d'une secousse. Ce n'est qu'un camion qui passe sur l'asphalte, des bruits de marteau derrière la cloison qui sépare la boutique de jus de fruit où nous savourons le succulent mix ananas pomme. La psychose est latente, sournoise. La question est désormais la suivante, où aller ? Fuir la ligne de friction des plaques qui traverse le Nepal ? Paranoia inconfortable, nous nous préparons à partir à tout moment, et reprendre la route, tziganes modernes 21ème siècle...

 

Photo : Alice Bettolo


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